Droit du travail

TF 8C_147/2022 (f)

2022-2023

Congé immédiat ; manquement grave. Les principes jurisprudentiels développés au regard de l’art. 337 CO ne sont pas sans autre transposables aux rapports de travail de droit public. En ce domaine, le licenciement se fait en général par voie de décision motivée et il est souvent précédé d’une enquête, en particulier quand il s’agit d’étayer ou d’infirmer des soupçons. L’intéressé bénéficie en outre des garanties propres à la procédure administrative, en particulier du droit d’être entendu. Des motifs objectifs (droit d’être entendu, spécificités de la procédure administrative) peuvent justifier selon les cas d’accorder à l’employeur de droit public un délai de réaction plus long qu’en droit privé, mais celui-ci ne doit pas pour autant laisser traîner les choses (rappel de jurisprudence, consid. 4.2.2). En l’espèce, le licenciement immédiat prononcé par la Ville de Genève doit être annulé et l’huissier du musée réintégré dans ses fonctions, le fait qu’il ait eu une altercation avec un usager n’étant pas suffisant au vu de sa grande ancienneté, de sanctions administratives précédentes trop anciennes pour être liées. On peut par ailleurs imaginer que les tentatives de suicide de sa fille, si elles ne l’empêchaient en principe pas d’accomplir ses obligations professionnelles et n’excusent pas son comportement, ont joué un rôle dans sa réaction face à un visiteur qui tenait absolument à se faire servir un café dans un restaurant fermé en raison des restrictions sanitaires dues au Covid-19 et qui a lui-même admis être sorti de ses gonds. On notera encore que selon un rapport évoqué par la Cour cantonale, le vaccin contre le Covid-19 reçu par le recourant la veille de l’altercation peut – au vu des effets indésirables répertoriés de ce vaccin – avoir joué un rôle prépondérant dans l’insomnie et l’épisode d’agitation qui s’en sont suivis (consid. 7.2.2).

Licenciement ; vaccination obligatoire, militaire ; le licenciement d’un militaire de l’armée suisse ayant refusé de se faire vacciner contre le covid-19 reposait sur des motifs objectivement suffisants, l’obligation de vaccination étant proportionnée, dès lors qu’il s’agissait de pouvoir détacher immédiatement l’intéressé à l’étranger. Selon l’art. 20 al. 1 LPers, l’employé est tenu d’exécuter avec soin le travail qui lui est confié et de défendre les intérêts légitimes de la Confédération et de son employeur. S’agissant du personnel militaire, cette obligation est inhérente à la structure et à la mission de l’armée, l’art. 32 al. 2 LAAM disposant que les militaires doivent obéissance à leurs supérieurs dans les affaires relevant du service. La désobéissance à un ordre – pour autant que celui-ci reste dans les limites du contrat et de la loi – peut constituer à tout le moins un motif objectivement suffisant de résiliation du contrat de travail lorsque l’injonction ou la prescription concerne des intérêts importants de l’employeur (consid. 3.2). La gravité de l’atteinte à un droit fondamental se détermine selon des critères objectifs et la vaccination constitue une atteinte légère, inoffensive et peu douloureuse à l’intégrité corporelle (consid. 3.4.2). Dans le cadre d’un tel rapport de puissance publique spécial, a fortiori lorsque la personne y a librement adhéré, une base légale matérielle, telle qu’une ordonnance, est suffisante si elle peut être rattachée à une base légale formelle même générale (consid. 3.4.4). En l’espèce, l’art. 7 al. 1 OPers-PPOE constitue une base légale suffisante à la mesure en cause, laquelle peut être imposée au personnel des forces spéciales indépendamment des prévisions de l’art. 35 LAAM, qui vise quant à lui à lutter contre des affections transmissibles ou graves en prévenant un risque élevé d’infection (consid. 5.1). Le recourant ne conteste pas que la mesure litigieuse soit apte à atteindre le but visé, soit assurer la disponibilité opérationnelle immédiate du personnel militaire du DRA10 pour des engagements au pied levé à l’étranger dans l’intérêt de la Suisse et ne démontre pas que ce but aurait pu être atteint par une mesure moins incisive (consid. 5.2).

TF 8C_633/2021 (f)

2022-2023

Fonction publique ; égalité de traitement ; contrats en chaîne ; abus de droit ; handicap ; discrimination. Selon la jurisprudence cantonale genevoise, lorsque l’autorité d’engagement maintient artificiellement une employée ou un employé dans un statut d’auxiliaire par des contrats successifs ininterrompus pour éluder les garanties offertes par la loi aux titulaires d’un emploi fixe, elle commet un abus de droit et la personne concernée doit être considérée comme un membre du personnel régulier (consid. 3.5). La règle de l’art. 8 Cst. interdit toute mesure étatique défavorable à une personne et fondée sur le handicap, sauf si cette mesure répond à une justification qualifiée (rappel de jurisprudence, consid. 4.1). L’interdiction de discrimination de l’art. 5 par. 1 CDPH est directement justiciable (rappel de jurisprudence, consid. 4.2). En l’espèce, les faits que la recourante a allégués et qu’elle a offert de prouver en instance cantonale sont de nature à influer sur la décision à rendre, dans la mesure où il pourrait en résulter que l’intimé se serait écarté, en raison de préjugés liés au handicap de la recourante, d’une pratique administrative qui l’aurait conduit à engager cette dernière à titre pérenne après trois ans comme auxiliaire. C’est donc en violation de l’art. 29 al. 2 Cst. que la Cour cantonale a rejeté les réquisitions de la recourante tendant à l’audition comme témoin de sa médecin traitante, qui pourrait établir les propos tenus par le médecin-conseil de l’intimé, et à la production des pièces qui permettraient d’établir une pratique administrative que les juges cantonaux ont considéré à tort comme d’emblée non pertinente du fait que la recourante n’avait selon le droit cantonal aucun droit à la prolongation de son contrat ni à être engagée dans un autre poste au sein de l’intimé. En effet, s’il devait s’avérer que c’est en raison de préjugés liés au handicap de la recourante (en lien éventuellement avec sa grossesse) que l’intimé s’est écarté d’une pratique administrative consistant à nommer fonctionnaires les auxiliaires ayant occupé un poste sans interruption depuis trois ans (cf. art. 47 al. 3 RPAC) s’ils donnent satisfaction – étant précisé que l’intimé ne conteste pas que des postes correspondant au profil de la recourante étaient ouverts au moment du départ de celle-ci, qui avait alors recouvré une capacité de travail de 50% –, cela serait de nature à constituer une discrimination au sens de l’art. 8 al. 2 Cst. et des art. 5 et 27 par. 1 CDPH, voire au sens de l’art. 3 al. 2 LEg. Il y aurait alors lieu d’examiner les conséquences juridiques d’un tel constat, étant rappelé que la recourante conclut principalement à sa réintégration au sein du personnel de l’intimé avec les aménagements raisonnables nécessaires et subsidiairement au paiement d’une indemnité correspondant à vingt-quatre mois de traitement (consid. 6.2.2). Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par Me Christine Sattiva Spring publiée in Newsletter droitdutravail.ch août 2022.

TF 2C_868/2021 (f)

2022-2023

Droit collectif ; reconnaissance syndicale ; loyauté. Le refus des Hôpitaux de reconnaître l’association comme partenaire social pour défaut de loyauté est confirmé. Dès lors que les syndicats ont le droit de défendre les intérêts de leurs membres, le fait qu’un syndicat soit ou ait été en conflit avec l’employeur, voire avec un autre partenaire social, n’est pas suffisant pour retenir un manque de loyauté, pour autant que son comportement reste ou soit demeuré loyal à cette occasion (consid. 6.2). Les condamnations pénales de deux des représentants de l’association constituaient en l’espèce des éléments pertinents pour examiner le critère de la loyauté et ce, même si ces condamnations ne la concernaient pas directement et que l’une d’elles remonte à plusieurs années (consid. 6.5). Lorsque la procédure de reconnaissance est en cours, le futur partenaire social n’a pas à faire pression pour obtenir son statut et les droits qui vont avec, à moins que l’employeur tarde à se prononcer sans motif (consid. 6.5). Le critère de distinction, en l’occurrence l’absence de loyauté, est objectif et de nature à justifier la différence de traitement dénoncée (consid. 7). Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par la Prof. Karine Lempen publiée in Newsletter droitdutravail.ch février 2023.

ATF 149 III 98 (f)

2022-2023

Licenciement collectif ; notion d’établissement ; les licenciements prononcés dans des établissements proches géographiquement doivent être comptabilisés séparément. Chaque office de poste (qui est une filiale) est un « établissement » au sens de l’art. 335d CO, à savoir une structure organisée, qui est dotée en personnel, en moyens matériels et immatériels qui permettent d’accomplir les objectifs de travail et qui bénéficie d’une certaine autonomie, sans que cette autonomie ne doive être financière, économique, administrative, juridique ou ne nécessite la compétence de décider seule d’un licenciement collectif (consid. 5.6).

TF 8C_719/2021 (f)

2022-2023

Egalité femmes-hommes ; discrimination à l’embauche ; degré de preuve. L’art. 6 LEg (allègement du fardeau de la preuve) ne s’applique pas à l’embauche. La personne qui allègue une discrimination à l’embauche doit donc établir qu’elle n’a pas été engagée en raison d’un motif discriminatoire et, en application de l’art. 8 CC, elle doit prouver l’existence de ce motif et son caractère causal dans la décision du refus d’embauche (consid. 2.2). Au vu de la difficulté – voire de l’impossibilité dans la plupart des cas – d’apporter une preuve stricte d’une discrimination à l’embauche, le juge peut se satisfaire d’une preuve fondée sur une vraisemblance prépondérante : le contenu de l’offre d’emploi, la motivation écrite du refus d’embauche, un comportement contradictoire de l’employeur constituent autant d’indices pertinents (consid. 2.4). En faisant abstraction, sans explication, de l’avis des experts de la Commission cantonale de conciliation en matière d’égalité entre les sexes dans les rapports de travail, dont le rapport constitue incontestablement un moyen de preuve pertinent dans un litige portant sur la question d’une discrimination à l’embauche, la Cour cantonale a fait preuve d’arbitraire (consid. 4.4). Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par Me Anne Roux-Fouillet publiée in Newsletter droitdutravail.ch avril 2023.

TF 4A_215/2022 (f)

2022-2023

Licenciement abusif ; mobbing ; discrimination. Si le mobbing a provoqué chez le travailleur une baisse de rendement ou une période de maladie et s’il a été toléré par l’employeur en violation de son obligation résultant de l’art. 328 al. 1 CO, celui-ci ne peut pas en tirer argument pour licencier le travailleur, parce que cela reviendrait à invoquer ses propres fautes, soit l’absence de mesures efficaces contre le mobbing, pour en tirer avantage au détriment du travailleur, ce qui est contraire à la bonne foi (rappel de jurisprudence, consid. 4.1). Est rejeté le recours de l’employeuse contre l’arrêt cantonal ayant confirmé sa condamnation à une indemnité de cinq mois de salaire pour licenciement abusif : l’absence de prise de mesures durables et efficaces pour faire cesser la situation de mobbing dont le demandeur était victime (discrimination et racisme), en violation de son devoir de protéger la personnalité de son employé découlant de l’art. 328 CO. Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par Me Stéphanie Fuld publiée in Newsletter droitdutravail.ch janvier 2023.

TF 4A_548/2021 (f)

2022-2023

Procédure ; compétence ratione loci ; lieu de travail ; télétravail. Le « lieu où le travailleur exerce habituellement son activité professionnelle » est celui où se situe effectivement et concrètement le centre de l’activité concernée, les circonstances du cas concret étant décisives (tant du point de vue quantitatif que qualitatif). Lorsque le travailleur est occupé simultanément dans plusieurs endroits, prévaut celui qui se révèle manifestement central, du point de vue de l’activité fournie. La recherche de ce lieu doit se faire en fonction des liens effectifs que le travailleur a entretenus avec un certain endroit. Le lieu de travail prédéfini dans le contrat cède le pas devant le lieu où le travailleur a effectivement exercé son activité de façon habituelle. En d’autres termes, la manière dont la relation de travail s’est effectivement déroulée prime sur l’accord théorique préalable, que les parties sont libres de modifier. La seule réserve concerne le cas où le contrat n’est pas venu à chef ou n’a pas été suivi d’effet (consid. 4.2). En cas de travail à distance, par informatique et téléphone, l’endroit (ou les endroits) où était accomplie cette activité est certes digne de considération. Toutefois, il s’agit d’un élément parmi d’autres, voué à s’insérer dans l’appréciation globale des éléments quantitatifs et qualitatifs permettant de désigner le lieu habituel de l’activité (consid. 4.5). Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par Me Nathalie Bornoz publiée in Newsletter droitdutravail.ch décembre 2022.

TF 4A_205/2021 (f)

2022-2023

Prohibition de concurrence ; validité ; clientèle. Une clause de prohibition de concurrence fondée sur la connaissance de la clientèle ne se justifie que si l’employé, grâce à sa connaissance des clients réguliers et de leurs habitudes, peut facilement leur proposer des prestations analogues à celles de l’employeur et ainsi les détourner de celui-ci. Ce n’est que dans une situation de ce genre que, selon les termes de l’art. 340 al. 2 CO, le fait d’avoir connaissance de la clientèle est de nature, par l’utilisation de ce renseignement, à causer à l’employeur un préjudice sensible. A l’inverse, lorsque l’employé noue un rapport personnel avec le client en lui fournissant des prestations qui dépendent essentiellement des capacités propres à l’employé, le client attache de l’importance à la personne de l’employé pour lequel il éprouve de la confiance et de la sympathie ; le client attache plus d’importance aux capacités personnelles de l’employé qu’à l’identité de l’employeur (consid. 4.2). En l’espèce, la clause de non-concurrence d’un directeur de société n’est pas valable. Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par Me Marie-Christine Balzan publiée in Newsletter droitdutravail.ch mars 2023.

ATF 148 II 426 (f)

2022-2023

Location de services ; plateforme numérique Uber Eats ; compte tenu de la structure de la plateforme mise en place, Uber n’est pas un simple intermédiaire entre les acteurs (consid. 6.2). L’existence d’une relation de travail doit être examinée pour chaque plateforme en fonction du modèle économique mis en place (consid. 6.4). Les livreurs de la plateforme Uber Eats sont évalués tant par les restaurateurs que par les destinataires. Une évaluation moyenne insuffisante peut conduire à un avertissement, voire à l’exclusion de la plateforme si la note ne s’améliore pas dans le délai imparti. Ce système de notation constitue un moyen de contrôle des livreurs, qui les place dans une relation de subordination à l’égard de la plateforme (consid. 6.5.1). La géolocalisation des livreurs constitue un moyen de contrôle de leur activité et pas seulement d’attribution des livraisons (consid. 6.5.2). Enfin, le contrat contient d’autres consignes exposant le livreur à des restrictions d’accès voire à la désactivation de son compte, démontrant un contrôle strict sur la manière dont est exécutée la prestation. Ces éléments sont caractéristiques d’un lien de subordination (consid. 6.5.3). Au vu de ce qui précède, l’existence d’un rapport de subordination propre à la relation de travail entre Uber et les livreurs est confirmée (consid. 6.5.4). Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par Sabrine Magoga-Sabatier publiée in Newsletter droitdutravail.ch octobre 2022.

TF 4A_479/2021 (f)

2022-2023

Congé abusif ; déclaration de volonté ; interprétation ; congé-représailles. La résiliation du contrat de travail est une manifestation de volonté unilatérale par laquelle une partie déclare mettre fin de son propre chef aux rapports de travail. Ce faisant, elle exerce un droit formateur qui déploie ses effets dès qu’il parvient au destinataire : le principe de réception fait foi. La loi ne requiert aucune forme particulière, mais la volonté exprimée doit être claire et exempte d’incertitudes. En l’espèce, le courriel du 2 août 2017 (« Je dois donc vous annoncer que vous allez recevoir un courrier de licenciement d’ici demain. ») ne saurait être interprété objectivement comme un licenciement. Au vu de la missive qui a suivi ce courriel et du contexte du cas d’espèce, il ne constituait pas l’exercice (anticipé) du droit de résilier le contrat, mais un simple avis, une communication d’intention (consid. 4.4). Les constatations factuelles excluent la thèse d’un congé-représailles abusif au sens de l’art. 336 CO. Peu importe qu’il n’ait pas été précédé d’un avertissement et que l’employeuse ait opéré des déductions sur salaire dont le bien-fondé n’a pas été établi. Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par Me Christine Sattiva Spring publiée in Newsletter droitdutravail.ch janvier 2023.

ATF 148 II 551 (f)

2022-2023

Congé abusif ; indemnité ; impôt. L’indemnité pour licenciement abusif est exonérée d’impôt. Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par le Prof. Thierry Obrist et Leila Oufqir publiée in Newsletter droitdutravail.ch mai 2023.

TF 4A_307/2022 (f)

2022-2023

Congé abusif ; fin des rapports de travail ; motif réel ; arbitraire ; travailleur âgé ; indemnité à raison des longs rapports de travail. Pour résoudre la question juridique d’un éventuel abus de droit, il faut établir au préalable le motif réel du congé, opération qui relève de l’appréciation des preuves. Du moment que le motif réel du licenciement a été établi, la partie qui conteste l’appréciation des juges inférieurs doit en démontrer l’arbitraire (rappel de jurisprudence). En l’espèce, la Cour cantonale a sanctionné le manque d’égards de l’Etat employeur vis-à-vis d’une employée qui lui avait consacré l’essentiel, pour ne pas dire la totalité de sa vie active (âgée de 62 ans et au bénéfice d’une ancienneté de 39 ans). On ne discerne pas, dans le contexte en cause, ce qui eût pu dispenser l’employeur d’organiser un entretien préalable et de rechercher d’autres solutions (consid. 4). L’indemnité légale « à raison de longs rapports de travail » est plafonnée à huit mois de salaire (art. 339c al. 2 CO). Les parties sont libres de fixer une indemnité plus élevée « par accord écrit » (art. 339c al. 1 CO). Cette clause doit être signée par la partie qui souscrit une telle obligation, à savoir l’employeur. Vu la portée que revêt, en droit suisse, l’exigence de la forme écrite – soit une condition de validité de l’acte juridique (art. 11 CO) –, la production de l’acte écrit n’est pas indispensable et la preuve de celui-ci peut être apportée par n’importe quel moyen (consid. 5).

TF 4A_412/2022 (f)

2022-2023

Le laps de temps dont dispose l’employé selon l’art. 336b CO pour s’opposer au congé est un délai de péremption. En maxime des débats, même lorsque le juge intervient d’office, les parties doivent lui soumettre les données factuelles et les preuves nécessaires. La charge d’alléguer et de prouver l’absence de péremption porte, en principe, sur celui qui invoque le droit soumis à un délai de péremption, puisque le respect de cette exigence est un élément constitutif de droit et une condition de l’exercice de l’action. Dans certaines circonstances, la non-péremption d’un droit est un fait implicite, soit un fait contenu dans un allégué que le demandeur ne doit alléguer et prouver que si la partie adverse l’a contesté (par ex. pour l’avis des défauts en matière de contrat de vente ou d’entreprise). En matière de droit du travail, le législateur nourrit l’espoir – peut-être chimérique – que l’auteur du congé reviendra sur sa décision et préférera maintenir le rapport de travail plutôt que de payer une indemnité : il appartient au salarié de montrer que les conditions participant au fondement de son droit sont réunies et partant, d’alléguer et de prouver les circonstances factuelles dont le juge pourra inférer le droit à un dédommagement pour le congé abusif, qui présuppose une opposition valable. Le cas échéant, le juge devra interpréter la missive – la loi requiert la forme écrite – pour décider s’il y a eu opposition au sens de l’art. 336b CO. Ceci justifie une allégation en bonne et due forme, assortie d’une offre de preuve (consid. 4.2). Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par le Prof. François Bohnet et Me Gaëtan Corthay publiée in Newsletter droitdutravail.ch août 2023.

TF 4A_59/2023 (f)

2022-2023

Congé abusif ; opposition. L’opposition de l’art. 336b CO a pour but de permettre à l’employeur de prendre conscience que son employé conteste le licenciement et le considère comme abusif ; elle tend à encourager les parties à engager des pourparlers et à examiner si les rapports de travail peuvent être maintenus. Dans cette perspective, le droit du travailleur de réclamer l’indemnité pour licenciement abusif s’éteint si le travailleur refuse l’offre formulée par l’employeur de retirer la résiliation. Il n’y a pas d’opposition lorsque le travailleur s’en prend seulement à la motivation de la résiliation, ne contestant que les motifs invoqués dans la lettre de congé, et non à la fin des rapports de travail en tant que telle. La condition de l’opposition en temps utile selon l’art. 336b CO demeure, lors même que l’issue de discussions avec l’employeur paraît illusoire compte tenu de son attitude (rappel de jurisprudence, consid. 4.1 et 4.2). Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par Me Werner Gloor publiée in Newsletter droitdutravail.ch juin 2023.

TF 4A_129/2022 (f)

2022-2023

Salaires ; licenciement ; forme ; actes concluants ; rémunération convenable. La résiliation d’un contrat de travail n’est pas soumise à une forme particulière. Les parties peuvent cependant convenir de donner une forme spéciale à un contrat pour lequel la loi n’en exige pas (art. 16 CO). Les parties peuvent en tout temps convenir de supprimer la forme réservée. Aucune forme particulière n’est requise en vertu de la loi pour convenir de l’adoption ou de la suppression d’une forme spéciale, de sorte que l’art. 12 CO ne trouve pas application. L’accord peut résulter d’actes concluants (consid. 3.1.2). En l’espèce, en ne soulevant pas d’emblée le vice de forme au moment où le licenciement lui était signifié, le travailleur a ratifié par actes concluants la suppression de l’exigence de forme que les parties avaient jusque là réservée pour toute modification contractuelle. Sa rétractation, intervenue un mois plus tard, après la consultation d’un nouvel avocat, est le fruit d’un comportement contradictoire contraire au principe de la bonne foi, étant précisé que le licenciement n’est pas protégé par une exigence de forme particulière à laquelle le travailleur ne saurait renoncer (consid. 3.3). L’idée à la base de l’art. 349a al. 2 CO est d’éviter que l’employeur n’exploite le voyageur en lui promettant exclusivement ou principalement des commissions qui se révèlent par la suite insuffisantes. Une provision est convenable si elle assure au voyageur un gain qui lui permette de vivre décemment, compte tenu de son engagement au travail (Arbeitseinsatz), de sa formation, de ses années de service, de son âge et de ses obligations sociales. La rémunération du voyageur dépend très étroitement des conditions que l’employeur lui fixe pour pouvoir négocier ou conclure des affaires. On doit aussi tenir compte, comme ligne directrice, des usages de la branche (consid. 4.3). En l’espèce, si le travailleur avait perçu une rémunération faible en vertu de son contrat, ce n’était pas en raison d’une fixation de commissions ne permettant pas d’obtenir une rémunération convenable pour son activité et le temps qu’il y a consacré, mais bien en raison de son incapacité à réaliser des affaires. Dès lors qu’en vertu du même contrat, les collègues du travailleur pouvaient, eux, réaliser un revenu nettement supérieur au sien, les conditions prévues par le contrat de travail ne sont pas en cause. En outre, les prestations fournies n’étaient pas en corrélation avec les instructions reçues (consid. 4.4 et 4.5).

TF 4A_467/2019 (f)

2022-2023

Congé immédiat injustifié ; salaires ; justes motifs ; escroquerie ; droits d’option ; plan d’intéressement ; responsabilité. C’est sans violer le droit fédéral que le Tribunal cantonal a jugé dépourvu de justes motifs le licenciement immédiat d’un salarié de banque qui avait été victime d’une escroquerie au détriment de la banque (consid. 4). La prétention reconventionnelle des défenderesses, correspondant au montant de l’escroquerie subie (CHF 530’000) est rejetée, une violation par le demandeur de son devoir de diligence pour ne pas avoir vérifié un paiement qu’il n’avait pas à vérifier et qui avait passé tous les filtres ne pouvant être retenue (consid. 8). L’attitude des défenderesses, qui invoquent, après l’échéance du délai initialement prévu, que le demandeur n’aurait pas exercé valablement ses droits d’options, alors qu’il avait manifesté clairement en procédure son intention de les exercer, est abusive (consid. 7.2.3). Pour des raisons procédurales, la prétention du salarié en dommages-intérêts en lieu et place de la délivrance des actions qui lui sont dues en vertu des deux plans de participation est rejetée (consid. 7.3). Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par Me Marie-Thérèse Guignard publiée in Newsletter droitdutravail.ch novembre 2022.

Vacances ; salaire afférent. En cas d’emploi à temps plein auprès du même employeur, l’inclusion exceptionnelle du salaire afférent aux vacances dans le salaire global au motif que le salaire dû varie d’un mois à l’autre est exclue. Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par Me Diane Tettü Pochon publiée in Newsletter droitdutravail.ch juin 2023.

Protection de la personnalité ; lanceur d’alerte et liberté d’expression. La protection de la liberté d’expression sur le lieu de travail constitue une ligne constante et bien établie de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a progressivement dégagé une exigence de protection spéciale dont doivent pouvoir bénéficier, à certaines conditions, les fonctionnaires ou employés qui divulguent, en infraction des règles qui leur sont applicables, des informations confidentielles obtenues sur leur lieu de travail (§112). Les termes de l’opération de mise en balance à effectuer entre les intérêts concurrents en jeu ont été affinés : au-delà du seul préjudice causé à l’employeur, c’est l’ensemble des effets dommageables que la divulgation litigieuse est susceptible d’entraîner qu’il convient de prendre en compte pour statuer sur le caractère proportionné de l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression des lanceurs d’alerte (§148). La divulgation litigieuse s’est faite au prix d’un vol de données et de la violation du secret professionnel qui liait le requérant. Ceci étant, la Cour relève l’importance relative des informations divulguées, eu égard à leur nature et à la portée du risque s’attachant à leur révélation. Au vu des constats quant à l’importance, tant à l’échelle nationale qu’européenne et du débat public sur les pratiques fiscales des multinationales auquel les informations divulguées par le requérant ont apporté une contribution essentielle, l’intérêt public attaché à la divulgation de ces informations l’emporte sur l’ensemble des effets dommageables (§185 ss). Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par Me Hélène Ecoutin-Dupuy publiée in Newsletter droitdutravail.ch avril 2023.