Propriété intellectuelle

TF 4A_11/2022 (d)

2022-2023

Légitimation passive ; intérêt juridique à agir ; activité inventive. Cet arrêt concerne deux brevets européens sur des nucléotides modifiés, respectivement un procédé pour le séquençage d’ADN et son utilisation dans un procédé de séquençage par synthèse. L’intimée (demanderesse) avait intenté une action en interdiction de mise sur le marché d’appareils de séquençage en Suisse contre la recourante (défenderesse) auprès du Tribunal fédéral des brevets (TFB), compétent en la matière. La recourante y a fait valoir, sans succès, l’exception de l’invalidité des deux brevets en question. Le TFB a donné raison à l’intimée, de sorte que la recourante s’est vue interdire l’importation desdits appareils sur le marché suisse. Le TF a confirmé la décision du TFB, tout en précisant deux points intéressants. Le premier point concerne la légitimation passive, le second la question de l’évaluation de l’activité inventive.

Concernant la légitimation passive, s’il ressort de brochures publicitaires et/ou d’un site internet visant le marché mondial qu’une entreprise affiliée à un groupe assure non seulement le service après-vente, mais au surplus, qu’elle livre les produits contrefaisant un brevet en Suisse, la titulaire du brevet jouit d’un intérêt juridique à agir en justice contre cette entité en Suisse pour violation d’un brevet en Suisse (consid. 2.2). Concernant l’activité inventive, conformément à la jurisprudence des chambres de recours de l’Office européen des brevets (OEB), une approche peut être considérée comme évidente au sens de l’art. 56 CBE si l’homme du métier l’aurait exécutée en escomptant une amélioration ou un avantage. L’évidence n’est ainsi pas seulement présente lorsque les résultats sont clairement prévisibles, mais également lorsqu’il existe une attente raisonnable de succès. Il n’est pas nécessaire d’établir que le succès d’une solution envisagée à un problème technique était prévisible avec certitude. L’application de la jurisprudence des chambres de recours de l’OEB relative aux situations de « try and see » suppose que « ni la mise en œuvre ni l’expérimentation d’une approche proposée dans l’état de la technique ne présentent de difficultés techniques particulières [...] » (Jurisprudence des chambres de recours de l’Office européen des brevets, 9e éd. 2019, I.D.7.2). Dans un tel cas, l’activité inventive sera déniée (consid. 3.3.2).

TF 4A_41/2022 (d)

2022-2023

Faits nouveaux (nova) ; moyens de preuve ; modification des revendications ; nouveauté ; divulgation. Le 2 juin 2022, Delica SA (demanderesse) introduisait une demande visant à faire constater la nullité du brevet suisse CH 711 079 B1, détenu par Koninklijke Douwe Egberts B.V. (défenderesse). Le brevet litigieux concerne des capsules contenant une substance pour la préparation d’une boisson (typiquement du café moulu) à utiliser dans des machines de préparation de boissons (typiquement des machines à café). L’invention porte sur l’amélioration de l’élément d’étanchéité fixé à la capsule lequel, après insertion de la capsule dans l’espace réservé de la machine, assure l’étanchéité de la capsule. Sous l’angle procédural, selon une jurisprudence bien établie, les parties ont deux fois la possibilité illimitée de s’exprimer sur le fond et particulièrement d’introduire des faits nouveaux dans le procès. Après la clôture de l’instruction ou de l’échange des écritures, elles n’ont le droit de présenter des faits nouveaux et des moyens de preuve qu’aux conditions limitées de l’art. 229 al. 1 CPC (ATF 146 III 55 ss, consid. 2.3.1). Cela vaut en particulier aussi pour les réactions à ce que l’on appelle des Dupliknoven, à savoir des faits ou des moyens de preuve nouveaux présentés par la partie défenderesse pour la première fois dans la duplique. Si la partie demanderesse a besoin de véritables nova pour répondre aux allégations présentées dans la duplique et s’appuyant sur de nouveaux faits et moyens de preuve, ceux-ci peuvent être présentés sans autre, conformément à l’art. 229 al. 1 let. a CPC. En ce qui concerne les faux nova, l’art. 229 al. 1 let. b CPC exige en revanche qu’ils n’aient pas pu être présentés auparavant malgré une diligence raisonnable. Il faut partir du principe qu’il n’est ni possible ni raisonnable pour la partie demanderesse de réfuter à l’avance dans sa réplique tous les nova possibles et imaginables qui pourraient être amenés par la défenderesse dans la duplique. Si, dans cette dernière, la défenderesse présente des arguments que la demanderesse entend réfuter par de faux nova, la condition de l’art. 229 al. 1 CPC est remplie dans la mesure où ces arguments n’ont pas pu être présentés avant la clôture de l’instruction malgré une diligence raisonnable. Pour que la demanderesse puisse apporter la preuve de sa diligence, il faut que les Dupliknovensoient à l’origine de l’introduction de ces nova. Pour examiner ce lien de causalité, il est donc indispensable d’examiner de près les faits nouveaux et les moyens de preuve pertinents (ATF 146 III 55 ss, consid. 2.5.2) (consid. 2.2.). Ces conditions sont remplies lorsque, comme dans le cas d’espèce, les conclusions ont été modifiées dans la duplique en limitant les revendications d’un brevet, lorsque de nombreuses nouvelles pièces sont jointes au dossier et que la titulaire du brevet s’est exprimée sur les nouvelles conclusions, les nouvelles revendications et les nouvelles pièces en présentant de nouveaux arguments. En procédure civile, la reformulation des revendications d’un brevet doit être considérée comme équivalente à la présentation de nova (ATF 146 III 55 ss, consid. 2.5.1) (consid. 2.3.). La recourante ne doit pas se contenter d’objecter en bloc qu’une prise de position relative à une duplique est irrecevable et ne devait pas être prise en compte. Elle doit préciser en détail, dans sa prise de position sur la duplique, quels éléments d’une prise de position ne doivent pas être pris en compte pour absence de causalité (consid. 2.3). Sur le fond, la recourante se plaint d’un examen de la nouveauté contraire au droit. Elle invoque la violation de l’art. 26 al. 1 let. a, en relation avec l’art. 7 LBI, l’art. 1 al. 1 et l’art. 7 al. 1 LBI. L’objet de l’examen de la nouveauté est l’invention telle que définie dans la revendication correspondante. La revendication doit donc être interprétée. Les principes d’interprétation établis s’appliquent en premier lieu à l’appréciation de l’étendue de la protection, mais sont également applicables à l’examen de la nouveauté (ATF 132 III 83 ss, consid. 3.4). Une invention n’est pas nouvelle que si elle a été rendue accessible avec toutes ses caractéristiques avant la demande de brevet. Pour évaluer si tel est le cas, chaque solution antérieure doit être comparée individuellement avec l’invention brevetée. Ce n’est que si l’une d’entre elles est identique en tous points aux caractéristiques de l’invention que la nouveauté fera défaut. Il suffit, mais il est également nécessaire, qu’une exécution préalablement connue de l’invention transmette à la personne de métier l’enseignement technique revendiqué (ATF 133 III 229 ss, consid. 4.1). Selon la doctrine, n’est divulgué que ce qui, pour la personne de métier, découle directement et sans équivoque du document d’antériorité, y compris les caractéristiques qui n’y sont pas expressément mentionnées mais qui, pour la personne de métier, sont comprises dans le contenu divulgué, mais pas ce que la personne de métier ajouterait de manière évidente à la divulgation implicite (consid. 3.1 et 3.2).