Art. 190 LDIP al. 2 let. b
(A. A.S. [société de construction de droit turc] et B. [société de construction de droit iranien] c. C [société de droit iranien contrôlée par le ministère iranien des routes et du développement urbain] et D. [Banque d’Etat iranienne]). Recours contre la sentence rendue le 2 juillet 2019 par un tribunal arbitral avec siège à Genève. Cas d’un Accord Trilatéral (AT) entre une entreprise de construction étrangère d’une part, et une société et une banque contrôlées par l’Etat iranien d’autre part, portant sur la construction de 20’000 logements sociaux en Iran et contenant une convention d’arbitrage s’avérant être une copie presque identique de la clause de résolution des différends contenue dans le Traité bilatéral d’investissement entre la Turquie et la République islamique d’Iran de 1996. Absence de cohérence entre la convention d’arbitrage et le reste de l’AT (consid. 3.1). Sentence majoritaire concluant à l’incompétence du tribunal pour résoudre le litige entre les parties. Confirmation de la jurisprudence selon laquelle le Tribunal fédéral ne peut revoir les constatations de fait contenues dans la sentence, même dans le cadre d’un recours visant une décision sur compétence (consid. 3.2.3). Il découle de cette jurisprudence que, s’agissant de l’interprétation de la convention d’arbitrage, le Tribunal fédéral ne peut revoir que l’établissement de la volonté présumée des parties (interprétation dite objective ; question de droit) et non pas la constatation de leur volonté réelle (interprétation dite subjective ; question de fait). Ayant établi que les parties envisageaient deux types différents (et incompatibles) d’arbitrage pour résoudre les différends pouvant surgir de l’AT, la majorité du tribunal a conclu, sur le fondement d’une interprétation subjective de la clause d’arbitrage, à l’absence de volonté mutuelle et concordante des parties de recourir à l’arbitrage international. Le tribunal a correctement déduit de cette conclusion qu’il n’y avait pas lieu de procéder à une interprétation objective de la convention d’arbitrage. En effet, la divergence des vues des parties quant au mode de résolution des différends à adopter étant clairement établie, il eût été impossible que l’une ou l’autre d’entre elles puisse croire, de bonne foi, qu’un accord avait été trouvé à ce sujet (consid. 3.2.5). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
Art. 190 LDIP al. 2 let. b
(A. SA [Société de droit suisse sise à Genève, créateur d’un concept de bars d’aéroport] c. Z. Ltd [Société de droit anglais sise à Londres, exploitant d’échoppes de nourriture et boissons dans les lieux de transport]). Recours contre la sentence finale rendue le 23 novembre 2018 par un tribunal arbitral siégeant à Genève. En matière d’arbitrage, la qualité de partie à la convention d’arbitrage et la légitimation active ou passive, qualité qui relève du fondement matériel de l’action, peuvent se chevaucher, car, contrairement aux juges, les arbitres tirent leur compétence de la convention des parties, souvent incorporée, en tant que clause de résolution des différends, dans le contrat dont découle l’obligation litigieuse. Déterminer si l’on peut déduire d’un contrat l’existence d’une obligation stipulée pour autrui et s’il est possible de prendre des conclusions en faveur d’un tiers sur la base d’une telle stipulation est une question de fond. Les arbitres sont compétents pour en connaître, du moment que les parties à l’arbitrage sont les signataires du contrat en question et que celui-ci inclut une clause soumettant à l’arbitrage toute controverse concernant le contrat, respectivement toute réclamation relative au contrat ou à sa violation. De même, lorsqu’une clause d’arbitrage couvre les litiges relatifs aux dommages-intérêts consécutifs à une violation contractuelle, il importe peu que le créancier fasse valoir son propre dommage ou celui d’un tiers : dans l’un et l’autre cas, ses conclusions entrent dans le champ d’une telle clause compromissoire (consid. 3.2). Dans le cas d’espèce, telle que formulée, la clause d’arbitrage permettait bel et bien aux arbitres de connaître de la question du dommage subi par un tiers non partie au contrat de licence contenant cette clause (consid. 3.4.2). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
Art. 190 LDIP al. 2 let. b
(A. S.L [société espagnole sise à B. c. République bolivarienne du Venezuela]). Recours contre la sentence rendue le 20 mai 2019 par un tribunal arbitral avec siège à Genève. Notion d’investissement selon l’art. I(2) du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Espagne-Venezuela. Statuant sur sa compétence, le tribunal s’est penché sur les objections ratione personae et ratione materiae soulevées par l’intimée et est parvenu à la conclusion que la recourante n’avait pas effectué un investissement propre à fonder sa compétence en vertu du TBI. Conformément à sa jurisprudence, le TF interprète le sens des termes « investisseur » et « investissement » dans un TBI conformément aux règles de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 (consid. 3.4.1). Ayant déjà eu l’occasion de constater qu’il n’existe pas de définition abstraite, définitive et unanimement acceptée de la notion d’investissement dans les traités internationaux de protection des investissements, le TF interprète cette notion de bonne foi, à partir du texte du traité examiné, suivant le sens ordinaire des termes pertinents, considérés dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but du traité (consid. 3.4.2.2). Se fondant sur une interprétation littérale de l’article I(2) TBI, le tribunal arbitral en a déduit la nécessité d’un acte d’investissement actif de la part de l’investisseur. Quand bien même les actions de la société D. S.A. constituaient un investissement, et même si la recourante remplissait les critères pour être considérée un investisseur au sens du TBI, le tribunal a tenu pour décisif le fait que les actions avaient été transférées à la recourante par des sociétés sises dans des pays tiers, dans le cadre d’une restructuration dont le but était précisément de bénéficier de la protection du TBI. Sur cette base, il a nié à la recourante la protection du TBI, en se déclarant incompétent pour statuer sur le litige qui lui a été soumis. Il est admis que les Etats parties aux TBIs disposent – et font régulièrement usage – de possibilités diverses d’exclure une telle pratique, connue sous l’appellation de « treaty shopping ». De nombreux TBI comportent, par exemple, des clauses dites de « denial of benefits » ou « origin of capital » qui servent précisément à cette fin. Or, le TBI en question ne contient aucune clause de ce genre, alors qu’elles étaient déjà courantes à l’époque de sa conclusion et que les deux pays signataires en ont fait usage dans d’autres traités. Force est donc de constater que les Etats contractants avaient renoncé en connaissance de cause à inclure une telle disposition limitative dans le TBI. Ainsi, c’est à tort que le tribunal arbitral a retenu l’existence d’un investissement actif comme condition d’application de ce traité. En réalité, rien ne permet de dégager du texte du TBI la volonté des Etats contractants d’exclure l’investissement en question de son champ d’application. Demeure réservée l’hypothèse de l’abus de droit, que le tribunal arbitral devra encore examiner dans le cadre des objections de l’intimée qu’il avait pu se dispenser de déterminer en déclinant sa compétence sur la base de cette interprétation erronée (consid. 3.4.2.4-3.4.2.8). Recours partiellement admis, sentence annulée. Renvoi de la cause au tribunal arbitral pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
Art. 190 LDIP al. 2 let. b
(A. [Société de droit sud-coréen spécialisée dans la production d’écrans pour automobiles] c. B. [société de droit allemand spécialisée dans les technologies automobiles.]). Recours contre la sentence partielle sur compétence et responsabilité rendue le 3 juin 2019 par un tribunal arbitral CCI avec siège à Zurich. Litige ayant surgi de l’attribution d’une commande d’écrans à transistors pour automobiles dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres. Alors que la demanderesse avait déjà commencé à livrer les écrans, les parties ne réussissaient pas à trouver un accord sur la teneur finale de certaines dispositions du « Contrat cadre » et des « Conditions d’achat » censés régir la commande. En revanche, les parties parvenaient à s’accorder sur et à signer le Quality Assurance Agreement (QAA) qui devait accompagner ces deux autres contrats. Chacun des documents contractuels discutés entre les parties envisageait la soumission d’éventuels litiges à un tribunal arbitral CCI avec siège à Zurich. Arbitrage initié par l’intimée sur le fondement de la clause d’arbitrage contenue dans le QAA, à la suite de la déclaration de la recourante qu’elle n’entendait pas livrer toutes les unités convenues. C’est à raison que le tribunal arbitral s’est considéré compétent pour décider du litige, malgré le fait que celui-ci ne portait pas sur les obligations spécifiques couvertes dans le QAA, car le langage de ce contrat et de la clause litigieuse, tout comme l’ensemble de la relation contractuelle entre les parties indiquent clairement qu’elles entendaient soumettre à l’arbitrage envisagé dans le QAA (tout comme, en des termes très similaires, dans les projets des autres accords que les parties n’avaient pas signés) l’ensemble des litiges (« contract disputes ») pouvant surgir en relation avec la commande d’écrans adjugée à la recourante (consid. 3.4). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
Art. 190 LDIP al. 2 let. b
(A. [Joint-Venture de droit turc], B. SA, C. SA [actionnaires] c. D. [organisation indépendante régissant la construction d’un grand fleuve artificiel], Etat de Libye). Recours contre la sentence intitulée Partial Award rendue le 22 octobre 2018 par un tribunal CCI. Confirmation de la jurisprudence Westland (arrêt P 1675/1987 du 19 juillet 1988), selon laquelle le droit suisse reconnaît l’indépendance des entités détenues par l’Etat par rapport à ce dernier (consid. 4.5.1). Une convention d’arbitrage signée par une organisation étatique ne lie pas automatiquement l’Etat (non-signataire de la convention) ayant créé cette organisation. En l’espèce, les faits établis dans la sentence attaquée montrent que l’entité D. était indépendante de l’Etat libyen, n’exerçait pas la puissance publique, et avait conclu le contrat litigieux de manière autonome (consid. 4.3). La théorie du droit libyen selon laquelle la responsabilité contractuelle encourue par une entité étatique doit être endossée par l’Etat, à la supposer applicable, est sans pertinence en matière de compétence juridictionnelle (consid. 4.4.2). Les faits constatés par les arbitres ne permettent pas non plus de conclure à une extension de la convention d’arbitrage sur la base du droit suisse (consid. 4.5). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
Art. 190 LDIP al. 2 let. b
(La République X. c. A. N.V [société de droit néerlandais, filiale de B. Ltd], B. Ltd. [société de droit chypriote], C. Ltd [société de droit chypriote], D. Sàrl [société de droit luxembourgeois]). Recours contre la sentence arbitrale partielle rendue le 20 décembre 2017 par un tribunal arbitral ad hoc constitué conformément au Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) et au Règlement CNUDCI. Question de savoir si la « taxe solaire » litigieuse était une « mesure fiscale » au sens de l’art. 21 TCE, auquel cas les intimées ne pouvaient déduire aucun droit de ce traité ni se prévaloir de la clause d’arbitrage figurant en son art. 26. Interprétation du TCE conformément aux art. 31 ss de la Convention de Vienne sur le droit des traités (RS 0.111), qui codifient en substance le droit coutumier international. A la lumière de son analyse de la jurisprudence de la plus haute instance ordinaire du pays hôte de l’investissement, ayant dûment examiné les implications de la désignation formelle de la mesure en question, tout comme son essence, le contexte de son introduction et son but, le tribunal a constaté que la « taxe solaire » n’avait matériellement pas la nature d’un impôt, et n’était donc pas une mesure fiscale au sens de l’art. 21 TCE. Cette interprétation est conforme aux principes applicables en la matière et ne peut donc pas être remise en question (consid. 3). Question du changement stratégique de nationalité, accompli dans le but d’obtenir la protection d’un traité d’investissement qui, sans cette opération, ne trouverait pas application (« Treaty shopping »). Sur le vu des faits constatés dans la sentence, interprétés à la lumière des dispositions pertinentes du TCE et des traités bilatéraux de protection des investissements applicables, les intimées ont bel et bien effectué des investissements protégés par ces traités (consid. 4.1-4.7). Le correctif de l’abus de droit, qui trouve à s’appliquer en tant que principe général du droit international ou même en tant que règle de droit international coutumier, suppose des circonstances exceptionnelles. La situation factuelle présentée dans la sentence, notamment la chronologie des événements et la conduite des parties dans ce contexte, qui montrent que le litige n’était pas nécessairement prévisible, portent à conclure que de telles circonstances ne sont pas réunies en l’espèce (consid. 4.8). Recours rejeté (voir également les consid. 2.4.1-2.4.3 de cet arrêt, résumé ci-dessus, dans la section intitulée Recevabilité, en relation avec l’art. 99 al. 1 LTF).
Antonio Rigozzi, Erika Hasler