Droit des sociétés

Art. 693 al. 3 ch. 1, 706 al. 2 CO ; élection de l’organe de révision ; actions à droit de vote privilégié ; voix prépondérante ; principe selon lequel un droit doit être exercé avec ménagement.

Les statuts peuvent conférer au président de l’assemblée générale, en général et en l’espèce le président du conseil d’administration, le vote décisif en cas d’égalité des voix. L’élection du président du conseil d’administration se fait généralement à la majorité des voix et non à la majorité du capital. Mais en combinaison avec le principe de voix prépondérante du président, une personne élue à la majorité des voix peut décider, par sa voix prépondérante, de l’élection de l’organe de révision, même sans l’accord de la majorité du capital. Cette situation de fait est incompatible avec l’art. 693 al. 3 CO qui impose que l’organe de révision soit élu à la majorité du capital-actions. De plus, l’introduction générale, par le biais d’une révision des statuts, d’une voix prépondérante du président du conseil d’administration pour les élections déroge au principe selon lequel les actionnaires majoritaires doivent ménager autant que possible les droits des actionnaires minoritaires (« schonende Rechtausübung ») et a été, à raison, annulé par le Tribunal de première instance. En l’espèce, la modification statutaire a été adoptée sans justification valable, uniquement dans le but d’éviter que l’actionnaire minoritaire puisse refuser de réélire l’organe de révision. Néanmoins, le TF a laissé ouverte la question de savoir si l’ATF 95 II 555 devait être maintenu ou si les statuts peuvent prévoir une voix prépondérante seulement pour les majorités relatives, mais pas en cas de majorités qualifiées.

Art. 718 à 720 CO ; représentation de la société.

La requérante, unique actionnaire de la société en faillite, soutient qu’étant donné que les rapports de travail des deux membres du conseil d’administration de ladite société en faillite avaient pris fin avant la décision de la FINMA relative au transfert du portefeuille d’assurances de la société en faillite, ces derniers ne disposaient plus des pouvoirs d’engager ladite société en faillite et donc ne pouvaient pas recourir contre la décision de transfert du portefeuille et de faillite. Selon la requérante, il fallait lui reconnaître la qualité pour recourir au nom de la société en faillite étant donné qu’il n’y avait plus aucun organe en fonction au moment de la mise en faillite qui aurait conservé la faculté de former un recours contre la décision de la FINMA. Le TF rappelle que la société est liée par les actes qu’accomplissent ses organes dûment habilités d’après l’inscription au registre du commerce. Il n’importe d’ailleurs pas à cet égard que lesdits organes n’aient pas respecté les règles sociales de compétence internes. En effet, ces restrictions internes du droit de représenter la société anonyme concernent uniquement l’autorisation – interne – de représentation (« Vertretungsbefugnis ») ; elles ne déploient aucun effet externe. En revanche, la faculté d’engendrer des obligations juridiques pour la société à l’égard des tiers découle pour sa part du pouvoir de représentation (« Vertretungsmacht »), qui est matérialisé par les données figurant au registre du commerce. Ainsi, il s’ensuit que la fin des rapports de travail n’a eu aucun effet sur le rôle d’organe des personnes citées par la requérante. A cet égard, seul importe ce qui est connu des tiers en tant que cela ressort du journal du registre du commerce, ainsi que des publications y relatives dans la FOSC. Ces personnes avaient donc conservé leurs fonctions d’organe de la société en faillite, et la faillie disposait d’organes en mesure de recourir contre la décision de la FINMA.

Art. 685a ss CO ; clause d’agrément ; actions à droit de vote privilégié ; restrictions de transmissibilité.

žPar l’intermédiaire d’une holding, la famille Burkard détient 16.97% du capital-actions de Sika AG, mais 52.92% des droits de vote, grâce à ses actions à droit de vote privilégié. La famille souhaite aliéner les parts de la holding à la société française Saint-Gobain. Au conseil d’administration, six membres (sur neuf) s’opposent à la transaction, en s’appuyant sur une clause d’agrément leur permettant de refuser la qualité d’actionnaire à l’acquéreur dépassant un seuil de 5% des actions nominatives. La famille Burkard tente alors de remplacer les administrateurs récalcitrants ; en réponse, le conseil d’administration limite le droit de vote des Burkard à 5% pour toute décision portant sur le contrôle de la société. Le Tribunal zougois constate tout d’abord que la clause d’agrément s’applique effectivement, même dans le cas où ce sont les titres de la holding intermédiaire qui sont aliénés. Ensuite, le Tribunal cantonal considère que la limitation des droits de vote était valable, puisqu’il s’agissait de l’unique moyen d’assurer la bonne application de l’agrément.

Art. 678 al. 2 et 680 al. 2 CO ; restitution des prestations de salaires versées à un membre du conseil d’administration.

La masse en faillite d’une SA en liquidation ouvre action contre un membre de son conseil d’administration qui était également actionnaire majoritaire et président du conseil d’administration d’une autre société possédant 77.2% des actions de la société en liquidation. Cette action vise notamment à obtenir la restitution des salaires versés à l’intimé en tant que président et vice-président du conseil d’administration de la société en liquidation. Afin d’obtenir la restitution des salaires versés à un membre du conseil d’administration (art. 678 al. 2 CO), il est nécessaire de démontrer que ledit membre n’a fourni aucune prestation ou qu’elles étaient en disproportion évidente avec son salaire, ce qui n’a pas été démontré (consid. 3.3.5). Etant donné que l’intimé n’était pas directement actionnaire de la société en liquidation, il est également exclu d’obtenir une quelconque restitution par le biais de l’art. 680 al. 2 CO (consid. 3.3.6). Le recours est rejeté.

Art. 678, 697 et 717 CO ; droit aux renseignements ; fardeau de la preuve. Une SA vend des actions de deux sociétés filles à un tiers.

Un actionnaire détenant 22.2% de ladite SA interpelle le conseil d’administration lors de l’assemblée générale, souhaitant connaître le nom des acquéreurs, les raisons de la vente à ces personnes, ainsi que le montant et la méthode de détermination du prix de vente. La société refuse de lui livrer la majorité de ces informations. L’information relative au nom de la personne ayant évalué la valeur des actions n’est pas non plus déterminante lorsqu’elle est requise par n’importe quel actionnaire ; c’est à l’actionnaire se considérant lésé de prouver en quoi le refus de communiquer le nom exact l’empêche d’exercer ses droits d’actionnaire. Enfin, le TF constate que l’actionnaire possédait divers documents lui permettant de se faire une image générale des transactions ayant eu lieu. Le TF précise plusieurs fois que, lorsqu’il invoque son droit aux renseignements, l’actionnaire doit prouver que les informations qu’il requiert lui seraient nécessaires pour exercer ses droits d’actionnaires. En l’espèce, ledit actionnaire n’a pas amené cette preuve ; partant, le recours est rejeté et les frais et dépens mis à la charge de l’actionnaire.

Art. 164 et 683 CO ; cession d’actions au porteur non incorporées dans un papier valeur ; fardeau de la preuve.

Deux administrateurs vendent 30 actions à un employé de la société. Le prix est payé mais aucun certificat d’actions n’est remis à l’employé. Ce dernier exige la délivrance des actions et le paiement des dividendes non versés afférant aux trois derniers exercices. La société considère que la propriété des actions n’a jamais été transférée. Le TF rappelle que le titulaire d’actions au porteur non incorporées ne peut être identifié que sur la base d’une chaîne ininterrompue de cessions. Ainsi, l’employé ayant acquis les actions aurait dû apporter la preuve d’une chaîne ininterrompue de cessions remontant jusqu’à la fondation de la société, ce qu’il n’a pas fait. En outre, même si la société était partie à la convention de vente et d’emption, l’employé savait pertinemment que les actions n’avaient pas été émises et était conscient de la preuve à fournir.

Art. 221 al. 1 let. a CPC.

La succursale et le siège de la société constituent ensemble une seule et même entité juridique. En tant que telle, la succursale ne peut pas revêtir la qualité de partie ni ester en justice. Si la succursale figure sur la page de garde (« Rubrum ») d’une demande en justice, il ne peut y avoir de doute sur l’identité de la partie, qui est l’établissement principal. Ainsi tout risque de confusion pouvant être exclu, une correction de la désignation de la partie doit être autorisée selon le TF. Le tribunal de première instance aurait donc dû corriger la désignation de la partie ou au moins donner au recourant l’opportunité de le faire.

Art. 731b, 941a et 938a CO ; 154 al. 3 ORC ; carence dans l’organisation de la société ; décès de l’unique membre du conseil d’administration ; devoir d’ouvrir une procédure de carence.

Le préposé au registre du commerce du canton de Zurich requiert du juge qu’il prenne les mesures nécessaires, au sens de l’art. 731b al. 1 CO, à l’encontre d’A AG du fait de carences dans l’organisation, le conseil d’administration ne comptant plus aucun membre. A ce sujet, le TF rappelle que le préposé au registre du commerce est non seulement habilité, mais également obligé de requérir du juge qu’il prenne les mesures nécessaires en cas de carences dans l’organisation d’une société. En outre, le TF précise que la procédure relative à une carence dans l’organisation de la société est indépendante de celle relative à la radiation d’office de la société dans l’éventualité où une société n’exerce plus d’activités et n’a plus d’actifs réalisables.

Art. 731b CO ; carence dans l’organisation de la société.

Le TF rappelle que l’art. 731b al. 1 CO n’énumère pas limitativement les mesures à envisager par le juge. Il déduit du mot « notamment » que des mesures autres que celles prévues litteris verbis peuvent aussi être adoptés. Mais le principe de proportionnalité doit tout de même être respecté. Ainsi la dissolution, suivie de la liquidation de la société ne peuvent être ordonnées que dans l’éventualité où aucune autre mesure moins rigoureuse n’est apte au rétablissement d’une situation conforme au droit. En l’espèce, le fonctionnement de la société est bloqué par un conflit persistant entre les deux seuls actionnaires et membres du conseil d’administration de la société anonyme. Il est donc admissible d’envisager une vente aux enchères à l’issue de laquelle l’un des actionnaires acquerra les actions de l’autre, ce qui mettra fin au blocage.

Art. 754, 758 et 759 CO ; responsabilité du conseil d’administration, Business Judgment Rule, conflit d’intérêts, fardeau de la preuve, décharge, solidarité.

Le TF reconnaît que les tribunaux doivent user de prudence dans l’appréciation ultérieure des décisions commerciales qui résultent d’une prise de décision basée sur un niveau d’informations adéquat et sans conflit d’intérêts. En l’espèce, le tribunal présume que le processus de prise de décision est déficient du fait du manque de documents justificatifs ainsi que du manque de réunions du conseil d’administration. Le tribunal confirme qu’il y a bien une violation du devoir de diligence. Dans le cadre d’une action en responsabilité, le fardeau de la preuve relatif à la violation des devoirs des membres du conseil d’administration doit être supporté par le demandeur. Toutefois, ces devoirs sont présumés violés lorsqu’un conflit d’intérêts est avéré. Le TF rappelle que la décharge donnée par l’assemblée générale ne porte effet que sur les éléments divulgués lors de l’assemblée générale à condition que leur importance n’ait pas été minimisée et que les actionnaires n’aient pas été trompés. Le TF rappelle encore que l’étendue de la responsabilité solidaire dépend également des rapports externes qu’entretenait la personne concernée avec les tiers. Une restriction de la responsabilité à l’égard des tiers est toutefois consacrée, avec restriction, dans la jurisprudence. Le fait que le défendeur était membre du conseil d’administration mais n’exerçait aucune fonction, ni n’avait accès à aucune information ne plaide pas en faveur d’une réduction de sa responsabilité.

Art. 754 CO ; responsabilité du conseil d’administration ; prise en compte des passifs.

Suite à la décision du tribunal cantonal, le recourant, ancien président du conseil d’administration de la société faillie, se conforme de manière adéquate à son fardeau de contestation en rejetant notamment le fait de ne pas avoir aliéné tous les actifs inscrits au bilan par le biais d’un contrat de vente, ainsi que le fait que la société faillie les ait soustraits avant ou lors de la vente à un tiers. Par conséquent, il incombe à la partie adverse de détailler ses revendications de façon à apporter la preuve de ce qu’elle allègue. La partie adverse n’ayant procédé de la sorte, il n’est pas établi que le recourant ait manqué à ses devoirs (consid. 3.3). Le dommage ne peut pas non plus être admis du fait que le recourant soulève qu’il est inadmissible que l’autorité précédente retienne uniquement les actifs sans tenir compte des passifs (consid. 4.2). Le recours est partiellement admis. Le jugement attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l’autorité précédente pour une nouvelle décision.

Art. 827 et 754 CO ; responsabilité de l’administrateur ; conflits d’intérêts ; Business Judgment Rule.

A prête CHF 100’000.- à C Sàrl. C Sàrl prête ces CHF 100’000.- à D SA, sans lui transférer les fonds. A la place, C Sàrl utilise ces fonds pour payer diverses dettes de D SA, pour éviter la faillite de cette dernière : CHF 65’000.- à l’Office des poursuites de Disentis (GR), CHF 15’000.- à F SA et CHF 20’000.- à E SA. C Sàrl vire l’argent. D SA et E SA sont impliquées dans un projet immobilier. Il s’avère que l’administrateur de C Sàrl, B, est aussi administrateur unique de E SA. C Sàrl est ensuite transformée en SA. C SA tombe en faillite, laquelle est clôturée faute d’actifs. Les créances de C SA contre son administrateur B sont cédées à A (art. 131 al. 2 LP). Le TF commence par rappeler la Business Judgment Rule suisse : il n’examine les décisions des administrateurs qu’avec retenue, lorsqu’elles ont été prises au cours d’un processus décisionnel irréprochable, reposant sur une base d’informations adaptée et exempte de conflits d’intérêts. Si tel est le cas, le juge doit uniquement vérifier si la décision était défendable (« vertretbar »). Il s’agit en l’espèce de déterminer si B avait un conflit d’intérêts et si, partant, l’octroi d’un prêt non garanti à D SA était une décision fautive (« fehlerhafter Entscheid »). Le TF suit l’instance précédente, et constate que le prêt octroyé à D SA avait pour but de sauver D SA et donc le projet immobilier. Il s’agit là d’une décision commerciale, certes risquée, mais habituelle pour des sociétés actives dans l’immobilier. Le prêt est donc licite et la responsabilité de B niée.

Art. 725 al. 2, 754 CO ; surendettement ; calcul du dommage ; responsabilité de l’administrateur.

Une SA se trouve en situation de surendettement, vraisemblablement depuis septembre 2003. Le conseil d’administration n’a pas réagi jusqu’à février 2004, date à laquelle il a déposé une requête de sursis concordataire. Une procédure est ouverte par un créancier cessionnaire contre l’administrateur, pour le dommage de poursuite d’exploitation. Après avoir rappelé que le dommage de poursuite d’exploitation consiste en « l’augmentation du découvert entre le moment où la faillite aurait été prononcée si l’administrateur n’avait pas manqué à ses devoirs et le moment (impliquant une perte supérieure) où la faillite a effectivement été prononcée », notre Haute cour constate que les deux dates n’ont pas été établies correctement par l’instance inférieure. En ce qui concerne le dies a quo, ce n’est pas le moment où le surendettement est constaté qui est déterminant, mais le moment où la faillite aurait dû être prononcée. Le TF rappelle ensuite que seule la valeur de liquidation compte lorsqu’il s’agit de calculer ledit dommage. Enfin, le Tribunal constate que le créancier n’est pas parvenu à apporter la preuve du dommage de manière suffisante.

Art. 42 al. 2, 725 al. 2, 755 al. 1 CO ; action en responsabilité dirigée contre l’organe de révision ; calcul du dommage de poursuite d’exploitation.

žLe TF rappelle que pour déterminer le dommage consécutif à la tardiveté de l’avis au juge (« Konkursverschleppungsschaden ») de manière conforme au droit fédéral, il faut procéder à une comparaison, aux valeurs de liquidation, entre le solde ressortant des documents comptables au moment de la violation du devoir d’avis au juge et la perte la plus élevée existant au moment de l’ouverture effective de la faillite. Lorsque le juge doit déterminer le montant exact du dommage conformément à l’art. 42 al. 2 CO, il incombe à la partie lésée, dans la mesure du possible et du raisonnable, d’alléguer et d’établir toutes les circonstances qui ont causé la survenance du dommage et d’en faciliter ou permettre l’évaluation. Les circonstances soulevées par la partie lésée doivent être de nature à prouver suffisamment l’existence et l’ampleur du dommage. En l’espèce, il n’existait pas de bilans provisoires aux dates déterminantes. La masse en faillite a alors calculé le dommage sur la base de différents documents comptables auxquels elle a appliqué des correctifs de valeur. Cependant, le TF arrive à la conclusion que le recours n’était pas suffisamment motivé pour remplir les conditions de l’art. 42 al. 2 CO ; la masse en faillite n’ayant pas indiqué les raisons ayant donné lieu aux corrections de valeur des divers documents comptables, ni les critères ayant été appliqués.

Art. 754 et 757 CO ; légitimation active du créancier ; faillite ; radiation et perte de la personnalité juridique.

En 2007, une SA emprunte € 600’000 à C. Elle tombe en faillite et est radiée du RC en 2009 ; la faillite est clôturée faute d’actifs. En 2010, C et B, un autre créancier, ouvrent une action en responsabilité contre A, à l’époque l’administrateur unique de la SA faillie désormais radiée, selon les art. 757 et 754 CO. Le TF constate que la SA a perdu la personnalité juridique lorsqu’elle a été radiée du RC. Le TF précise que pour faire valoir valablement ses prétentions selon l’art. 757 al. 2 CO, le créancier doit tout d’abord requérir la réinscription au RC de la société faillie, puis faire établir un nouvel état de collocation. Dans le cas de l’art. 757 al. 2 CO, le créancier mène certes l’action en son propre nom, mais fait valoir les droits d’un tiers (« Prozessstandschaft »), soit la société faillie. Si la société n’existe plus, la titularité des droits (« Rechtsträger der eingeklagten Forderung ») fait également défaut et le créancier est dépourvu de légitimation active. En l’espèce, le TF donne tort aux créanciers, qui n’ont ni requis la réinscription au RC ni fait établir un nouvel état de collocation.