Arbitrage

(Mokgadi Caster Semenya c. International Association of Athletics Federation [IAAF] et Athletics South Africa [fédération sudafricaine d’athlétisme, membre de l’IAAF]) ; ordonnance sur mesures provisionnelles et demande d’effet suspensif dans le cadre du recours contre la sentence rendue le 30 avril 2019 par le TAS (procédure d’arbitrage ordinaire) ; simultanément au dépôt du recours contre la sentence du TAS, la recourante a demandé l’effet suspensif et requis des mesures superprovisionnelles urgentes. Statuant à titre superprovisionnel (ordonnance du 31 mai 2019), le Tribunal fédéral avait accepté la demande de la recourante et ordonné à l’IAAF de suspendre immédiatement l’application du règlement litigieux (à savoir le « Règlement régissant la qualification dans la catégorie féminine – pour les athlètes présentant des différences du développement sexuel », abrégé dans l’arrêt « Règlement DDS ») à son égard. Statuant présentement à titre provisionnel, le Tribunal fédéral rappelle qu’en principe le recours en matière civile n’est pas assorti d’effet suspensif (art. 103 al. 1 LTF). Le juge instructeur peut toutefois, d’office ou sur requête d’une partie, statuer différemment sur l’effet suspensif (art. 103 al. 3 LTF) ou ordonner d’autres mesures provisionnelles (art. 104 LTF). Ce faisant, le juge doit effectuer une pesée des intérêts et se demander, en particulier, si la décision attaquée est de nature à entraîner un préjudice irréparable pour la partie recourante, mais aussi prendre en considération, dans la mesure du possible à ce stade, les chances de succès du recours. Le Tribunal fédéral rappelle que, selon sa pratique « stricte », l’effet suspensif, de même que toute autre mesure provisionnelle, ne peut être accordé que si, prima facie, « le recours apparaît très vraisemblablement fondé » (consid. 1). L’athlète fait valoir, dans son mémoire de recours, que la sentence du TAS est contraire à l’ordre public matériel à un double titre. Premièrement, la recourante dénonce le fait que la sentence attaquée constitue une violation de l’interdiction de discrimination. Deuxièmement, elle se plaint de la violation injustifiée de ses droits de la personnalité et de sa dignité humaine (notamment en s’appuyant sur la CEDH). Sur le premier des deux arguments, le Tribunal fédéral relève qu’« il est douteux » que l’interdiction de discrimination entre dans le champ d’application de la notion d’ordre public (matériel) au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP. Même à vouloir l’admettre, le grief n’apparait pas « très vraisemblablement fondé », compte tenu de l’examen approfondi effectué dans la sentence par la Formation arbitrale, qui avait jugé que le règlement litigieux crée certes une « différenciation fondée sur le sexe légal et les caractéristiques biologiques innées », mais que cette mesure était néanmoins justifiée, à savoir nécessaire, raisonnable et proportionnée (consid. 3.1). Quant au deuxième argument de la recourante, le Tribunal fédéral rappelle qu’il a déjà jugé que la CEDH ne s’applique pas directement à l’arbitrage (TF 4A_178/2014). De plus, l’argumentation de la recourante n’emporte pas la conviction du Tribunal fédéral quant au caractère « très vraisemblablement fondé » de la violation alléguée (consid. 3.2). De même, aux yeux du Tribunal fédéral, il n’apparaît pas de façon évidente que la situation de la recourante soit comparable à celle du footballeur brésilien Matuzalem (ATF 138 III 322) (consid. 3.2 in fine). Requête rejetée.

(République de X. c. A., B., C.). Recours contre la sentence rendue le 16 février 2017 par un Tribunal ad hoc.

Le Tribunal fédéral ne dispose pas d’un pouvoir de cognition illimité dans l’examen du grief de l’incompatibilité de la sentence avec l’ordre public. En particulier, la Haute cour ne peut revoir l’appréciation juridique à laquelle le Tribunal s’est livré sur la base des faits qu’il a constatés dans la sentence. Une interprétation erronée, voire arbitraire, d’une clause d’un traité bilatéral d’investissement ne sera pas sanctionnée si le résultat de cette appréciation juridique souveraine n’est pas incompatible avec l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP (consid. 3.3.3-3.3.4). Recours déclaré irrecevable pour non-respect de l’exigence de motivation découlant de l’art. 77 al. 3 LTF (consid. 3.3.5).

(K. Limited, L, c. M. Limited, N. Limited). Recours contre la sentence finale rendue le 21 mars 2017 par un Tribunal arbitral CCI.

Avant, puis en parallèle à l’arbitrage initié par les recourants, et malgré les objections de ces derniers, les intimées ont saisi la Haute Cour des Iles Vierges Britanniques et les tribunaux moscovites pour obtenir le remboursement de différents prêts. Elles ont été déboutées par les autorités russes, mais ont obtenu gain de cause devant les juridictions des Iles Vierges Britanniques. Déboutés dans l’arbitrage, les recourants font alors valoir que le Tribunal arbitral n’a pas respecté l’autorité de chose jugée de l’arrêt moscovite, violant ainsi l’ordre public procédural. Un jugement étranger prononcé à l’égard d’une partie ayant dûment soulevé une exception d’arbitrage, sans que la convention d’arbitrage ait été déclarée caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée, ne peut pas être reconnu en Suisse et ne revêt donc pas l’autorité de la chose jugée (consid. 4.1.2). Les recourants reprochent également au Tribunal arbitral d’avoir rendu sa sentence sans répondre à leur requête de statuer sur l’opportunité de suspendre la procédure sur la base de l’art. 186 al. 1bis LDIP, eu égard à l’existence du jugement moscovite rendu pendant l’arbitrage. En réalité, le Tribunal a rejeté cette requête, à tout le moins implicitement, par une ordonnance dans laquelle, ayant pris note du jugement moscovite, il se déclarait néanmoins compétent à l’égard de toutes les parties pour connaître des prétentions litigieuses. La suspension du procès en cas de litispendance est une règle de compétence dont la violation relève de l’art. 190 al. 2 let. b LDIP. Par conséquent, si les recourants étaient mécontents de cette décision, ils auraient dû recourir immédiatement contre l’ordonnance en question, sans attendre la sentence finale (consid. 4.2.2.2). Recours rejeté.

(A.X. SA, B.X. Ltd c. Z. Ltd). Recours contre la sentence finale rendue le 29 janvier 2016 par un Tribunal arbitral CCI.

Les promesses de versement de pots-de-vin contreviennent à l’ordre public. Toutefois, pour que le grief de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP puisse être admis, il faut que la corruption soit établie et que les arbitres aient refusé d’en tenir compte dans la sentence. En l’espèce, le Tribunal a conclu que l’allégation de corruption n’avait pas été prouvée et cette appréciation des faits échappe au contrôle du TF. Dès lors, il ne peut être reproché aux arbitres d’avoir méconnu l’ordre public en rendant une sentence fondée sur les contrats litigieux après avoir écarté la thèse de leur nullité pour cause de corruption (consid. 4.1 et 4.2.1). Les règles édictées par des sujets de droit privé, telles les stipulations d’une charte éthique d’entreprise, ne peuvent pas – même si elles ont pour but de prévenir des comportements contraires aux mœurs – définir le contenu de la notion d’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP (consid. 4.2.2) (cf. également l’arrêt rendu dans la cause TF 4A_50/2017 du 11 juillet 2017 (résumé ci-dessus en lien avec l’art. 190 al. 2 let. c LDIP), impliquant les mêmes recourantes, dont le consid. 4.3 (non résumé dans cette chronique), reprend intégralement le considérant ici résumé). Recours rejeté.

(X. [ressortissant algérien] c. les héritiers de feu Z. [tous domiciliés en Suisse]). Recours contre la sentence finale rendue le 29 juillet 2016 par une Arbitre unique statuant sous l’égide de la SCAI.

Sentence concluant que la destruction par une partie de pièces essentielles à la constatation des faits n’était pas déterminante pour la répartition du fardeau de la preuve. Argument du recourant selon lequel une telle décision contreviendrait gravement au principe de la bonne foi et par là à l’ordre public matériel. L’application des règles sur le fardeau de la preuve est soustraite à l’examen du TF dans le cadre d’un recours visant une sentence arbitrale internationale, car ces règles ne font pas partie de l’ordre public matériel au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP (consid. 3.2.1). Il en va de même du moyen pris de l’incohérence intrinsèque des considérants de la sentence (consid. 3.2.2). Recours rejeté.

(A. AG [société de droit liechtensteinois] c. State of Palestine [ou Palestinian Authority], B. Company). Recours contre la sentence rendue le 2 août 2016 par un Tribunal arbitral statuant sous l’égide de la SCAI.

Voire le résumé des faits de cette affaire présenté en lien avec le grief de l’art.190 al. 2 let. d LDIP ci-dessus. Reproche fait au Tribunal d’avoir rendu une sentence incompatible avec l’ordre public matériel pour violation du principe de la fidélité contractuelle (pacta sunt servanda), du fait qu’après avoir reconnu la validité des accords de 2000, soumis au droit suisse, il avait nié, en application du droit impératif palestinien, le droit de la recourante à obtenir les licences que ces accords lui garantissaient. Grief rejeté : la décision du Tribunal ne contredit pas l’adage pacta sunt servanda. Les arbitres ont interprété les obligations souscrites par les parties en ce sens qu’elles ne garantissaient pas le droit de A. à réclamer en toutes circonstances l’exécution en nature de son droit à l’octroi des licences. Sur le vu de la situation juridique au moment déterminant, le Tribunal a conclu que A. était en droit d’obtenir un dédommagement pécuniaire pour le non-octroi de ces licences (consid. 3.2).

(A. [club de football professionnel] c. B. [Club de football professionnel]). Recours contre les sentences rendues par le TAS le 13 juillet 2016.

Contrat de transfert de joueur prévoyant le versement d’une indemnité en six tranches, payables par acomptes annuels entre 2012 et 2015. Défaut de paiement de A. à partir du deuxième acompte. Litige résultant en plusieurs décisions de la Commission du Statut du Joueur de la FIFA (CSJ), dont trois confirmées sur appel par le TAS, les sentences dont il est question dans l’arrêt ici résumé étant les deux plus récentes. Recourant condamné à payer les acomptes en souffrance, majorés d’intérêts moratoires au taux de 12% stipulé dans le contrat et d’une peine conventionnelle correspondant à 10% du montant dû, intérêts au taux légal de 5% en sus. Reproche fait au TAS d’avoir rendu des sentences contrevenant à l’ordre public, dans la mesure où elles appliquent de manière combinée le taux d’intérêt conventionnel, la peine conventionnelle et l’intérêt moratoire légal, aboutissant à un résultat qui est sans commune mesure avec le dommage véritablement subi par l’intimé, s’apparentant à l’allocation de dommages-intérêts punitifs (punitive damages) et revêtant un caractère spoliateur (consid. 4.1). Le recourant s’est soumis librement au contrat litigieux, sans formuler de réserve quant au caractère prétendument excessif de la peine conventionnelle et du taux d’intérêt qui y sont stipulés. En droit suisse, une peine conventionnelle atteignant le 10% du prix de vente convenu n’est pas considérée excessive, un intérêt moratoire de 12% l’an n’est pas contraire à l’art. 104 al. 2 CO, et l’application de l’intérêt moratoire de 5% en cas de défaut de paiement est une conséquence prévue par la loi (art. 104 al. 1 CO). La combinaison de ces trois obligations n’aboutit pas non plus à une restriction excessive de la liberté du recourant au regard de l’art. 27 al. 2 CC. Quant à la référence faite par le recourant à l’art. 163 al. 3 CO, en vertu duquel « le juge doit réduire les peines qu’il estime excessives », le fait qu’il s’agit d’une norme d’ordre public suisse ne veut pas dire encore que sa violation contreviendrait à l’ordre public au sens de l’article 190 al. 2 let. e LDIP. Quand bien même il n’est pas nécessaire d’approfondir la question de la compatibilité des dommages-intérêts punitifs avec l’ordre public, les pénalités et intérêts dont il est question en l’espèce étant des sanctions de nature différente, il sied d’observer qu’en réalité la doctrine majoritaire tend à nier qu’une sentence serait contraire à l’ordre public du seul fait qu’elle condamnerait une partie au paiement de punitive damages (consid. 4.3.2). Recours rejeté.

(X. SA [société de droit français] c. La République socialiste du Vietnam), Recours contre la sentence finale rendue le 28 septembre 2015 par un Tribunal arbitral CNUDCI.

L’application des règles sur le fardeau de la preuve est soustraite à l’examen du TF dans le cadre d’un recours en matière civile contre une sentence arbitrale internationale, car ces règles ne font pas partie de l’ordre public matériel au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP (consid. 4.3.1). Recours rejeté.

 

(X. [footballeur professionnel] c. A., B., C [clubs de football professionnels], FIFA). Recours contre la sentence rendue le 4 octobre 2016 par le TAS, déclarant l’appel du recourant irrecevable pour cause de dépôt d’une déclaration d’appel non conforme aux réquisits formels du Code TAS (art. R31 al. 3 Code TAS).

žReproche fait au TAS d’avoir violé l’interdiction du formalisme excessif, et, par là, d’avoir rendu une sentence incompatible avec l’ordre public. Les formes procédurales sont nécessaires à la mise en œuvre des voies de droit pour assurer le déroulement de la procédure conformément au principe de l’égalité de traitement. Un strict respect des dispositions topiques s’impose donc au regard de ce principe, ainsi que sous l’angle de la sécurité du droit, sans qu’il y ait une contradiction entre cette exigence et l’interdiction du formalisme excessif (consid. 4.2). Recours rejeté. Au sujet de la question de savoir si la prohibition du formalisme excessif fait partie de l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. 2, voir TF 4A_692/2016 du 20 avril 2017 (consid. 6.1, résumé ci-dessous).

(AMA c. X. [gymnaste américaine], USADA), recours contre le Termination Order rendu le 11 novembre 2016 par la Présidente de la Chambre arbitrale d’appel du TAS.

Argument de l’AMA selon lequel le TAS aurait fait preuve de formalisme excessif en appliquant l’art. R64.2 Code TAS au cas d’espèce, violant ainsi l’ordre public procédural garanti par l’art. 190 al. 2 let. e LDIP. Question de savoir si l’interdiction du formalisme excessif fait partie de l’ordre public au sens de cette disposition. Si l’on se souvient qu’une garantie aussi importante que l’interdiction de l’arbitraire dans l’application des règles de la procédure arbitrale ne peut pas être invoquée à l’appui d’un recours fondé sur l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, il ne va pas de soi que la méconnaissance de l’interdiction du formalisme excessif puisse être assimilée à une violation de l’ordre public dans cette même acception (consid. 6.1). Question laissée ouverte, car, en l’espèce, le TAS n’a pas fait preuve de formalisme excessif (consid. 6.3). Recours rejeté.

ATF 141 III 495

2015-2016

(République A. [Hongrie] c. B. International [société holding de droit français])

Recours contre la sentence finale rendue le 3 décembre 2014 par un tribunal constitué conformément au Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) et au Règlement d’arbitrage CNUDCI. Argument de la recourante selon lequel le tribunal arbitral, en la condamnant à payer des dommages-intérêts à l’intimée sans tenir compte des contraintes découlant du droit européen en la matière, l’aurait forcée à violer ses obligations internationales et donc le principe pacta sunt servanda dans son acception de droit international public, rendant ainsi une sentence contraire à l’ordre public matériel. Incompatibilité d’une sentence contredisant une norme de droit supranational avec la définition restrictive de l’ordre public retenue dans la jurisprudence du TF : question laissée ouverte. In casu, la recourante n’a pas démontré que les motifs retenus par les arbitres pour justifier l’indemnisation de l’intimée rendraient la sentence incompatible avec l’ordre public matériel (consid. 5.3). Recours rejeté.

TF 4A_319/2015

2015-2016

( SA [société d’Etat en charge des autoroutes et routes nationales de X] c. B. SA [société de droit X spécialisée dans les travaux routiers])

Recours contre la sentence finale rendue le 11 mai 2015 par un tribunal CCI. Le motif de recours prévu à l’art. 190 al. 2 let. e LDIP ne vise pas à sanctionner le défaut d’application ou la mauvaise application du droit étranger applicable au fond, fût-il impératif (consid. 4.2.2). Recours rejeté.

TF 4A_392/2015

2015-2016

( [homme d’affaires domicilié en Suisse] c. B. [homme d’affaires domicilié en Israël)

Recours contre la sentence finale rendue le 10 juin 2015 par un arbitre unique ad hoc. Reproche fait à l’arbitre d’avoir édicté des règles de procédure inusuelles en arbitrage international et, qui plus est, de s’en être écarté. Seule la violation d’une règle essentielle pour assurer la loyauté de la procédure peut donner lieu à une sentence contraire à l’ordre public procédural. Par ailleurs, la partie qui s’estime victime d’une telle violation doit l’invoquer d’emblée au cours de l’arbitrage, sous peine de forclusion (consid. 4.2). Recours rejeté.

TF 4A_231/2014

2014-2015

( SA c. B.)

Recours en matière civile et demande de révision connexes visant la même sentence arbitrale, rendue le 3 mars 2014 par un tribunal arbitral CCI. Recours en matière civile traité en priorité (consid. 2 ; pour la décision sur la demande de révision, voir l’arrêt 4A_247/2014 du même jour, résumé sous la note marginale « Révision (art. 123 LTF) » ci-dessous). Selon la conception juridique suisse, les promesses de versement de pots-de-vin sont contraires aux mœurs et partant nulles. La jurisprudence a également retenu que de telles promesses contreviennent à l’ordre public. Toutefois, pour que le grief de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP soit admis, il faut que la corruption soit établie et que le tribunal arbitral ait refusé d’en tenir compte dans sa sentence. En l’espèce, le tribunal a considéré que l’allégation de corruption n’avait pas été prouvée par la recourante (consid. 5.1). Argument de cette dernière selon lequel le tribunal aurait méconnu l’ordre public transnational en lui ordonnant le paiement de commissions qui l’exposeraient au risque d’être sanctionnée sur la base de dispositions du droit pénal édictées par les Etats-Unis et l’Angleterre (UK Bribery Act 2010 et Foreign Corrupt Practices Act). Motivation manifestement insuffisante du recours sur ce point (consid. 5.2). (Au sujet du contenu de la notion d’ordre public matériel au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, voir également l’arrêt 4A_634/2014 (consid. 5.2.2), résumé dans le chapitre « Droit du sport » de cet ouvrage).

(Y. SA et Z. SA c. B. B.V. et V. Ltd et W. SA c. B B.V.) 

Recours contre les sentences rendues le 17 juillet 2014 par un tribunal arbitral CCI ; causes jointes.

En l’espèce, le tribunal arbitral a retenu, sur la base d’une appréciation des preuves qui échappe à l’examen du TF, que l’allégation de corruption visant l’intimée n’avait pas été prouvée. Dès lors, le reproche fait aux arbitres d’avoir violé l’ordre public en ordonnant le paiement de commissions relatives à des contrats qui seraient frappés de nullité pour cause de corruption tombe à faux (consid. 5.1). Faute pour les recourantes d’avoir établi l’existence de paiements illégitimes attribuables à l’intimée et compte tenu du fait que l’adage « le pénal tient le civil en l’état » ne relève pas, selon la jurisprudence, de l’ordre public procédural au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, le tribunal a également conclu, par un raisonnement que les arguments avancés par les recourantes ne parviennent pas à infirmer, qu’il ne se justifiait pas de surseoir au prononcé des sentences jusqu’à droit jugé dans la procédure pénale pendante en Angleterre, issue d’enquêtes portant sur des soupçons de corruption en lien avec des projets auxquels avaient participé des sociétés du même groupe que les recourantes (consid. 5.2). Recours rejeté.

TF 4A_606/2013

2014-2015

(Sàrl X. [société de droit algérien] c. Y. AG [société de droit allemand])

Recours contre la sentence rendue le 25 octobre 2013 par un tribunal arbitral CARICI.

Selon la jurisprudence, un tribunal arbitral viole l’ordre public procédural non seulement s’il statue sans tenir compte de l’autorité de la chose jugée d’une décision antérieure, mais aussi s’il s’écarte, dans sa sentence finale, de l’opinion qu’il a précédemment émise dans une sentence préjudicielle tranchant une question préalable de fond. A la lumière de cette règle bien établie, le tribunal ne pouvait pas revenir sur la question de la portée de l’accord litigieux entre les parties, qu’il avait réglée à titre préalable dans une sentence antérieure. Il n’a donc pas violé le droit d’être entendue de la recourante en refusant de tenir compte de ses arguments à ce sujet dans les phases ultérieures de l’arbitrage (consid. 3 et 4.2.3.1). L’autorité de la chose jugée vaut également sur le plan international et gouverne, entre autres, les rapports entre un tribunal arbitral siégeant en Suisse et une juridiction étatique étrangère. Cela étant, les décisions rendues dans le cadre de procédures étatiques statuant sur le blocage du paiement d’une garantie par voie de mesures provisionnelles ou au moyen d’un séquestre ne bénéficient pas de l’autorité de la chose jugée (consid. 6.3.2). Par ailleurs, le grief visant le refus du tribunal de récuser un expert pour violation du devoir d’indépendance et d’impartialité doit lui aussi être examiné sous l’angle de la garantie subsidiaire de l’ordre public procédural au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, et non de l’exigence de la composition régulière du tribunal arbitral selon l’art. 190 al. 2 let. a LDIP, l’expert n’étant pas un membre du tribunal. En revanche, la règle jurisprudentielle à caractère général selon laquelle la partie qui entend récuser un arbitre doit invoquer le motif de récusation aussitôt qu’elle en a connaissance, sous peine de forclusion, s’applique également à la récusation d’un expert nommé par le tribunal. Demande de récusation déposée tardivement (consid. 6.2). Recours rejeté.

TF 4A_633/2014 *

2014-2015

(A. LLP [Etude d’avocats ayant son siège aux USA] c. B. [avocat domicilié en Allemagne])

Recours contre la sentence rendue le 29 septembre 2014 par un Tribunal arbitral CCI siégeant à Zurich. Viole l’ordre public procédural le tribunal arbitral qui statue sans tenir compte de l’autorité de la chose jugée d’une décision antérieure. Sur le plan international, l’autorité de la chose jugée gouverne, entre autres, les rapports entre tribunaux arbitraux ayant leur siège dans des Etats différents. Si donc une partie saisit un tribunal arbitral siégeant en Suisse d’une demande identique à celle qui a fait l’objet d’une sentence arbitrale exécutoire, rendue entre les mêmes parties, par un tribunal arbitral siégeant dans un autre Etat (in casu, l’Allemagne), le tribunal arbitral suisse, sous peine de s’exposer au grief de la violation de l’ordre public procédural, devra déclarer cette demande irrecevable, pour autant que la sentence étrangère soit susceptible d’être reconnue en Suisse en vertu de l’art. 194 LDIP.

Sous réserve des dispositions spéciales contenues dans des traités internationaux, la question de savoir si les demandes sont identiques doit se résoudre en application de la lex fori, soit, pour un tribunal arbitral siégeant à Zurich, les principes pertinents du droit suisse. Selon ces mêmes principes, les effets attachés à l’autorité de la chose jugée d’une sentence étrangère dépendent du droit de son Etat d’origine. Toutefois, une sentence reconnue n’a en Suisse que l’autorité de la chose jugée qui serait la sienne si elle émanait d’un tribunal arbitral suisse. Par conséquent, contrairement à ce que soutient la recourante, l’autorité de la force jugée d’une sentence étrangère en Suisse ne s’attache qu’au seul dispositif, à l’exclusion des motifs, même si (par hypothèse) selon le droit de l’Etat d’origine ces derniers bénéficient eux aussi de l’autorité de la chose jugée. En l’espèce, c’est à raison que le tribunal arbitral suisse a déterminé que la demande dont il était saisi n’était pas identique à celle qui avait été soumise au tribunal allemand. Même à supposer que ces demandes eussent été identiques, en vertu de la conception suisse de l’autorité de la chose jugée, le tribunal siégeant à Zurich n’était pas lié par les considérants de la sentence du tribunal allemand au sujet de l’interprétation du contrat dont étaient issues les demandes des parties dans les deux arbitrages (consid. 3.2). Recours rejeté. (Au sujet de l’autorité de la chose jugée en tant que composante de l’ordre public procédural au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, voir également l’arrêt 4A_374/2014 (consid. 4.3.1 et 4.3.2.3), résumé dans le chapitre « Droit du sport » de cet ouvrage).

TF 4A_304/2013

2013-2014

( [club de football professionnel français] c. Z. [club de football professionnel des Emirats Arabes Unis] et Fédération Internationale de Football Association [FIFA] et X. [joueur de football professionnel])

Recours contre la sentence rendue le 3 juin 2013 par le TAS. Les règles sur le fardeau de la preuve, y compris l’art. 8 CC, ne relèvent pas de l’ordre public matériel. Par ailleurs, lorsque l’appréciation des preuves conduit le juge à conclure qu’un fait est établi, la question du fardeau de la preuve devient sans objet (consid. 5.2.3 ; voir également le résumé de cet arrêt dans le chapitre Droit du sport du présent ouvrage).

TF 4A_362/2013

2013-2014

( [directeur sportif du FC Metalist] c. The Football Federation of Ukraine [FFU])

Recours contre la sentence rendue par le TAS le 2 août 2013. L’admission de moyens de preuve obtenus illégalement ne heurte pas l’ordre public lorsque la pesée des intérêts en présence montre qu’elle est nécessaire pour permettre de démasquer des actes illicites ou infractions graves (in casu, manipulation d’une compétition sportive) (consid. 3.2 ; cf. le résumé de cet arrêt dans le chapitre Droit du sport du présent ouvrage).

TF 4A_446/2013

2013-2014

( SA [société de droit turc] c. Z. SA [société de droit belge])

Recours contre la sentence finale rendue par un arbitre unique CCI le 16 juillet 2013. Question - débattue en doctrine - de savoir si l’adage jura novit curia fait partie de l’ordre public procédural, laissée ouverte. D’une part, la doctrine admet qu’une violation de l’ordre public est exclue là où l’arbitre n’examine pas une règle du droit étranger applicable que les parties elles-mêmes n’ont pas invoquée, comme cela a été le cas en l’espèce, et d’autre part il est constant que selon l’acte de mission dans cet arbitrage il incombait aux parties de prouver le contenu du droit applicable (consid. 6.2.2.3). Recours rejeté.

TF 4A_508/2013

2013-2014

( [société ferroviaire d’Etat] c. B. [société anonyme de droit X.])

Destiné à la publication aux ATF. Recours contre la sentence rendue le 6 septembre 2013 par un tribunal CCI. Un tribunal arbitral siégeant en Suisse viole l’ordre public procédural s’il statue sans tenir compte de l’autorité de la chose jugée s’attachant à une décision (arbitrale ou étatique) antérieure, que celle-ci ait été rendue sur territoire helvétique ou à l’étranger. Plus particulièrement, un tribunal saisi d’une prétention identique à celle qui a fait l’objet d’un jugement entré en force, rendu entre les mêmes parties par une juridiction étatique étrangère, devra déclarer la demande irrecevable si ledit jugement est susceptible d’être reconnu en Suisse en vertu de l’art. 25 LDIP. Question laissée ouverte : l’examen de la compétence indirecte du tribunal étatique étranger au regard de l’art. 25 let. a LDIP doit-il s’effectuer par référence à l’art. II al. 3 CNY, conformément à la jurisprudence fédérale actuelle, ou plutôt à la lumière de l’art. 7 LDIP, comme le soutient la doctrine qui a critiqué cette jurisprudence ? (consid. 3.1).

La condition relative à l’identité de l’objet du litige entre les deux procès est satisfaite lorsque les mêmes parties (ou leurs successeurs en droit) ont soumis la même prétention (ou son contraire), sur la base des mêmes faits. Les faits postérieurs à la date jusqu’à laquelle l’objet du litige était modifiable, soit le dernier moment où les parties pouvaient compléter leurs allégations et offres de preuves, ne sont pas couverts par l’autorité de la chose jugée (consid. 3.3).

En vertu de la parenté existante entre la question de la compétence et celle de l’autorité de la chose jugée, le TF examine librement les questions (y compris préalables) de droit permettant d’établir si les arbitres ont méconnu l’autorité de la chose jugée en statuant sur le litige qui leur était soumis (consid. 3.4).

Question laissée ouverte : une approche non formaliste de la notion de l’identité des parties – tenant compte du rôle singulier joué par une partie ayant participé à la procédure étatique mais absente dans la procédure arbitrale – peut-elle se justifier dans des cas spécifiques afin de faire barrage à d’éventuelles manœuvres visant à torpiller l’arbitrage (consid. 4.2.1) ?

In casu, la condition de l’identité de l’objet du litige n’était pas remplie car l’état de fait sous-jacent à la sentence arbitrale différait de celui qui avait pu être pris en considération dans le jugement étatique. Dès lors, c’est à bon droit que le tribunal arbitral a écarté l’exception de la chose jugée (consid. 4.2.2-4.3). Recours rejeté.

TF 4A_509/2013

2013-2014

( SA [société de droit marocain] c. Z. [société de droit espagnol])

Recours (rejeté) contre la sentence rendue le 12 septembre 2013 par un tribunal arbitral CCI.

Question laissée ouverte : la jurisprudence relative à la révision des sentences arbitrales pour le motif prévu à l’art. 123 al. 1 LTF peut-elle être appliquée par analogie pour ériger l’escroquerie au procès en élément constitutif de l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP (consid. 3.1) ?

TF 4A_530/2013

2013-2014

(A et B. c. C. SA)

Recours contre la sentence rendue le 23 septembre 2013 par un tribunal CC-Ti siégeant à Lugano. Le principe « negativa non sunt probanda » n’étant pas reconnu en ces termes absolus dans la jurisprudence (laquelle prévoit tout au plus un devoir de collaboration à charge de la partie pouvant fournir la preuve positive du fait contraire), il ne peut être pris en considération sous l’angle de l’ordre public (consid. 6.1). Recours rejeté.

ATF 138 III 322

2011-2012

(Francelino da Silva Matuzalem c. Fédération Internationale de Football Association [FIFA])

Recours contre la sentence rendue par le TAS le 29 juin 2011, entérinant une sanction prononcée à l’encontre du joueur par la Commission de discipline de la FIFA, en application de l’art. 64 de son Code disciplinaire.

Non-exécution de l’obligation découlant d’une précédente sentence du TAS, condamnant solidairement le recourant et son nouveau club à payer près d’EUR 12 millions à l’ancien club du joueur. Nouveau club en faillite. Condamnation du joueur à une amende et fixation d’un dernier délai pour effectuer le paiement, assortie de la menace d’interdiction de toute activité professionnelle en relation avec le football, sur simple requête du club créancier. Premier arrêt du TF admettant une violation de l’ordre public matériel depuis l’entrée en vigueur de la LDIP. La liste d’exemples dressée par le TF dans sa jurisprudence pour décrire le contenu de l’ordre public matériel n’est pas exhaustive. Le principe consacré à l’art. 27 al. 2 CC, proscrivant les engagements excessifs au regard des droits de la personnalité, fait bien partie des valeurs essentielles et largement reconnues qui, « selon les conceptions prévalant en Suisse » (ATF 132 III 389, consid. 2.2.3), devraient constituer le fondement de tout ordre juridique (consid. 4.1).

Une interdiction illimitée d’exercer sa profession constitue une atteinte manifeste et grave aux droits de la personnalité (consid. 4.3.5).

En vertu de la sentence litigieuse, le recourant serait livré à l’arbitraire de son ancien employeur, et sa liberté économique limitée dans une mesure telle que les bases mêmes de sa subsistance s’en trouveraient en péril, sans qu’un tel résultat puisse trouver une justification dans un intérêt prépondérant de la FIFA ou de ses membres (consid. 4.3.4). L’atteinte aux droits de la personnalité qu’elle consacre étant incompatible avec l’ordre public matériel, la sentence attaquée doit être annulée (consid. 4.3.5).

Recours admis.

TF 4A_488/2011

2011-2012

([Pellizotti] c. UCI, CONI et FCI)

Recours contre la sentence rendue par le TAS le 8 mars 2011.

Les critiques formulées par le recourant à l’encontre de la sentence étant relatives à la charge de la preuve et à l’appréciation des preuves en droit privé, ne peuvent être rattachées à la notion (strictement limitée) d’ordre public telle qu’elle a été définie dans la jurisprudence du TF.

L’approche du recourant qui tend à proposer, comme le fait d’ailleurs une partie de la doctrine, d’interpréter cette notion d’ordre public avec moins de rigueur que dans l’arbitrage international « classique » lorsque le litige concerne des sanctions disciplinaires sportives, ne peut être suivie. Il est vrai que le TF a pris en compte les particularités de l’arbitrage sportif à plusieurs reprises dans sa jurisprudence, au sujet de certaines questions de procédure. Toutefois, en faire de même à l’égard du moyen de caractère général tiré de l’incompatibilité avec l’ordre public reviendrait créer une véritable lex sportiva par la voie prétorienne, ce qui ne manquerait pas de soulever des questions en relation avec la répartition des pouvoirs législatif et judiciaire au sein de la Confédération (consid. 6.2).

Recours rejeté.

TF 4A_530/2011

2011-2012

(X. [coureuse de demi-fond] c. Z.[entité publique spécialisée dans la lutte antidopage])

Recours contre la sentence rendue le 26 juillet 2011 par le TAS.

Grief d’incompatibilité de la sentence avec l’ordre public procédural, dont le droit à un tribunal indépendant et impartial au sens de l’art. 30 al. 1 Cst. ferait partie.

Argument selon lequel (i) la procédure de première instance au sein de Z. ainsi que la commission antidopage l’ayant conduite ne satisfont pas aux exigences jurisprudentielles relatives à la garantie d’indépendance et impartialité, et (ii) l’ « effet guérisseur » reconnu à la procédure en appel devant le TAS en vertu de l’art. R57 du Code TAS ne peut opérer de façon à remédier à un tel défaut de la procédure en première instance. Admettre cet effet guérisseur reviendrait, par ailleurs, à faire du TAS une instance unique dotée de pouvoirs illimités.

Recevabilité du grief : la règle voulant qu’un tribunal présente des garanties suffisantes d’indépendance ou impartialité relève de l’art. 190 al. 2 let. a LDIP (désignation irrégulière du tribunal). L’ordre public procédural au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP n’est qu’une garantie subsidiaire ne pouvant être invoquée que si aucun des moyens prévus à l’art. 190 al. 2 let. a-d n’entre en ligne de compte (consid. 3.2).

A le supposer recevable, le grief ne pourrait qu’être rejeté en application, mutatis mutandis, des remarques formulées par le TF dans son arrêt dans la cause 4A_386/2010 du 3 janvier 2011 (consid. 6.2), à savoir qu’il n’y a pas de raison de refuser de reconnaître le pouvoir du TAS de revoir les faits et le droit avec pleine cognition, conformément à l’art. R57 al. 1 du Code, et que l’exigence d’une double instance ou d’un double degré de juridiction ne relève pas de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP.

Recours rejeté.