(A. c/o X. [investisseur indien], B. c/o X. [investisseur indien] c. République de C. [Etat partie à un traité d’investissement bilatéral]). Recours contre la sentence (Award on Costs) rendue le 17 février 2020 par un Tribunal arbitral CNUDCI avec siège à Genève. En théorie, il n’est pas inconcevable que la décision prise par un tribunal arbitral au sujet du montant des dépens puisse contrevenir à l’ordre public matériel. Cependant, dans un domaine (les frais et dépens) où le TF n’intervient qu’avec la plus grande retenue lorsqu’il est saisi du grief d’arbitraire, il doit s’imposer une réserve encore plus grande quand cette question se pose à lui sous l’angle de l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP. Pour justifier l’intervention du juge étatique à ce titre, il faut que les dépens alloués par le tribunal soient hors de toute proportion avec les frais nécessaires consentis par la partie concernée pour sa défense, eu égard à l’ensemble des circonstances du cas concret – et ce, au point de heurter de manière choquante les principes les plus essentiels de l’ordre juridique déterminant (consid. 6.1). Argument des recourants selon lequel le montant des dépens alloués à l’intimée est disproportionné compte tenu du stade préliminaire auquel se trouvait la procédure au moment où la sentence attaquée a été prononcée. D’une part, les recourants ne sauraient tirer profit de leurs propres atermoiements et demandes répétées de prolongation de délai, y compris pour le paiement de leur part de l’avance de frais, pour venir soutenir que l’intimée aurait dû réaliser que la procédure risquait de ne pas se poursuivre et, de ce fait, s’abstenir de préparer sa défense sur le fond. D’autre part, les motifs exposés dans la sentence et le résultat auquel a abouti le Tribunal en décidant que les dépens réclamés par l’intimée étaient raisonnables en l’espèce ne sont pas incompatibles avec l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP (consid. 6.4). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
(A. c. 1. à 26.). Recours contre la sentence rendue le 28 février 2020 par un Tribunal arbitral PCA avec siège à Genève. Récapitulatif des faits présenté ci-dessus, avant le résumé des considérants en lien avec l’art. 190 al. 2 let. b LDIP. Le recourant considère que la sentence finale est contraire à l’ordre public procédural, du fait qu’elle consacre une application erronée du principe de l’autorité de la chose jugée. En particulier, les arbitres auraient estimé à tort que l’exception d’incompétence soulevée par le recourant sur le fondement de la Déclaration des 22 ne constituait pas un nouveau motif d’incompétence mais une tentative d’obtenir une nouvelle décision sur l’objection déjà examinée et écartée dans la sentence sur compétence de 2014. En qualifiant la Déclaration des 22 d’argument juridique, le Tribunal se serait estimé indûment lié par la sentence sur compétence et aurait à tort refusé de prendre en considération ce nouvel élément de fait. Selon la jurisprudence, un tribunal viole l’ordre public procédural s’il statue sans tenir compte de l’autorité de la chose jugée d’une décision antérieure ou s’il s’écarte, dans sa sentence finale, de l’opinion qu’il a émise dans une sentence précédente tranchant une question préalable de fond. Les sentences préjudicielles ou incidentes qui règlent des questions préalables de fond ou de procédure (comme la compétence) ne jouissent pas de l’autorité de la chose jugée, mais, à la différence des simples ordonnances de procédure qui peuvent être modifiées ou rapportées en cours d’instance, de telles sentences lient bien le tribunal dont elles émanent. Dès lors, et quels que soient les motifs sous-tendant leur décision de ne pas réexaminer leur compétence, les arbitres n’ont pas violé l’ordre public procédural en se considérant liés par la sentence sur compétence qu’ils avaient rendue auparavant (consid. 6.3.3). Recours rejeté.
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(A. [ressortissant indonésien, actif dans le secteur bancaire et dans l’industrie pétrolière] c. B. [homme d’affaires singapourien actif dans le commerce du pétrole]). Recours contre la sentence rendue le 27 mai 2020 par un Tribunal arbitral sous l’égide des Swiss Rules avec siège à Genève. Les arbitres avaient constaté dans la sentence que les parties avaient simulé un contrat de vente d’actions et dissimulé une convention de fiducie : ce constat de la volonté réelle et commune des parties constitue un élément factuel qui ne peut pas être revu par le TF dans le cadre du recours contre la sentence (consid. 6). De plus, il ne faut pas perdre de vue que même lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une sentence rendue par un tribunal arbitral ayant son siège en Suisse et appliquant le droit suisse, le TF est tenu d’observer, quant à la manière dont ce droit a été mis en œuvre, la même distance que celle qu’il s’imposerait vis-à-vis de l’application faite de tout autre droit ; dans ce contexte, la Haute Cour ne doit pas céder à la tentation d’examiner avec une pleine cognition si les règles topiques du droit suisse ont été interprétées et/ou appliquées correctement, comme elle le ferait si elle était saisie d’un recours en matière civile portant sur un arrêt étatique (consid. 7.1). Même en faisant abstraction du fait qu’en soutenant pour la première fois devant le TF que le contrat de fiducie était illicite le recourant contrevient au principe de la bonne foi procédurale, cette thèse ne lui est d’aucun secours, car le résultat auquel la sentence a abouti demeurerait inchangé en cas d’illicéité : en effet, dans ce cas de figure comme dans la configuration juridique retenue par les arbitres (contrat de fiducie valablement conclu et résilié), le recourant serait tenu de restituer les actions à l’intimé. Or, ce résultat est tout à fait compatible avec l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP (consid. 8). Recours rejeté.
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(A. GmbH [société de droit allemand], B. GmbH [société de droit allemand], C. GmbH [société de droit allemand] c. D.D. [veuve et héritière de H.D.], E.D. [descendant et héritier de H.D.], F.D. [descendant et héritier de H.D.], G.D. [descendant et héritier de H.D.]). Recours contre la sentence rendue le 19 mai 2020 par un Tribunal arbitral SCAI avec siège à Zurich. Tribunal reconstitué après la démission d’un arbitre à un stade avancé de la procédure. Les recourantes font valoir qu’en vertu des art. 38 LTF et 51 CPC, les actes de procédure auxquels a participé un juge tenu de se récuser doivent être annulés et renouvelés. Selon elles, le Tribunal arbitral aurait violé un principe fondamental du droit suisse, et donc l’ordre public, en refusant de répéter les actes de procédure accomplis avec la participation de l’arbitre démissionnaire. Le TF relève que les dispositions invoquées par les recourantes ne s’appliquent qu’aux procédures devant les juridictions étatiques. En matière d’arbitrage international, il n’existe pas de règle générale selon laquelle les actes auxquels aurait participé un arbitre récusé doivent être annulés et répétés. Au contraire, la LDIP ne prévoit pas de règle en la matière, et le CPC dispose qu’il revient au Tribunal arbitral de décider, au cas par cas et selon son appréciation des circonstances pertinentes, s’il y a lieu de répéter des actes de procédure après la démission d’un arbitre (consid. 4.2). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
(A. SA [société avec siège au Panama] c. B. SA). Recours contre la sentence rendue le 25 mai 2020 sous l’égide du règlement CCI par un arbitre unique siégeant à Genève. Litige en relation avec trois contrats d’agence en vertu desquels A. s’engageait à fournir divers services, dans trois pays différents, à C. (devenue par la suite B. SA), moyennant le paiement de commissions. En 2017, découverte par C., dans le cadre d’une enquête pénale en Suisse, du fait qu’un de ses employés (E.) avait reçu divers montants de la société mère de A. en contrepartie pour la conclusion et/ou le renouvellement annuel des contrats d’agence. Poursuivie pour le paiement de commissions en souffrance, en 2018, C. avait introduit une action en libération de dette dans une requête d’arbitrage CCI à l’encontre de A. Dans sa sentence finale, l’arbitre unique avait décidé que C. n’était pas tenue de payer les commissions réclamées par A. L’arbitre avait considéré que A. avait commis un dol (art. 28 CO) vis-à-vis de C. en omettant de lui révéler le versement de pots-de-vin à E. Pour sa part, C. avait agi tardivement, en déclarant vouloir invalider les contrats seulement après le délai péremptoire d’un an à compter de la découverte du dol, de sorte que les contrats devaient être tenus pour ratifiés au sens de l’art. 31 CO. Cependant, selon l’arbitre unique, C. pouvait opposer l’exception de l’art. 60 al. 3 CO pour faire échec aux prétentions en paiement de A., puisque les contrats avaient été obtenus de manière illicite. La recourante reproche à l’arbitre d’avoir violé le principe pacta sunt servanda en refusant d’assurer le respect des contrats dont il avait reconnu l’existence, sur le fondement d’une application erronée de l’art. 60 al. 3 CO. Lue correctement, l’argumentation de la recourante vise à remettre en question l’application du droit par l’arbitre, ce qui n’est pas admissible dans le cadre d’un recours en matière civile dirigé contre une sentence arbitrale internationale. En tout état de cause, le résultat auquel a abouti l’arbitre en application de l’art. 60 al. 3 CO n’est pas contraire à l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP (consid. 6.2 et 6.3). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
(A. [investisseur turc actionnaire de D.], B. [investisseur turc actionnaire de D.], C. [investisseur turc actionnaire de D.], D. [société anonyme de droit turc active dans le domaine de la construction et dans la production de ciment] c. République Arabe Syrienne). Recours contre la sentence arbitrale rendue le 31 août 2020 par un Tribunal arbitral CCI ayant son siège à Genève. Récapitulatif des faits présenté ci-dessus, avant le résumé des considérants en relation avec l’art. 190 al. 2 let. c LDIP. Les recourants reprochent au Tribunal de leur avoir fait supporter indûment la dévaluation vertigineuse subie par la livre syrienne (SYP), en leur octroyant des dommages-intérêts dans cette monnaie-là plutôt qu’en dollars étatsuniens (USD), comme ils l’avaient demandé. Ils soulignent qu’une fois convertie en USD, l’indemnité allouée par les arbitres équivalait à seulement 4,6% de la perte subie par eux, évaluée au moment déterminant (2012). Consacrant une forme d’expropriation sans indemnité adéquate, la sentence contreviendrait ainsi à l’ordre public (consid. 4.1). Avant d’examiner le grief, le TF passe en revue les règles et principes régissant la réparation du préjudice, l’indemnisation pour expropriation et la détermination de la monnaie d’indemnisation en droit international public, des investissements et sous le régime de la CEDH, auxquels les recourants se sont en partie référés (consid. 4.2-4.3). Selon la jurisprudence constante du TF, une mesure spoliatrice sans indemnisation heurte l’ordre public. Si cette formulation peut également couvrir des cas où l’indemnisation existe mais est dérisoire, la notion d’ordre public au sens de l’art. 190 LDIP requiert que l’indemnisation apparaisse à ce point disproportionnée avec la valeur du bien perdu qu’elle heurte de façon choquante les principes les plus essentiels de l’ordre juridique. En effet, le recours de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP n’a pas pour but d’assurer l’application correcte – ou même non arbitraire – d’un traité d’investissement, du droit coutumier international, des principes généraux du droit international ou même des garanties conférées par la CEDH. Ainsi, l’ordre public matériel n’est pas nécessairement enfreint par une sentence qui n’octroie pas une réparation intégrale du dommage ou alloue une indemnité ne se trouvant pas dans une proportion raisonnable avec la valeur des investissements perdus (consid. 4.4). En l’espèce, l’indemnité allouée aux recourants apparaît indéniablement très basse par rapport à la valeur estimée de leur perte, et il n’est pas douteux que cet état de choses est imputable à la forte dépréciation de la SYP. Cependant, les arbitres disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans la fixation des dommages-intérêts et des méthodes pour redresser l’effet de la dépréciation monétaire. Les recourants n’ont pas justifié leur choix du dollar devant le Tribunal, ni démontré que l’adoption de la monnaie de l’Etat hôte leur serait préjudiciable au point de justifier une mesure plus importante que l’application d’un taux d’intérêt élevé (comme l’avait fait le Tribunal). En fin de compte, une appréciation globale de la situation, prenant en considération le risque pris par les recourants, qui ont choisi d’investir dans un pays à l’économie instable déjà avant le conflit armé, ainsi que le type spécial de responsabilité assumée par l’Etat hôte (responsabilité objective, et non pour fait illicite) et la situation notoirement très difficile de ce pays, toujours en proie à de graves conflits internes, permet d’affirmer que la compensation allouée ne contrevient pas à l’ordre public (consid. 4.6). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
(A. [actionnaire du groupe G. via Société B.], Société B. [société mauricienne] c. Z. Ltd [société de droit mauricien et investisseur du groupe G.]). Recours contre la sentence rendue le 15 septembre 2020 par un Tribunal arbitral LCIA avec siège à Genève. Récapitulatif des faits présenté ci-dessus, avant le résumé des considérants en relation avec l’art. 190 al. 2 let. d LDIP. Les recourants reprochent au Tribunal arbitral d’avoir indûment attribué l’autorité de la chose jugée aux jugements de la EWHC, au mépris des règles de droit suisse en la matière. Dans sa jurisprudence, le TF a déjà considéré, dans un obiter dictum, qu’une atteinte à l’autorité de la chose jugée peut résulter du fait qu’un Tribunal attribue à tort l’autorité de force jugée à une précédente décision et renonce à examiner une question pour cette raison. La doctrine a commenté avec approbation qu’un tribunal qui s’estimerait à tort lié par un jugement antérieur commettrait un déni de justice et enfreindrait le droit à un procès équitable, lequel fait bien partie de l’ordre public procédural (consid. 6.3). Par ailleurs, la jurisprudence reconnaît l’autorité de la chose jugée aux décisions (judiciaires ou arbitrales) étrangères pour autant qu’elles puissent être reconnues en Suisse. Toutefois, une décision étrangère ne peut avoir en Suisse que l’autorité qui serait la sienne si elle émanait d’un tribunal étatique suisse ou d’un tribunal arbitral sis en Suisse. En particulier, même si selon la loi de l’Etat d’origine de la décision l’autorité de la chose jugée s’étend aux considérants qui en sous-tendent le dispositif, l’autorité de la chose jugée de cette même décision ne sera admise en Suisse que pour les chefs du dispositif (consid. 6.3). Le Tribunal arbitral s’était jugé lié par les constatations de fait et de droit effectuées dans les jugements de la EWHC au sujet de la grande majorité des violations contractuelles alléguées par l’intimée, constatations qu’il avait estimé pouvoir reprendre « telles quelles ». Les recourants protestent à juste titre que le Tribunal aurait dû commencer par examiner si les conditions pour la reconnaissance de ces jugements étaient réalisées et, dans l’affirmative, appliquer la notion suisse de l’autorité de la chose jugée. Or, les arbitres se sont fondés, entre autres, sur le concept de issue estoppel, qui n’est pas reconnu en droit suisse, et n’ont pas correctement analysé la question de l’identité de l’objet litigieux des procédures. Cela étant, l’on ne saurait ici se limiter à conclure que les arbitres ne pouvaient pas invoquer l’autorité de la chose jugée des jugements anglais comme ils l’ont fait. Force est de constater, en effet, que les recourants ont eux-mêmes attribué une autorité au jugement de la EWHC, d’une part en consentant, en 2018, au projet de décision arbitrale fondé sur l’un de ces jugements, et d’autre part en affirmant, en 2020, que la Cour anglaise avait déjà tranché la majorité des prétentions émises par l’intimée dans l’arbitrage. Ils n’ont pas non plus contesté la conclusion du Tribunal selon laquelle les jugements anglais constituaient des preuves convaincantes aux fins de ses déterminations au sujet des violations contractuelles alléguées. A cet égard il sied également de rappeler qu’une appréciation même arbitraire des preuves ne porte pas atteinte à l’ordre public. Dans ces circonstances, on ne peut pas reprocher aux arbitres d’avoir enfreint l’ordre public en reprenant les constatations effectuées dans les jugements anglais (consid. 6.6). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler