Arbitrage

TF 4A_231/2014

2014-2015

( SA c. B.)

Recours en matière civile et demande de révision connexes visant la même sentence arbitrale, rendue le 3 mars 2014 par un tribunal arbitral CCI. Recours en matière civile traité en priorité (consid. 2 ; pour la décision sur la demande de révision, voir l’arrêt 4A_247/2014 du même jour, résumé sous la note marginale « Révision (art. 123 LTF) » ci-dessous). Selon la conception juridique suisse, les promesses de versement de pots-de-vin sont contraires aux mœurs et partant nulles. La jurisprudence a également retenu que de telles promesses contreviennent à l’ordre public. Toutefois, pour que le grief de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP soit admis, il faut que la corruption soit établie et que le tribunal arbitral ait refusé d’en tenir compte dans sa sentence. En l’espèce, le tribunal a considéré que l’allégation de corruption n’avait pas été prouvée par la recourante (consid. 5.1). Argument de cette dernière selon lequel le tribunal aurait méconnu l’ordre public transnational en lui ordonnant le paiement de commissions qui l’exposeraient au risque d’être sanctionnée sur la base de dispositions du droit pénal édictées par les Etats-Unis et l’Angleterre (UK Bribery Act 2010 et Foreign Corrupt Practices Act). Motivation manifestement insuffisante du recours sur ce point (consid. 5.2). (Au sujet du contenu de la notion d’ordre public matériel au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, voir également l’arrêt 4A_634/2014 (consid. 5.2.2), résumé dans le chapitre « Droit du sport » de cet ouvrage).

(Y. SA et Z. SA c. B. B.V. et V. Ltd et W. SA c. B B.V.) 

Recours contre les sentences rendues le 17 juillet 2014 par un tribunal arbitral CCI ; causes jointes.

En l’espèce, le tribunal arbitral a retenu, sur la base d’une appréciation des preuves qui échappe à l’examen du TF, que l’allégation de corruption visant l’intimée n’avait pas été prouvée. Dès lors, le reproche fait aux arbitres d’avoir violé l’ordre public en ordonnant le paiement de commissions relatives à des contrats qui seraient frappés de nullité pour cause de corruption tombe à faux (consid. 5.1). Faute pour les recourantes d’avoir établi l’existence de paiements illégitimes attribuables à l’intimée et compte tenu du fait que l’adage « le pénal tient le civil en l’état » ne relève pas, selon la jurisprudence, de l’ordre public procédural au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, le tribunal a également conclu, par un raisonnement que les arguments avancés par les recourantes ne parviennent pas à infirmer, qu’il ne se justifiait pas de surseoir au prononcé des sentences jusqu’à droit jugé dans la procédure pénale pendante en Angleterre, issue d’enquêtes portant sur des soupçons de corruption en lien avec des projets auxquels avaient participé des sociétés du même groupe que les recourantes (consid. 5.2). Recours rejeté.

TF 4A_606/2013

2014-2015

(Sàrl X. [société de droit algérien] c. Y. AG [société de droit allemand])

Recours contre la sentence rendue le 25 octobre 2013 par un tribunal arbitral CARICI.

Selon la jurisprudence, un tribunal arbitral viole l’ordre public procédural non seulement s’il statue sans tenir compte de l’autorité de la chose jugée d’une décision antérieure, mais aussi s’il s’écarte, dans sa sentence finale, de l’opinion qu’il a précédemment émise dans une sentence préjudicielle tranchant une question préalable de fond. A la lumière de cette règle bien établie, le tribunal ne pouvait pas revenir sur la question de la portée de l’accord litigieux entre les parties, qu’il avait réglée à titre préalable dans une sentence antérieure. Il n’a donc pas violé le droit d’être entendue de la recourante en refusant de tenir compte de ses arguments à ce sujet dans les phases ultérieures de l’arbitrage (consid. 3 et 4.2.3.1). L’autorité de la chose jugée vaut également sur le plan international et gouverne, entre autres, les rapports entre un tribunal arbitral siégeant en Suisse et une juridiction étatique étrangère. Cela étant, les décisions rendues dans le cadre de procédures étatiques statuant sur le blocage du paiement d’une garantie par voie de mesures provisionnelles ou au moyen d’un séquestre ne bénéficient pas de l’autorité de la chose jugée (consid. 6.3.2). Par ailleurs, le grief visant le refus du tribunal de récuser un expert pour violation du devoir d’indépendance et d’impartialité doit lui aussi être examiné sous l’angle de la garantie subsidiaire de l’ordre public procédural au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, et non de l’exigence de la composition régulière du tribunal arbitral selon l’art. 190 al. 2 let. a LDIP, l’expert n’étant pas un membre du tribunal. En revanche, la règle jurisprudentielle à caractère général selon laquelle la partie qui entend récuser un arbitre doit invoquer le motif de récusation aussitôt qu’elle en a connaissance, sous peine de forclusion, s’applique également à la récusation d’un expert nommé par le tribunal. Demande de récusation déposée tardivement (consid. 6.2). Recours rejeté.

TF 4A_633/2014 *

2014-2015

(A. LLP [Etude d’avocats ayant son siège aux USA] c. B. [avocat domicilié en Allemagne])

Recours contre la sentence rendue le 29 septembre 2014 par un Tribunal arbitral CCI siégeant à Zurich. Viole l’ordre public procédural le tribunal arbitral qui statue sans tenir compte de l’autorité de la chose jugée d’une décision antérieure. Sur le plan international, l’autorité de la chose jugée gouverne, entre autres, les rapports entre tribunaux arbitraux ayant leur siège dans des Etats différents. Si donc une partie saisit un tribunal arbitral siégeant en Suisse d’une demande identique à celle qui a fait l’objet d’une sentence arbitrale exécutoire, rendue entre les mêmes parties, par un tribunal arbitral siégeant dans un autre Etat (in casu, l’Allemagne), le tribunal arbitral suisse, sous peine de s’exposer au grief de la violation de l’ordre public procédural, devra déclarer cette demande irrecevable, pour autant que la sentence étrangère soit susceptible d’être reconnue en Suisse en vertu de l’art. 194 LDIP.

Sous réserve des dispositions spéciales contenues dans des traités internationaux, la question de savoir si les demandes sont identiques doit se résoudre en application de la lex fori, soit, pour un tribunal arbitral siégeant à Zurich, les principes pertinents du droit suisse. Selon ces mêmes principes, les effets attachés à l’autorité de la chose jugée d’une sentence étrangère dépendent du droit de son Etat d’origine. Toutefois, une sentence reconnue n’a en Suisse que l’autorité de la chose jugée qui serait la sienne si elle émanait d’un tribunal arbitral suisse. Par conséquent, contrairement à ce que soutient la recourante, l’autorité de la force jugée d’une sentence étrangère en Suisse ne s’attache qu’au seul dispositif, à l’exclusion des motifs, même si (par hypothèse) selon le droit de l’Etat d’origine ces derniers bénéficient eux aussi de l’autorité de la chose jugée. En l’espèce, c’est à raison que le tribunal arbitral suisse a déterminé que la demande dont il était saisi n’était pas identique à celle qui avait été soumise au tribunal allemand. Même à supposer que ces demandes eussent été identiques, en vertu de la conception suisse de l’autorité de la chose jugée, le tribunal siégeant à Zurich n’était pas lié par les considérants de la sentence du tribunal allemand au sujet de l’interprétation du contrat dont étaient issues les demandes des parties dans les deux arbitrages (consid. 3.2). Recours rejeté. (Au sujet de l’autorité de la chose jugée en tant que composante de l’ordre public procédural au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, voir également l’arrêt 4A_374/2014 (consid. 4.3.1 et 4.3.2.3), résumé dans le chapitre « Droit du sport » de cet ouvrage).