TF 8C_765/2015*

2014-2015

Art. 28 al. 2 et 95 al. 1bis LACI

Un chômeur en incapacité de gain à 50 % bénéficie d’indemnités de chômage calculées sur un gain assuré réduit de moitié. Pour une période de trois mois (janvier à mars 2013) durant laquelle il perçoit les indemnités de chômage, l’assuré reçoit rétroactivement de l’assureur perte de gain LCA de son employeur de pleines indemnités journalières, les CGA prévoyant le versement d’indemnités à 100 % à partir d’un taux d’incapacité de 50 %. Se pose la question de savoir si l’assuré doit restituer à l’assurance-chômage les indemnités touchées pour cette même période.

Le litige porte sur l’interprétation de l’art. 95 al. 1bis LACI, singulièrement sur la question de savoir si la mention, à cette disposition, des indemnités journalières de l’assurance-maladie, désigne également les indemnités journalières versées en exécution d’une police collective d’indemnités journalières en cas de maladie soumise à la LCA. Au terme d’une analyse très discutable, le TF admet que oui, et que l’assuré est donc tenu de restituer les prestations reçues de l’assurance-chômage pour la période litigieuse.

Commentaire
Etat de fait Licencié avec effet au 30 septembre 2012, un assuré s’est annoncé à l’assurance-chômage à compter du 28 janvier 2013, annonçant d’emblée n’être apte au placement qu’à concurrence de 50 %, en raison de problèmes de santé. La caisse de chômage a servi des indemnités journalières à partir du 28 janvier 2013, ces dernières étant calculées sur un gain assuré réduit de moitié en raison de la diminution de la capacité de travail. Ultérieurement, l’assuré a obtenu de l’assureur perte de gain de son employeur un montant correspondant à des indemnités journalières en exécution d’une police collective d’indemnités journalières en cas de maladie soumise à la LCA. Ces indemnités couvraient notamment la période du 28 janvier au 31 mars 2014, période durant laquelle l’assuré a été indemnisé par l’assurance-chômage conformément à ce qui a été dit au paragraphe précédent. Il s’agissait de pleines indemnités journalières, parce que les conditions générales de l’assureur perte de gain (CGA) prévoyaient qu’à partir d’une incapacité de travail de 50 %, de pleines indemnités étaient dues. La caisse de chômage a exigé le remboursement des indemnités journalières versées entre le 28 janvier et le 31 mars 2014, motif pris d’une surindemnisation. Elle a été entendue par le Tribunal fédéral.   Résumé des considérants et analyse L’analyse du TF porte sur l’interprétation des art. 28 al. 2 et 95 al. 1bis LACI. L’art. 28 LACI règle la situation du chômeur frappé d’une incapacité de travail passagère. L’art. 28 al. 1 LACI lui laisse le bénéfice des indemnités journalières durant 30 jours dès le début de l’incapacité de travail. L’art. 28 al. 2 LACI précise, s’agissant du montant de l’indemnité journalière versée pendant cette période, que « les indemnités journalières de l'assurance-maladie ou de l'assurance-accidents qui représentent une compensation de la perte de gain sont déduites de l'indemnité de chômage ». Dans le contexte plus spécifique de la créance de l’assureur social en restitution de prestations indument versées, l’art. 95 al. 1bis LACI prévoit de son côté que « l'assuré qui a touché des indemnités de chômage et perçoit ensuite, pour la même période, une rente ou des indemnités journalières au titre de l'assurance-invalidité, de la prévoyance professionnelle, de la loi du 25 septembre 1952 sur les allocations pour perte de gain, de l'assurance militaire, de l'assurance-accidents obligatoire, de l'assurance-maladie ou des allocations familiales légales, est tenu de rembourser les indemnités journalières versées par l'assurance-chômage au cours de cette période ». La question qu’analyse le TF dans l’arrêt commenté est celle de savoir s’il faut comprendre, dans ces deux dispositions, la mention de l’assurance-maladie comme s’étendant aussi aux polices d’indemnités journalières en cas de perte de gain consécutive à une maladie (perte de gain maladie) soumises à la loi fédérale sur le contrat d’assurance (LCA). Le TF parvient à au résultat que oui. Interprétant la loi d’abord selon la lettre, notre Haute Cour conclut, de manière très courte, qu’il n’est pas possible de déduire quoi que ce soit de la formulation « assurance-maladie », quand bien même cette appellation désigne traditionnellement la matière régie par la loi fédérale sur l’assurance maladie (LAMal), la perte de gain maladie n’étant jamais désignée par ces termes, ni dans la jurisprudence, ni dans la doctrine. Le TF constate ensuite, se basant sur les travaux préparatoires, que l’art. 95 al. 1bis LACI avait pour but de permettre à l’assurance-chômage de s’y retrouver dans la mesure où, en cas d’incertitude sur l’aptitude au placement de l’assuré, elle est tenue d’avancer les prestations (cf. art. 70 al. 2 lit. b LPGA). Sans autre analyse, il en conclut que l’assurance-chômage peut demander la restitution des prestations qu’elle a versées, indépendamment de la question de savoir si l’assuré a reçu des indemnités journalières LAMal (cf. art. 67 ss LAMal) ou LCA (c. 5.3). Dans le dernier point de son raisonnement (c. 5.4), le TF mentionne la surindemnisation, qui justifie en l’espèce que les prestations « perçues à tort » (« zu Unrecht bezogene Leistungen ») soient restituées. A ce sujet, on regrettera tout d’abord les termes employés par le TF, parce qu’ils donnent l’impression d’un abus ou d’une tentative d’abus de la part de l’assuré, alors que le système a précisément été conçu, par le législateur, de telle manière qu’en cas de doute sur le droit aux prestations, un assureur social soit « désigné volontaire » pour avancer les prestations, la possibilité d’un remboursement étant ensuite prévue par la loi (art. 70 et 71 LPGA). Dans cette affaire, ce choix sémantique résulte vraisemblablement de ce que l’on ne se trouvait dans le champ d’application des règles sur la coordination entre assureurs sociaux. L’assureur perte de gain étant un assureur privé, l’assureur social ne pouvait invoquer l’art. 71 LPGA pour demander directement le remboursement des prestations, et devait donc passer par la voie de la révision procédurale (art. 53 LPGA) et d’une demande en restitution (art. 25 LPGA). Le TF n’a pas tiré les conséquences de cette différence procédurale dans l’interprétation qu’il a faite des art. 25 al. 2 et 95 al. 1bis LACI, pas plus qu’il n’a tenu compte des principes généraux régissant les rapports entre assureurs sociaux et assureurs privés. Ce commentaire est donc le lieu de rappeler qu’il n’existe pas de principe général interdisant la surindemnisation en dehors du domaine des assurances sociales (A), et de s’interroger sur la question de savoir qui, de l’assureur social ou de l’assureur privé, doit intervenir en premier lieu (B).   A.    De l’interdiction de la surindemnisation Contrairement à une idée reçue, il n’existe pas de principe général, valable pour l’ensemble de l’ordre juridique, qui interdirait à une personne d’être indemnisée, en cas de réalisation d’un risque donné, au-delà de la perte économique qu’elle subit effectivement (pour des explications plus complètes à ce sujet, cf. DUPONT Anne-Sylvie, Le droit de la sécurité sociale au contact du droit des assurances privées, RDS II/133 (2014), p. 347 à 420, p. 383 ss). La preuve de cette affirmation se trouve déjà dans l’existence d’assurances (privées) de somme, qui garantissent le versement d’un capital dont le montant est fixé à la conclusion du contrat, de manière totalement indépendante d’une éventuelle perte de gain. Dans les rapports entre assurances privées et droit de la responsabilité, la loi prévoit expressément que les prestations versées ne peuvent être imputées sur le montant du dommage civil (art. 96 LCA). En revanche, l’interdiction de la surindemnisation a valeur de principe général en droit des assurances sociales. D’abord principe jurisprudentiel, cette interdiction a trouvé une assise légale au moment de l’entrée en vigueur de la LPGA. L’art. 69 al. 1 LPGA prévoit en effet que « le concours de prestations des différentes assurances sociales ne doit pas conduire à une surindemnisation de l'ayant droit », la surindemnisation étant définie, à l’alinéa suivant, comme la mesure dans laquelle « les prestations sociales légalement dues dépassent, du fait de la réalisation du risque, à la fois le gain dont l'assuré est présumé avoir été privé, les frais supplémentaires et les éventuelles diminutions de revenu subies par les proches ». Ainsi, donc, la surindemnisation n’a valeur de principe général que lorsqu’interviennent concomitamment plusieurs assurances sociales. L’art. 69 LPGA n’a pas vocation à s’appliquer lorsque interviennent de concert un assureur social et un assureur privé, un assureur social et un responsable civil (cf. à ce sujet les art. 72 ss LPGA), et encore moins lorsque sont en présence un assureur privé et un responsable civil. C’est dans ce contexte, et dans ce contexte uniquement, que les art. 25 al. 2 et 95 al. 1bis LACI devaient être analysés. Matériellement, ces deux dispositions ont pour objet de régler la situation lorsque l’assuré bénéficie, pour une période donnée, d’indemnités journalières versées par deux assureurs sociaux différents. Cette situation n’est en effet pas expressément réglée par la LPGA, contrairement, par exemple, à celle de l’assuré qui cumule le droit à une rente versée par un assureur social et à des indemnités journalières versées par un autre assureur social (cf. art. 68 LPGA). Toutes les lois spécifiques consacrées à des régimes prévoyant le versement d’indemnités journalières contiennent, en conséquence, des dispositions qui disent ce qu’il advient en cas de cumul de leurs propres indemnités journalières avec celles d’un autre assureur social (cf. par exemple art. 16g LAPG ou 16 al. 3 LAA). D’un point de vue systémique, il est ainsi clair que les termes « assurance-maladie » contenu dans les dispositions étudiées ne peuvent faire référence qu’au régime facultatif des indemnités journalières dans la LAMal (art. 67 ss). Contextuellement, c’est d’autant plus vrai que les deux dispositions mentionnent tous les autres assureurs sociaux qui servent des indemnités journalières, et ne font aucune référence à d’autres intervenants, comme les pouvoirs publics ou un tiers responsable. Tout au plus le TF aurait-il pu s’interroger sur la question de l’égalité de traitement entre l’assuré au bénéfice d’une perte de gain maladie LAMal, dont les indemnités journalières seront déduites de l’indemnité de chômage, et l’assuré au bénéfice d’une perte de gain LCA, dont les indemnités journalières ne peuvent, selon l’opinion défendue ici, pas être déduites de l’indemnité journalière. Cet argument, justifié d’un point de vue idéologique, ne résiste toutefois pas si l’on considère que la perte de gain LAMal concède à l’assuré un certain nombre d’avantages dont l’assuré LCA ne bénéficie pas (l’obligation d’admission et la procédure administrative entre autres). Le TF ne pouvait à notre pas non plus faire l’économie, comme il l’a fait, de l’examen de la nature de la police d’assurance conclue entre l’assuré et l’assureur privé. En l’occurrence, cette police présente la singularité de prévoir, pour les assurés au chômage, le versement d’une demi indemnité journalière pour un taux d’incapacité allant de 25 à 50 %, et une pleine indemnité journalière pour un taux d’incapacité dépassant 50 % (cf. ch. N 2 CGA Assurance maladie collective La Mobilière, édition 2016). Une analyse complète de l’affaire aurait dû conduire à examiner la nature des prestations de l’assureur privé. Alors que, pour l’assuré « normal », les CGA de l’assureur privé prévoient une indemnité journalière en fonction du taux effectif d’incapacité, toute référence à cette notion disparaît pour l’assuré réputé au chômage au sens de la LACI. La quotité de l’indemnité journalière, dont le montant reste certes calculé sur la base du salaire assuré et du pourcentage de la couverture convenu avec l’employeur, n’est plus fonction de la perte économique réelle de l’assuré. Dans ce sens, les prestations prévues par La Mobilière pour les assurés au chômage doivent être qualifiées d’assurance de somme. On ne peut retenir l’assurance de dommage que lorsque la perte de gain effective est à la fois la condition du droit aux prestations, et la mesure de la quotité de cette dernière, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La qualification d’un contrat d’assurance privée en assurance de somme ou de dommage est d’abord nécessaire pour savoir si l’assureur privé est autorisé à déduire des prestations d’assurances contractuellement convenues les prestations sociales concordantes perçues par l’assuré. Il n’empêche qu’elle devait ici servir à éclairer l’articulation entre assureur social et assureur privé, sous l’angle de l’absence, en l’occurrence, d’une interdiction générale de la surindemnisation lorsqu’interviennent plusieurs systèmes compensatoires différents.   B.    De l’intervention prioritaire de l’assureur social Dans l’arrêt commenté, le TF consacre la priorité de l’intervention d’un assureur privé, en l’espèce un assureur perte de gain LCA, sur celle d’un assureur social, en l’espèce l’assurance-chômage. Cette solution est incompréhensible d’un point de vue systémique, puisque les régimes publics d’assurances sociales, qui sont obligatoires pour les travailleurs dépendants, ont précisément vocation à offrir le premier échelon de sécurité pour les personnes frappées par l’éventualité concernée. Dans ce but, des cotisations sociales sont prélevées, à la fois auprès de l’assuré et, cas échéant, auprès de l’employeur également, et l’assuré acquière à l’égard de l’Etat une créance correspondant aux prestations sociales financées par ses cotisations. Le TF avait pourtant bien compris cette articulation lorsqu’il s’était agi de déterminer si l’Etat devait participer, conformément à l’art. 49 LAMal, au financement d’un séjour hospitalier d’un assuré ayant séjourné en division privée et au bénéfice d’une assurance complémentaire LCA. Le canton concerné soutenait ne pas avoir à intervenir, motif pris, précisément, de l’existence d’une couverture privée. Le TF a rejeté cette thèse, faisant ainsi prévaloir l’application de la loi publique (en l’occurrence la LAMal) sur les relations privées entre un assuré et un assureur LCA. Le canton a donc dû participer au financement du séjour hospitalier conformément à ce que prévoit la LAMal, l’assureur privé n’ayant à sa charge que la différence entre le coût total de l’hospitalisation en division commune et celui de l’hospitalisation en division privée (cf. ATF 127 V 422). Le revirement opéré dans l’arrêt commenté, en tant qu’il n’est pas expliqué, introduit une spécialité qui dessert la logique de l’articulation entre assurances sociales et assurances privées.   C.    Conclusion L’analyse conduite ci-dessus montre que la solution prise par le TF dans l’arrêt commenté est, pour deux raisons au moins, dogmatiquement fausse, et systémiquement regrettable. Il est particulièrement préoccupant que notre Haute Cour se soit bornée à une analyse extrêmement succincte, alors même que son arrêt était destiné à publication et voué à créer une situation exceptionnelle dans l’articulation entre les régimes d’assurances sociales et les assurances privées. Une fois encore, il semble que la crainte un peu floue d’un éventuel avantage économique retiré par l’assuré l’ait emporté sur l’envie d’une réflexion dogmatiquement cohérente. C’est d’autant plus regrettable que cet éventuel avantage aurait découlé, en l’espèce, de l’existence d’une police d’assurance perte de gain dont les CGA prévoient une solution favorable pour les personnes au chômage. Cette police a été conclue par l’employeur de l’assuré et financée par lui, éventuellement avec une participation de son employé. Ce n’est donc pas la communauté des assurés sociaux qui finance cet avantage.   Auteur : Anne-Sylvie Dupont