Art. 8, 29 al. 2 CC ; 951 al. 1, 956 CO ; 3 al. 1 lit. c, 11 al. 2, al. 3, 12 al. 1, 13 al. 2 LPM ; 151 CPC
Un risque de confusion existe au sens de l’art. 3 al. 1 LPM lorsqu’un signe plus récent porte atteinte à la force distinctive d’une marque antérieure. Tel est le cas lorsqu’il doit être craint que les cercles des destinataires pertinents soient induits en erreur par la similitude du signe et que les produits ou les services portant l’un ou l’autre des signes soient attribués au mauvais titulaire de la marque (risque de confusion direct) ou au cas où le public fait la différence entre les deux signes, s’il déduit de leur ressemblance l’existence de liens en fait inexistants, en particulier s’il croit y voir des marques de séries qui désignent les différentes lignes de produits de la même entreprise ou de différentes entreprises économiquement liées entre elles (risque de confusion indirect). Pour trancher du risque de confusion entre des marques, c’est l’impression d’ensemble que celles-ci laissent dans le souvenir du consommateur qui est déterminante. Plus un signe s’est imposé de manière forte dans le commerce, plus son champ de protection est large et plus les produits pour lesquels les marques sont enregistrées sont proches, plus le risque que des confusions interviennent est élevé et plus le signe le plus récent doit se différencier nettement des signes antérieurs pour bannir tout risque de confusion. La vérification de l’existence d’un tel risque de confusion est une question de droit. Le TF examine ainsi en particulier librement comment a été établi le cercle des destinataires pertinent des produits ou services enregistrés et – pour les biens de consommation courante – comment les destinataires perçoivent le signe en fonction du degré d’attention qui peut être attendu d’eux (consid. 2.1). Après l’écoulement du délai de carence de 5 ans de l’art. 12 al. 1 LPM, une marque n’est protégée que dans la mesure où elle est effectivement utilisée en relation avec les produits et les services enregistrés (au sens de l’art. 11 al. 1 LPM). L’objet de l’utilisation à titre de marque doit en outre concorder avec l’objet de la protection à titre de marque. La marque doit dès lors fondamentalement être utilisée telle qu’elle est enregistrée puisque ce n’est qu’ainsi qu’elle pourra déployer l’effet distinctif qui correspond à sa fonction. L’art. 11 al. 2 LPM admet cependant que l’usage d’une forme de la marque ne divergeant pas essentiellement de celle qui est enregistrée suffit pour maintenir le droit. Il convient alors que l’identité du noyau distinctif de la marque qui en détermine l’impression d’ensemble soit conservée et qu’en dépit de l’utilisation différente qui en est faite, le caractère distinctif de la marque demeure. Cela n’est le cas selon la jurisprudence du TF que lorsque le commerce, malgré sa perception des différences, met l’impression d’ensemble dégagée par le signe différent utilisé sur le même plan que celle de la marque enregistrée et voit ainsi encore et toujours la même marque dans la forme utilisée. Il faut donc se demander si le commerce voit dans la forme enregistrée et la forme utilisée un seul et même signe et n’attribue aucun effet distinctif propre aux éléments modifiés, ajoutés ou abandonnés. Les exigences d’identité des signes lorsqu’elles concernent l’élément central (« Kernbereich ») de la marque sont ainsi bien plus élevées que dans le cadre de l’examen d’une confusion. Enfin, l’usage destiné à maintenir le droit ne suppose pas que le titulaire de la marque utilise lui-même le signe en relation avec les produits ou les services enregistrés. L’usage de la marque auquel le titulaire consent est assimilé à l’usage par le titulaire selon l’art. 11 al. 3 LPM (consid. 2.3.1). Une utilisation de la marque avec des éléments descriptifs additionnels qui ne font pas disparaître l’identité de l’élément caractéristique central de celle-ci, soit in casu le vocable « tecton », vaut usage de la marque, le commerce voyant un seul et même signe entre la marque enregistrée et la forme sous laquelle elle est utilisée. Il ne saurait être exigé du titulaire de la marque qu’il fasse du marketing, mais uniquement qu’il utilise effectivement sa marque. Ce qui est déterminant est l’existence d’un usage conforme de la marque au sens de l’art. 11 LPM. Il ne saurait être considéré qu’un usage de la marque sur des cartes de visite, la home page du site de la société ou des documents de présentation de celle-ci, sur des véhicules ou des bâtiments ne serait pas sérieux (consid. 2.3.1.3). Le cercle des destinataires pertinents pour des travaux de couverture et de construction offerts sous les marques « tecton » et « tecton (fig.) » sont des acheteurs privés et publics du domaine du bâtiment auxquels les prestations du titulaire de la marque sont généralement présentées par un architecte. Aucune des marques litigieuses ne vise exclusivement des professionnels. Du moment que les prestations offertes par le titulaire de ces marques dans le domaine de la construction ne se rapportent pas à des besoins courants, un degré d’attention légèrement accru peut être attendu de leurs destinataires. Il ne suffit toutefois pas à exclure l’existence d’un risque de confusion (consid. 2.3.2). Un risque de confusion direct entre les deux signes doit être admis. En effet, ces derniers, respectivement en tout cas leurs éléments caractéristiques essentiels « tecton » et « dekton » sont si semblables tant sur les plans visuels que sonores qu’ils sont susceptibles d’être confondus même par ceux qui feraient preuve d’un degré d’attention légèrement accru, par exemple en étant perçus comme résultant de simples fautes de frappe. Dans la mesure où des produits semblables sont offerts sous ces désignations, un risque de confusion est sans autre donné, de sorte que le signe le plus récent doit se voir dénier la protection à titre de marque (consid. 2.3.3). Il y a similitude entre des services d’une part et des produits d’autre part lorsqu’il existe un lien commercialement usuel entre eux dans le sens où les deux sont typiquement offerts par les mêmes entreprises comme constituant un paquet de prestations unique (consid. 2.3.4). Tel est le cas entre des matériaux de construction comme produits de la classe 19, d’une part, et des travaux de construction, de réparation et d’installation en tant que services de la classe 37, d’autre part. Le tout constitue en effet du point de vue de l’acheteur un paquet de prestations cohérent impliquant qu’une similitude soit admise au sens de l’art. 3 al. 1 lit. c LPM (consid. 2.3.4.1-2.3.4.5). Selon l’art. 13 al. 1 LPM, le droit à la marque confère à son titulaire le droit exclusif de faire usage de la marque pour distinguer les produits enregistrés. Le titulaire peut, selon l’art. 13 al. 2 LPM ; interdire à des tiers l’usage d’un signe exclu de la protection en vertu de l’art. 3 al. 1 LPM. L’action en interdiction que le titulaire déduit de l’art. 13 al. 2 LPM découle de son enregistrement au registre des marques et vaut pour toute la Suisse (consid. 3).
Nathalie Tissot, Vincent Salvadé, Yves Bauer, Steve Reusser, Daniel Kraus, Christophe Schaub
Art. 9, al. 2 Cst, 8, 29, 55 CC ; 150 al. 1 CPC ; 951 al. 2 CO ; 3 al. 1 lit. c, 13 al. 2 LPM ; 2, 3 al. 1 lit. c LCD
La notion de risque de confusion est la même pour l’ensemble du droit des signes distinctifs et il s’agit d’une question de droit que le TF revoit librement. Comme les sociétés anonymes peuvent choisir librement leurs raisons de commerce, la jurisprudence pose généralement des exigences élevées concernant leur force distinctive. Selon la jurisprudence constante, les raisons de commerce bénéficient d’une protection également à l’encontre des entreprises qui sont actives dans une autre branche du commerce. Mais les exigences concernant la différenciation des raisons de commerce sont plus strictes lorsque les entreprises peuvent entrer en concurrence de par leurs buts statutaires ou s’adressent, pour une autre raison, aux mêmes cercles de clients ; cela vaut aussi en cas de proximité géographique des entreprises. C’est en fonction de l’impression d’ensemble qu’elles laissent auprès du public que doit être tranchée la question de savoir si deux raisons de commerce sont suffisamment différentes pour coexister. Cela doit être vérifié non seulement dans le cadre d’un examen attentif et simultané des raisons de commerce, mais également en fonction du souvenir qu’elles laissent. Lequel est marqué par les éléments des raisons de commerce qui sont frappants de par leur effet sonore ou leur signification. Ces éléments revêtent une importance déterminante dans l’examen de l’impression d’ensemble générée par une raison de commerce. Cela vaut en particulier pour les désignations de pure fantaisie qui bénéficient en général d’une forte force distinctive. Il en va autrement pour les désignations descriptives qui appartiennent au domaine public. Il y a risque de confusion lorsque la raison de commerce d’une entreprise peut être prise pour celle d’une autre ou donne l’impression erronée que les entreprises seraient économiquement ou juridiquement liées (consid. 3.1). En l’espèce, la Cour cantonale a retenu que les signes étaient semblables parce qu’ils se différenciaient seulement par leurs premières lettres « P » et « B » mais qu’en dépit de la similitude des domaines d’activité et de la proximité des sièges des deux entreprises, il convenait de tenir compte de ce que leurs raisons de commerce n’étaient pas de pure fantaisie mais reprenaient les noms de famille des avocats qui les exploitent. La Cour cantonale a en outre relevé que les noms de famille sont donnés par la nature et qu’une personne physique a un intérêt digne de protection à pouvoir désigner sous celui-ci les prestations qu’elle, ou les personnes qui sont sous sa responsabilité, dispense. De sorte qu’il existe très peu de possibilités de différenciation. En particulier, lorsque le service offert présente une composante personnelle forte, comme c’est le cas pour l’activité d’avocat. Il n’est par conséquent pas possible de transposer sans autre aux noms de famille la portée de la protection accordée aux dénominations de fantaisie. Les noms de famille rares ont ainsi certes une force distinctive accrue, mais la portée de leur champ de protection se limite (sauf circonstances particulières relevant de la loi contre la concurrence déloyale) aux noms de famille identiques et ne s’étend pas à ceux qui sont semblables seulement. Le fait que les raisons de commerce considérées soient construites de la même manière (soit nom de famille – Avocats – SA) n’augmente pas le risque de confusion puisque cette configuration est usuelle. Dans le cas particulier, le fait que la première lettre de chacun des deux noms de famille (à laquelle une attention particulière est accordée parce qu’elle se trouve en début du mot) soit différente (P et B), la manière différente de les écrire et leur effet phonétique différent également, mais surtout le caractère extraordinairement rare de l’un des deux noms de famille et relativement commun de l’autre, ainsi que l’absence de cas de confusion effectif en dépit de la similitude des signes, de la proximité géographique des entreprises, et du caractère pour l’essentiel similaire de leurs activités, excluent l’existence d’un risque de confusion au sens du droit des raisons de commerce (consid. 3.2 et consid. 3.3.2). Le TF considère que la Cour cantonale a, à juste titre, examiné de manière différente le degré de différenciation nécessaire, selon que la raison de commerce concernée est formée de désignations de personnes, de désignations descriptives ou de désignations de fantaisie. Les éléments désignant l’activité professionnelle déployée (avocats) ainsi que la forme juridique (SA) constituent des éléments à faible force distinctive des raisons de commerce examinées. Le risque de confusion doit ainsi être déterminé en fonction des deux noms de famille « Pachmann » et « Bachmann » qui se différencient par leur première lettre qui joue un rôle marquant, parce qu’elle figure au début des dénominations considérées. Du point de vue du contenu sémantique, le public suisse ne décèle pas dans les termes « Pach » une ancienne manière d’écrire « Bach », et il est dès lors irrelevant que « Pachmann » soit la manière d’écrire « Bachmann » en haut allemand. Les jurisprudences « Adax » / « Hadax » et « Pawag » / « Bawag » rendues en relation avec des dénominations de pure fantaisie ne peuvent pas être transposées à l’examen du risque de confusion entre deux noms de famille. Outre la différence entre les premières lettres des deux noms, le caractère extraordinairement rare du nom de famille « Pachmann » alors que « Bachmann » est relativement répandu, amène le public usuellement attentif à faire la différence entre les deux raisons de commerce. Un risque de confusion n’entrerait pas non plus en ligne de compte si une force distinctive accrue devait être reconnue au patronyme « Pachmann » du fait de sa rareté (consid. 4). Le titulaire d’une marque peut interdire aux tiers d’utiliser des signes similaires à une marque antérieure pour des produits ou services identiques ou similaires lorsqu’il en résulte un risque de confusion (art. 13 al. 2 en lien avec l’art. 3 al. 1 lit. c LPM). Lequel est donné lorsqu’il doit être craint que les cercles des destinataires pertinents soient induits en erreur par la similitude des signes et attribuent les produits, désignés par l’un ou l’autre des signes, au mauvais titulaire de la marque ; ou lorsque le public distingue bien les deux signes mais déduit de leur ressemblance de fausses relations entre leurs titulaires. Pour trancher du risque de confusion entre des marques, c’est l’impression d’ensemble que celles-ci laissent dans le souvenir du consommateur qui est déterminante. La question de savoir si deux marques se distinguent suffisamment ou sont au contraire susceptibles d’être confondues ne doit pas être résolue dans le cadre d’une comparaison abstraite des marques considérées, mais doit tenir compte de toutes les circonstances du cas d’espèce. Plus les produits pour lesquels les marques sont enregistrées sont semblables, plus le risque que des confusions se produisent est élevé, et plus le signe le plus récent doit se différencier nettement des signes antérieurs pour bannir tout risque de confusion. Le champ de protection d’une marque dépend de sa force distinctive. Une marque faible bénéficie d’un champ de protection plus limité contre les signes similaires qu’une marque forte. Lorsqu’une marque s’approche du domaine public, elle ne bénéficie que d’une force distinctive limitée tant qu’elle n’a pas été imposée comme signe distinctif dans l’esprit du public par des efforts publicitaires importants. Des différences modestes suffisent à exclure le risque de confusion en présence d’une marque faible. Constituent des marques faibles, celles dont les éléments essentiels se rapprochent étroitement de termes génériques du langage commun. Sont au contraire des marques fortes celles qui frappent par leur contenu fantaisiste ou qui se sont imposées dans le commerce (consid. 4.1). Dans le cas particulier, l’utilisation du terme « Bachmann » sur les cartes de visite intervient bien à titre de marque mais dans une combinaison avec des éléments figuratifs qui en déterminent l’impression d’ensemble. C’est ainsi l’élément « B » qui prédomine de sorte que le cercle des destinataires pertinents qui est composé de personnes cherchant à obtenir des services juridiques, ainsi que des publications ou des imprimés dans le même domaine, ne risque pas d’être induit en erreur, même au cas où il ne déploierait qu’un degré d’attention usuel (consid. 4.2). Selon l’art. 2 LCD, un comportement est déloyal et contraire au droit s’il est trompeur ou viole d’une autre manière le principe de la bonne foi dans les affaires et influence les relations entre commerçants et consommateurs. Adopte un comportement déloyal en particulier celui qui prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d’autrui. Entrent dans ce cas de figure tous les comportements qui par la création d’un risque de confusion induisent le public en erreur, en particulier afin d’exploiter la réputation d’un concurrent. C’est ainsi en fonction du comportement concrètement adopté sur le plan de la concurrence que doit être tranchée la question de l’existence d’un risque de confusion au sens de la LCD. Si la notion de risque de confusion est la même pour l’ensemble du droit des signes distinctifs, il convient dans la détermination de son existence dans le cadre du droit de la concurrence, de tenir compte de toutes les circonstances. Soit pas seulement de la manière dont le signe est enregistré, mais aussi de celle dont il est concrètement utilisé et des autres éléments en dehors des signes eux-mêmes. C’est ce que la Cour cantonale a fait in casu en examinant comment la marque mixte « Bachmann » était utilisée sur les cartes de visite de l’intimée et en tenant compte du fait que les personnes cherchant à obtenir les services d’un avocat ou d’autres prestations juridiques déploient un degré d’attention supérieur à la moyenne en raison du rapport de confiance particulier qui caractérise la relation entre un avocat et son client, ainsi que des dépenses supérieures à celles de l’acquisition d’un produit de masse qui l’accompagnent (consid. 5.2).
Nathalie Tissot, Vincent Salvadé, Yves Bauer, Steve Reusser, Daniel Kraus, Christophe Schaub