Droit des sociétés

Action en responsabilité ; devoir de fidélité et de diligence. Une société de courtage reproche à un ancien administrateur président au moment des faits, d’avoir violé son devoir de diligence, notamment en accordant des conditions de travail trop libres à un courtier employé, et en le surveillant de manière insuffisante ; elle lui réclamait à ce titre l’indemnisation du dommage de CHF 1.5 millions (causé par le versement d’avances sur commissions au courtier, calculées d’après des transactions fictives annoncées par ce dernier), sur la base de l’art. 754 CO (droit des sociétés) et des art. 321a et 321e CO (droit du travail). Le TF commence par rappeler que la diligence due par les administrateurs et autres dirigeants de société se détermine objectivement, en tenant compte des circonstances concrètes ; l’organe doit notamment faire preuve de diligence dans le choix, l’instruction et la surveillance du personnel de direction, étant rappelé que les activités de l’administrateur ou du directeur comportent un certain risque entrepreneurial. Dès lors, les tribunaux doivent faire preuve de retenue lorsqu’ils doivent juger a posteriori des décisions concernant la conduite des affaires. En outre, le devoir de fidélité ancré dans le droit des sociétés est plus vaste que celui prévu par le droit du travail. In casu, se référant à des circonstances nébuleuses, vagues et mal étayées, le TF considère qu’on ne peut pas retenir, à l’encontre de l’ancien administrateur président, une violation de ses devoirs de fidélité et de diligence (qu’ils trouvent leur fondement dans le droit des sociétés ou le droit du travail).

Responsabilité de l’administrateur ; notion de faute. La faute constitue l’une des quatre conditions de l’art. 754 CO, étant précisé qu’une négligence légère suffit. La faute s’apprécie objectivement (c’est-à-dire en fonction de ce que l’on pouvait raisonnablement attendre de l’administrateur dans les circonstances concrètes). Il y a en principe faute lorsque l’administrateur a manqué à son devoir, c’est-à-dire ne s’est objectivement pas comporté comme un administrateur raisonnable dans les circonstances concrètes. Seules des circonstances exceptionnelles peuvent conduire à la conclusion que l’administrateur qui a failli à ses devoirs est exempt de faute (comportement subjectivement excusable) ; pour qu’il en soit ainsi, il faut que la personne recherchée ait été, au moment des faits, en état d’incapacité de discernement, dans une situation de contrainte absolue ou dans celle d’erreur inévitable sur les faits (provoquée par exemple par la tromperie d’un tiers). Dans le cas d’espèce, le TF a considéré, contrairement à l’instance précédente, que l’administrateur ne pouvait pas s’abriter derrière le fait qu’il s’était fié aux administrateurs actifs dans la gestion et aux paroles rassurantes du directeur de la société. Partant, il ne se trouvait pas dans un état d’erreur inévitable, et c’est fautivement qu’il a manqué à ses devoirs, en omettant de veiller à la tenue régulière de la comptabilité et en faisant constater tardivement l’état de surendettement de la société.

Responsabilité de l’administrateur ; qualité pour agir. Lorsqu’une société subit un dommage direct reposant sur un manquement aux devoirs des organes envers la société, l’actionnaire peut agir en son propre nom et réclamer la réparation en faveur de la société pour le dommage qui lui a été causé, en application de l’art. 756 al. 1 CO. En l’espèce, l’actionnaire de la société (une Sàrl qui détenait 60% du capital-actions) disposait bien de la légitimation active pour intenter une action en responsabilité contre l’administrateur, en réclamant réparation en faveur de la société. L’administrateur avait en effet conclu et exécuté un transfert de patrimoine avec une société tierce, à des prix très largement inférieurs à ceux du marché, la société ayant subi un dommage lorsqu’elle avait dû indemniser un créancier qui souhaitait faire révoquer ledit transfert.

Concours de l’action en restitution et de l’action en responsabilité ; solidarité parfaite. Dans la faillite d’une SA (poursuivie), une SA poursuivante, agissant en tant que créancière cessionnaire, ouvre deux actions : l’une en restitution à l’encontre de la SA actionnaire de la SA poursuivie (art. 678 CO), et l’autre en responsabilité à l’encontre du président d’administration et directeur unique de la SA poursuivie et de la SA actionnaire, ainsi qu’à l’encontre de l’organe de révision de la société poursuivie (art. 754 ss CO). Comme confirmé dans cet arrêt, les deux actions précitées sont en relation de concurrence (action à double fondement, « Anspruchkonkurrenz ») et les responsables répondent selon les règles de la solidarité imparfaite (art. 51 al. 1 CO). En effet, on ne saurait attendre de la société poursuivante qu’elle doive d’abord agir par l’action en restitution, avant d’actionner en responsabilité le conseil d’administration et l’organe de révision. Les différentes parties défenderesses répondent donc solidairement de l’intégralité de la prétention.