Droit des sociétés

(figure sous sa référence non publiée dans l’édition précédente, arrêt du TF 4A_45/2017 du 27 juin 2017).

Art. 62 al. 4 et 154 ORC

Carence dans l’organisation ; renonciation au contrôle restreint. Une Sàrl, ayant renoncé au contrôle restreint par un organe de révision lors de sa fondation, a des difficultés financières et ne présente pas ses comptes annuels. Le RC requiert alors du tribunal qu’il prenne les mesures nécessaires en raison des carences dans l’organisation (art. 154 ORC cum 941a CO), sans succès. Le TF considère le renouvellement de la déclaration ne peut intervenir que si les circonstances ont changé depuis la fondation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. De plus, l’organe de révision ne peut être considéré comme un organe impérativement prescrit par la loi, au sens de l’art. 154 ORC, qu’en l’absence d’une renonciation au contrôle restreint. En l’espèce, la Sàrl a valablement renoncé au contrôle restreint lors de sa fondation. Le TF souligne encore que le fait que la société n’ait pas de liquidités ou soit surendettée n’a pas d’influence sur les conditions de la renonciation au contrôle restreint. En l’occurrence, il n’y a donc aucun indice que la société ne disposerait pas des organes impérativement prescrits par la loi.

Art. 823 CO

Exclusion d’un associé. Une Sàrl requiert l’exclusion d’un associé et le transfert des parts à la société elle-même, ce qui lui est refusé. La question litigieuse portée devant le TF est l’existence d’un juste motif au sens de l’art. 823 CO. Le TF rappelle que l’exclusion d’un membre au sens l’art. 823 CO nécessite l’examen du caractère raisonnable du maintien de la qualité de membre. Le juge dispose, pour ce faire, d’un pouvoir d’appréciation (art. 4 CC). De plus, cet examen varie selon le type de société : la réponse sera ainsi différente s’il s’agit d’une société organisée de manière capitalistique ou personnelle. Ainsi, en droit de la Sàrl, l’examen de l’existence d’un juste motif au sens de l’art. 823 CO doit tenir compte du cas concret dans une large mesure. C’est pourquoi, il appartenait à l’autorité précédente de prendre en compte l’ingérence d’un associé dans les activités opérationnelles de la recourante ainsi que l’existence d’une situation conflictuelle au sein d’une société organisée de manière personnelle.

Art. 760 CO

Faillite ; action en responsabilité contre les associés d’une Sàrl ; dommage de poursuite d’exploitation («Fortführungsschaden »). Une action en responsabilité est ouverte contre les associés d’une Sàrl tombée en faillite, qui auraient aggravé le surendettement de la société (art. 827 et 725 al. 2 CO). Le TF rappelle que c’est au demandeur de requérir du tribunal une expertise visant à établir les valeurs de liquidation au moment où la faillite aurait dû être prononcée et au moment où elle l’a effectivement été. En effet, ce n’est pas au juge, mais bien à un expert mandaté par le juge, de reconstituer l’état du patrimoine (consid. 4.1.2). Le Tribunal souligne aussi que le critère de la connaissance du dommage sert principalement à déterminer le moment à partir duquel le délai de prescription de cinq ans de l’action en responsabilité commence à s’écouler. Pour considérer le dommage comme étant suffisamment défini, il n’est pas nécessaire d’en connaitre le montant exact, mais il faut détenir suffisamment d’éléments pour en avoir une idée approximative (consid. 4.2.1). En conclusion, le TF constate que la partie demanderesse n’a pas établi l’ampleur de son dommage, ce qu’elle aurait impérativement dû faire. Partant, le recours est rejeté.

Art. 715a CO

Droit aux renseignements et à la consultation de l’administrateur. Le Tribunal cantonal d’Obwald rejette la demande d’un administrateur ayant ouvert une procédure visant à l’obtention de certains renseignements et la remise de certains documents, notamment le registre des actions, le registre des actionnaires et ayants-droits économiques, les documents relatifs aux transferts d’actions et autres procès-verbaux d’assemblées générales et de réunions du conseil d’administration. Cela donne l’occasion au TF de donner une réponse à cette question, encore ouverte auparavant : les membres du conseil d’administration peuvent faire valoir en justice, au moyen d’une action condamnatoire, les droits aux renseignements et à la consultation que leur confère l’art. 715a CO. C’est la procédure sommaire qui sera alors applicable.

Art. 689 et 706 CO

Représentation de l’actionnaire ; actionnaire minoritaire ; annulation. En invoquant le principe de l’égalité de traitement et de ménagement dans l’exercice des droits, un actionnaire minoritaire conteste une décision de l’AG autorisant la représentation des actionnaires uniquement lorsque le représentant est lui-même actionnaire et que le conseil d’administration le reconnait comme représentant. Les autres actionnaires forment un cercle fermé et sont tous membres du conseil d’administration ou du moins étroitement liés au conseil d’administration. Le Tribunal de commerce zurichois relève qu’une telle clause statutaire a pour effet que l’actionnaire minoritaire, lorsqu’il souhaite se faire représenter, n’a d’autre choix que de confier la représentation à un actionnaire qui s’oppose à lui, ou de laisser ses actions non-représentées. L’intérêt à préserver la confidentialité des informations révélées durant l’assemblée générale pourrait être atteint de manière moins incisive, par exemple en exigeant uniquement que le représentant soit indépendant. Une telle restriction statutaire est donc illicite et la décision de l’assemblée générale sur laquelle elle repose doit être annulée selon l’art. 706 al. 2 ch. 1 et 2 CO.

Art. 2 CC et 696, 699, et 705 CO

Convocation d’une assemblée générale ; abus de droit. La société Z. SA est administrée par B. et X. Tous deux sont actionnaires aux cotés de A. Par la suite, les pouvoirs de X. ont été révoqués lors d’une AG et ce dernier fait l’objet de plusieurs poursuites pénales et civiles intentées par la société. La société a, subséquemment, cessé ces activités. X. va requérir la convocation d’une AG par voie judiciaire ayant pour ordre du jour la révocation de B. et sa propre nomination en tant qu’administrateur. Le TF doit se prononcer sur le caractère abusif (art. 2 al. 2 CC) de la convocation de l’AG par X. En l’occurrence, X. cherche par sa nomination en qualité d’administrateur à mettre un terme aux procédures intentées à son encontre par la société. X. n’a donc aucun intérêt légitime à demander la convocation d’une AG, puisqu’il cherche à utiliser une institution contre son but. En sus, le grief, invoqué par X., de l’absence d’établissement de rapports de gestion et de comptes sociaux de certaines années est dénué de sens dans la mesure où la société avait cessé ses activités avant même lesdites années et que X. n’a par ailleurs jamais requis la transmission des rapports de gestion et des comptes que la société s’est pourtant dite disposée à lui fournir.

Art. 706 CO

Abus de droit ; actionnaire minoritaire ; augmentation de capital ; dilution. Au cours d’une assemblée générale, l’actionnaire majoritaire d’une SA décide d’une augmentation de capital extrêmement élevée, faisant passer le capital-actions de la société de CHF 120'000.- à CHF 1’620'000.-. La participation de l’actionnaire minoritaire, qui n’exerce pas son droit préférentiel de souscription, passerait de 30% à 2%. L’actionnaire minoritaire fait bloquer le RC ; il argue que la décision d’augmentation lui cause un préjudice grave et disproportionné et devrait être annulée, selon l’art. 706 CO. Le TF rappelle qu’il existe un principe de ménagement dans l’exercice des droits (qui est un cas spécifique d’abus de droit) qui veut que les décisions de la majorité ne compromettent pas les droits de la minorité, alors même que le but poursuivi aurait pu être atteint de manière moins dommageable et sans inconvénient pour la majorité. En l’espèce, il est constaté que la société avait certes besoin de fonds pour des appareils et des locaux, mais qu’il aurait été possible de procéder à une émission d’actions au-dessus du pair, permettant d’injecter la même somme dans la société, sans pour autant pour diluer l’actionnaire minoritaire de manière aussi drastique. Le TF donne donc raison à l’actionnaire minoritaire, renvoie la cause à l’autorité précédente et maintient le blocage du registre du commerce.

Art. 697a et 697b CO

Instauration d’un contrôle spécial ; groupe de société. B.B., C.B. et I. sont administrateurs d’une holding (A. SA). Par ailleurs I. était l’unique administrateur d’une filiale du groupe (E. SA) avant sa démission. En prévision de l’AG ordinaire de la holding, B.B. pose différentes questions sur le groupe A. Ces questions restent sans réponses. Lors de l’AG, B.B. demande l’institution d’un contrôle spécial qui sera refusé par 55% des voix. B.B. est d’avis que C.B. et I. prévoient le démantèlement de l’ensemble de la structure de la holding et la liquidation des filiales, et que I. a touché des honoraires excessifs pour ces activités au sein du conseil d’administration de E. SA. C’est pourquoi, B.B. requiert du juge un contrôle spécial, ce qui lui est accordé. A. SA fait recours au TF, notamment pour violation de l’art. 697b CO, les conditions de l’instauration d’un contrôle spécial d’une filiale dans un groupe de société ayant, selon elle, été considérées à tort comme satisfaites. Le TF considère que, au sein d’un groupe de sociétés, les documents d’une filiale peuvent être consultés dans le cadre d’un contrôle spécial de la société mère, si la structure de de gestion et de contrôle eut permis à la société mère de se procurer ces documents indépendamment d’un contrôle spécial. En d’autres termes, si la société mère a accès à des tels documents en temps normal, ces documents doivent aussi être accessibles lors du contrôle spécial de la société mère. En l’occurrence, c’est le cas, puisqu’il est constaté que la holding a été constituée afin de diriger les autres sociétés du groupe et que les conseils d’administration de la holding et de la filiale sont composés en partie des mêmes personnes. De plus, le TF rappelle qu’il doit être démontré que les opérations commerciales devant être clarifiées dans une filiale ont impact potentiel sur la situation financière de la société mère. Concernant cet impact, B.B. l’a rendu vraisemblable, en tant que la liquidation de la filiale motivée par des motifs non commerciaux et le versement illégal d’honoraire sont, notamment, de nature à porter préjudice à la situation financière de la société mère. Pour toutes ces raisons, les documents sont accessibles au contrôle spécial.

Art. 82, 165 et 696 al. 3 CO

Qualité d’actionnaire ; communication des rapports de gestion et de révision ; abus de droit. Un individu est employé par une SA. Son contrat de travail stipule qu’il doit acquérir, à la signature du contrat, 34% du capital-actions de la SA, pour un montant de CHF 34'000.-. Le contrat prévoyait également le droit de la société de racheter les actions si les rapports de travail prenaient fin. Le prix de rachat variait selon le motif de la résiliation. La société a licencié par la suite l’employé avec effet immédiat, invoquant des manquements graves à ses obligations. La société a déclaré exercer son droit de rachat au prix de CHF 9'868.- ; l’employé estime quant à lui que le prix s’élève à près d’un million de francs. Il demande alors un rapport de gestion et un rapport de révision (art. 696 al. 3 CO), ce que la société refuse au motif qu’il usurperait des droits qu’il n’était plus légitime à exercer puisqu’il refuse illicitement le transfert d’action. Selon le TF l’employé peut valablement soulever l’exception d’inexécution (art. 82 CO) afin de conserver la propriété des actions et éviter la disposition de ces dernières au sens de l’art. 165 CO. Ce faisant, il ne commet pas un abus de droit et reste bien actionnaire. Par conséquent, il peut tout à fait exercer le droit à l’information inscrit à l’art. 696 al. 3 CO.

Art. 18 CO

Relation fiduciaire ; convention d’arbitrage au sein de statuts. Deux associés d’une Sàrl sont liés par un contrat de fiducie, selon lequel le premier s’engageait à détenir 50% de parts sociales à titre fiduciaire pour le second. Ce dernier devait recevoir une part des recettes de la Sàrl. Après avoir retrouvé la propriété de ses parts sociales, le fiduciant attrait le fiduciaire devant un tribunal étatique en paiement de CHF 100'000.- plus intérêts en raison d’une violation du contrat de fiducie. La question est de savoir si le litige entre les associés entre ou non dans le champ de la clause d’arbitrage figurant dans les statuts de la Sàrl, et soumettant tous les litiges relatifs aux affaires sociales (« Gesellschaftsangelegenheit») entre associés ou entre associés et direction, à un tribunal arbitral. Le TF commence par rappeler que la méthode d’interprétation varie selon la taille de la société. En l’occurrence le principe de confiance trouve application. Le terme « d’affaire sociale » doit être interprété strictement et ne correspond qu’aux litiges de droit des sociétés. Le litige opposant les associés trouve sa source dans le contrat de fiducie. Partant, le litige est de nature contractuelle et n’est pas arbitrable.

Art. 725 et 754 CO

Dommage de poursuite d’exploitation ; preuve du dommage. Suite à une faillite qui n’aurait pas été annoncée à temps, la responsabilité d’un membre du conseil d’administration (4A_587) et de l’organe de révision (4A_597) est reconnue par le Tribunal de première instance de Lugano. Le Tribunal calcule le dommage de poursuite d’exploitation selon l’art. 42 al. 2 CO, car les valeurs de liquidation n’ont pas été établies. Ce raisonnement, soutenu par le Tribunal cantonal tessinois est sèchement rejeté par le TF. Il rappelle que, pour le calcul de la perte ou du dommage, seules les valeurs de liquidation doivent être prises en compte. La valeur de liquidation est déterminante non seulement pour fixer le découvert à la date à laquelle la faillite a été prononcée, mais aussi pour définir le déficit à la date à laquelle la faillite aurait dû être prononcée. Le TF souligne qu’il appartient au demandeur de demander au tribunal de faire établir un rapport d’expert dans lequel les valeurs de liquidation sont établies aux deux moments décisifs mentionnés ci-dessus. Il n’appartient pas au juge de reconstituer l’état du patrimoine de la société, étant donné qu’en principe, seul un expert possède les connaissances techniques nécessaires. L’art. 42 al. 2 CO n’accorde pas à la partie lésée le droit de faire simplement des demandes d’indemnisation non spécifiées ; par conséquent, si la partie lésée ne remplit pas pleinement son devoir d’information nécessaire à l’estimation du dommage, alors l’une des conditions d’application de l’art. 42 al. 2 du Code suisse des obligations n’est pas remplie.

Art. 543 al. 3 CO

Principe de la confiance ; existence d’une société simple. Z. et C.X. entretiennent des rapports contractuels dans le commerce porcin. Toutes les transactions sont consignées selon un système de compte courant. Z. a commercé successivement avec C.X. seul, puis avec une société simple formée par C.X. et M., puis avec C.X. et ses fils. Z. ouvre une procédure concluant au paiement du solde du compte courant (plus de CHF 400'000.-), à l’encontre de C.X. et ses fils, qu’il considère comme formant une société simple au sens de l’art. 543 al. 3 CO. Les fils refusent ; ils considèrent ne pas avoir donné l’apparence d’une société simple, et partant, ne pas être débiteurs de Z. Le TF ne partage pas cet avis : selon lui, le comportement des fils était de nature à manifester de manière suffisamment claire l’existence d’une société simple. Il relève notamment la continuation de l’exploitation porcine à la suite du transfert des biens immobiliers, en relation avec l’exploitation, intervenu entre C.X. et ses fils, ainsi que la simultanéité entre les périodes d’arrivée des fils sur l’exploitation et de la fin de la première société simple. De plus, l’implication financière des fils dans le paiement des factures et les plans de règlements n’a pu que conforter Z. dans l’impression de l’existence d’une société simple. Ce dernier peut donc se prévaloir de l’apparence juridique créée par ses cocontractants, de sorte que le solde compte courant est bien dû solidairement par C.X. et ses fils.

Art. 132 LP et 12 OPC

Liquidation de la société simple et partage en nature (substitut de la débitrice par l’administrateur). A. et B. sont propriétaires en commun de 57 parcelles sises dans le canton de Neuchâtel, ils forment ensemble une société simple. L’office des poursuites a saisi la part de A. à la requête de différents créanciers. Par la suite, l’office constate que la société simple est dissoute et désigne un administrateur pour prendre les mesures nécessaires afin de procéder à la liquidation conformément à l’art. 12 OPC. Un projet de partage en nature est proposé par B. mais refusé par A. Tant l’office que l’administrateur considèrent qu’ils ne pouvaient pas signer la convention de partage à la place de A. Selon le TF, l’autorité de surveillance qui jouit d’un pouvoir de surveillance juridictionnel peut donner des instructions à l’administrateur. Seules les décisions prises sur la base des instructions sont susceptibles de recours ou de plainte. L’autorité de surveillance ne devait ainsi pas réformer la décision de l’office quant aux pouvoirs de l’administrateur mais était fondée à donner des instructions à l’administrateur.