Droit des sociétés

Contrôle spécial ; exigences de motivation. Lorsque les demandes de renseignements et de consultations restent vaines, un actionnaire peut demander un contrôle spécial (désormais « examen spécial »). Lorsque celui-ci a été approuvé lors de l’assemblée générale (comme en l’espèce), le juge est lié par la proposition approuvée et doit déterminer l’objet du contrôle sur cette base. Dès lors que l’objet du contrôle remplit les exigences de précision et de pertinence factuelle, il ne peut être ni limité, ni élargi. En l’espèce, rien n’indique que le contrôle spécial devait être limité temporellement, soit à l’exercice 2021, comme l’arguait la société recourante (qui avait pourtant elle-même déposé, aux côtés d’un actionnaire, la requête en contrôle spécial).

Vente d’actions ; calcul et allégation du dommage ; théorie de la différence. Pour établir le dommage subi par l’acquéreur d’actions d’une société anonyme à un prix surfait, qui s’est fondé pour ce faire sur un rapport d’audit financier inexact, il fallait alléguer et prouver (i) la situation financière hypothétique de l’acheteur si le préjudice ne s’était pas produit, ainsi que (ii) les décisions que l’acheteur aurait prises s’il avait eu connaissance de la valeur financière correcte de la société cible. En l’espèce, selon cette seconde condition, il revenait à l’acquéreur d’établir que, s’il avait connu la situation financière exacte de la société cible, il aurait acquis les actions de la société cible pour un montant inférieur, ou renoncé à l’acquisition. Ne l’ayant pas fait, le TF a estimé que l’acquéreur n’avait pas allégué et prouvé le préjudice résultant de l’achat de la société cible.

Droit de consultation des rapports de gestion et de révision par les créanciers sociaux ; degré de preuve pour établir la qualité de créancier. Une société péruvienne et une société suisse sont enlisées dans plusieurs litiges en lien avec un contrat de réassurance, une sentence arbitrale ayant déjà condamné la société suisse à verser à la société péruvienne un montant de plusieurs millions de dollars. La société péruvienne, se fondant sur sa qualité de créancière, exige de pouvoir consulter le dernier rapport de gestion et de révision de la société suisse, sur la base de l’art. 958e al. 2 CO, arguant que cette consultation est nécessaire pour évaluer, entre autres, s’il vaut la peine de poursuivre une procédure arbitrale au Pérou, d’autant plus que la SA suisse semble rencontrer des difficultés financières. D’après l’art. 958e al. 2 CO, le requérant qui demande à consulter les rapports de gestion et de révision doit en principe établir sa qualité de créancier ainsi qu’un intérêt digne de protection. Cet arrêt permet au TF de trancher une question controversée, en précisant que le degré de preuve pour établir la qualité de créancier selon l’art. 958e al. 2 CO est la vraisemblance prépondérante. En effet, exiger une preuve stricte de la qualité de créancier aurait pour conséquence que les créanciers qui souhaitent vérifier la solvabilité d’une société avant d’investir des moyens financiers supplémentaires dans l’ouverture d’une action en reconnaissance de dettes ne pourraient concrètement plus faire usage du droit de consultation de l’art. 958e al. 2 CO.

Avis de surendettement ; dommage de poursuite d’exploitation. Pour établir le dommage causé par la poursuite de l’exploitation de l’entreprise, il faut se référer au surendettement existant lors du prononcé effectif de la faillite, puis soustraire le surendettement moindre prévalant au moment où la faillite aurait dû être prononcée si les organes s’étaient montrés vigilants (à ne pas confondre avec le moment, antérieur, où l’administrateur aurait eu des raisons sérieuses d’admettre que la société était surendettée). Celui qui intente l’action sociale en réparation du dommage causé à la société doit alléguer et prouver l’aggravation de la situation financière ; pour ce faire, il devra impérativement demander la mise en œuvre d’une expertise, car il n’appartient pas au juge de reconstituer l’état du patrimoine de la société, étant rappelé par le TF que seul un expert dispose des connaissances techniques nécessaires. L’art. 42 al. 2 CO (qui facilite la preuve lorsque le montant exact du dommage ne peut être établi), ne dispense pas le demandeur de fournir au juge, dans la mesure où l’on peut raisonnablement l’exiger de lui, tous les éléments de fait qui constituent des indices sur l’existence du dommage et permettent ou facilitent son estimation. En l’espèce, la preuve du dommage n’a pas été apportée par les demanderesses, en tant que le surendettement à l’ouverture effective de la faillite n’a pas été allégué. En outre, les demanderesses ont confondu le dommage direct de la société avec le dommage indirect des créanciers sociaux, et ne peuvent dès lors se prévaloir de l’art. 42 al. 2 CO (fixation du dommage par le juge).

Avis au juge ; éléments déterminants pour admettre le surendettement. Aussitôt qu’il existe des raisons sérieuses d’admettre le surendettement d’une société anonyme, le conseil d’administration doit en aviser le juge, pour autant que la postposition de créances se révèle insuffisante et que les perspectives de succès des mesures d’assainissement n’apparaissent pas comme sérieuses. Afin de déterminer s’il y a des « raisons sérieuses » d’admettre le surendettement, le conseil d’administration ne doit pas se limiter à l’examen du bilan, mais doit également tenir compte d’autres signaux d’alarme liés à l’évolution de l’activité de la société, tels que l’existence de pertes continuelles ou l’état des fonds propres. En l’espèce, l’administrateur n’a pas agi tardivement en avisant le juge du surendettement dès qu’il a eu connaissance des difficultés financières et de la perte des apports financiers suffisants pour combler les pertes ou permettre la continuation de ses activités.

Responsabilité des administrateurs pour le paiement des cotisations AVS ; business defense. Tout nouveau membre du conseil d’administration est tenu de veiller au paiement des dettes de cotisations accumulées avant et pendant son mandat d’administrateur ; il répond donc en principe aussi bien des cotisations d’assurances sociales courantes que de celles qui étaient déjà dues avant le début de son mandat. En application de la « business defense », on admet toutefois que le non-paiement des cotisations AVS n’entraîne pas la responsabilité des administrateurs selon l’art. 52 LAVS lorsque l’employeur peut espérer sauver l’existence de l’entreprise. Il est donc licite d’honorer d’autres créances essentielles à la survie de l’entreprise (notamment celles des travailleurs et des fournisseurs), mais à condition de pouvoir supposer, sur la base des circonstances objectives et d’une appréciation réfléchie de la situation, que les cotisations dues pourront être payées ultérieurement dans un délai raisonnable. In casu, la société ayant enregistré des arriérés trop considérables pour les années 2011 à 2019, il ne s’agissait pas d’une impasse limitée dans le temps et la « business defense » n’entrait pas en ligne de compte.

Carences dans l’organisation de la société ; situation de blocage. L’existence de divergences au sein d’un conseil d’administration sur le fait de savoir qui est administrateur ne suffit pas à reconnaître une situation de blocage. Si tel était le cas, il y aurait un défaut d’organisation à chaque fois qu’une personne estime qu’un administrateur est inscrit à tort au registre du commerce. En l’espèce, malgré des dissensions entre l’administrateur requérant et son frère au sein du conseil d’administration, l’inscription d’un troisième membre en tant qu’administrateur assure la continuation de prise de décisions par le conseil d’administration. Le litige en cours sur la composition du conseil d’administration n’empêche pas son fonctionnement. Ainsi, en l’absence de situation de blocage, il n’y a pas carence dans l’organisation de la société.

Opposabilité d’une élection de for ; qualification d’une « Parental Guarantee ». Une société-fille bénéficiaire d’une « Parental Guarantee », en vertu d’une stipulation pour autrui parfaite, peut se voir opposer une élection de for prévue dans la « Parental Guarantee » conclue entre la société-mère et une autre société. Partant, elle doit agir au for élu contre cette autre société. Une « Parental Guarantee » ne peut pas être qualifiée de cautionnement. La prestation de remplacement due par la caution consiste toujours dans le paiement d’une somme d’argent. Or, en l’espèce, la « Parental Guarantee » obligeait la société garante à exécuter en nature les prestations convenues envers la société bénéficiaire de la garantie, dans le cas où la filiale de la société garante n’avait pas rempli ses obligations.

Vérification du rapport d’augmentation ; retrait de l’agrément de l’expert-réviseur. Une experte-réviseuse agréée est chargée de vérifier le rapport d’augmentation de capital de CHF 30 millions d’une start-up. L’augmentation de capital se fonde sur une garantie provenant d’une banque singapourienne fictive, mais l’experte-réviseuse ne décèle rien. L’Autorité fédérale de surveillance en matière de révision prononce le retrait de l’agrément pour une durée de trois ans. Le Tribunal administratif fédéral confirme qu’il s’agit d’un manquement grave aux obligations de vérifications et confirme le retrait de l’agrément, en réduisant cependant sa durée à deux ans.

Action en responsabilité ; devoir de fidélité et de diligence. Une société de courtage reproche à un ancien administrateur président au moment des faits, d’avoir violé son devoir de diligence, notamment en accordant des conditions de travail trop libres à un courtier employé, et en le surveillant de manière insuffisante ; elle lui réclamait à ce titre l’indemnisation du dommage de CHF 1.5 millions (causé par le versement d’avances sur commissions au courtier, calculées d’après des transactions fictives annoncées par ce dernier), sur la base de l’art. 754 CO (droit des sociétés) et des art. 321a et 321e CO (droit du travail). Le TF commence par rappeler que la diligence due par les administrateurs et autres dirigeants de société se détermine objectivement, en tenant compte des circonstances concrètes ; l’organe doit notamment faire preuve de diligence dans le choix, l’instruction et la surveillance du personnel de direction, étant rappelé que les activités de l’administrateur ou du directeur comportent un certain risque entrepreneurial. Dès lors, les tribunaux doivent faire preuve de retenue lorsqu’ils doivent juger a posteriori des décisions concernant la conduite des affaires. En outre, le devoir de fidélité ancré dans le droit des sociétés est plus vaste que celui prévu par le droit du travail. In casu, se référant à des circonstances nébuleuses, vagues et mal étayées, le TF considère qu’on ne peut pas retenir, à l’encontre de l’ancien administrateur président, une violation de ses devoirs de fidélité et de diligence (qu’ils trouvent leur fondement dans le droit des sociétés ou le droit du travail).

Responsabilité de l’administrateur ; notion de faute. La faute constitue l’une des quatre conditions de l’art. 754 CO, étant précisé qu’une négligence légère suffit. La faute s’apprécie objectivement (c’est-à-dire en fonction de ce que l’on pouvait raisonnablement attendre de l’administrateur dans les circonstances concrètes). Il y a en principe faute lorsque l’administrateur a manqué à son devoir, c’est-à-dire ne s’est objectivement pas comporté comme un administrateur raisonnable dans les circonstances concrètes. Seules des circonstances exceptionnelles peuvent conduire à la conclusion que l’administrateur qui a failli à ses devoirs est exempt de faute (comportement subjectivement excusable) ; pour qu’il en soit ainsi, il faut que la personne recherchée ait été, au moment des faits, en état d’incapacité de discernement, dans une situation de contrainte absolue ou dans celle d’erreur inévitable sur les faits (provoquée par exemple par la tromperie d’un tiers). Dans le cas d’espèce, le TF a considéré, contrairement à l’instance précédente, que l’administrateur ne pouvait pas s’abriter derrière le fait qu’il s’était fié aux administrateurs actifs dans la gestion et aux paroles rassurantes du directeur de la société. Partant, il ne se trouvait pas dans un état d’erreur inévitable, et c’est fautivement qu’il a manqué à ses devoirs, en omettant de veiller à la tenue régulière de la comptabilité et en faisant constater tardivement l’état de surendettement de la société.

Responsabilité de l’administrateur ; qualité pour agir. Lorsqu’une société subit un dommage direct reposant sur un manquement aux devoirs des organes envers la société, l’actionnaire peut agir en son propre nom et réclamer la réparation en faveur de la société pour le dommage qui lui a été causé, en application de l’art. 756 al. 1 CO. En l’espèce, l’actionnaire de la société (une Sàrl qui détenait 60% du capital-actions) disposait bien de la légitimation active pour intenter une action en responsabilité contre l’administrateur, en réclamant réparation en faveur de la société. L’administrateur avait en effet conclu et exécuté un transfert de patrimoine avec une société tierce, à des prix très largement inférieurs à ceux du marché, la société ayant subi un dommage lorsqu’elle avait dû indemniser un créancier qui souhaitait faire révoquer ledit transfert.

Concours de l’action en restitution et de l’action en responsabilité ; solidarité parfaite. Dans la faillite d’une SA (poursuivie), une SA poursuivante, agissant en tant que créancière cessionnaire, ouvre deux actions : l’une en restitution à l’encontre de la SA actionnaire de la SA poursuivie (art. 678 CO), et l’autre en responsabilité à l’encontre du président d’administration et directeur unique de la SA poursuivie et de la SA actionnaire, ainsi qu’à l’encontre de l’organe de révision de la société poursuivie (art. 754 ss CO). Comme confirmé dans cet arrêt, les deux actions précitées sont en relation de concurrence (action à double fondement, « Anspruchkonkurrenz ») et les responsables répondent selon les règles de la solidarité imparfaite (art. 51 al. 1 CO). En effet, on ne saurait attendre de la société poursuivante qu’elle doive d’abord agir par l’action en restitution, avant d’actionner en responsabilité le conseil d’administration et l’organe de révision. Les différentes parties défenderesses répondent donc solidairement de l’intégralité de la prétention.

ATF 149 III 1 (d)

2022-2023

Droit de proposition ; annulabilité des décisions de l’assemblée générale. Une société anonyme tient une assemblée générale par écrit, en vertu de la législation Covid-19 et envoie les documents de vote à ses actionnaires. Une actionnaire s’adresse au conseil d’administration et lui présente des propositions, ce qui est refusé par le conseil d’administration, qui ne soumet pas lesdites propositions au vote. Le TF juge cela inadmissible : tout actionnaire a le droit, dans le cadre des objets portés à l’ordre du jour, de faire des propositions écrites ou orales, avant et pendant l’assemblée générale, et les dispositions des ordonnances Covid‑19 sur les assemblées de sociétés n’avaient pas pour vocation de limiter le droit de proposition des actionnaires. Il s’agit toutefois d’un cas d’annulabilité et non de nullité.

Demande de convocation d’une assemblée générale ; degré de preuve. Lorsque le conseil d’administration ne donne pas suite à la demande de convocation d’une assemblée générale ordinaire par les actionnaires détenant au moins 10% du capital-actions, la convocation peut être ordonnée par le tribunal à la demande des requérants (art. 699 al. 3 et 4 aCO, 699 al. 3 et 5 CO). Le degré de preuve requis est celui de la simple vraisemblance. Cette exigence est satisfaite dès lors que le juge, en se fondant sur des éléments objectifs, à l’impression que tous les faits pertinents se sont produits avec une certaine probabilité, tout en n’excluant pas qu’ils aient pu se produire autrement. La doctrine retient une probabilité de 51%. En l’espèce, malgré des divergences avec une convention d’actionnaires, les inscriptions dans le registre des actionnaires, le testament public et la déclaration fiscale du donataire, le TF retient qu’un document sous seing privé, attribuant 25 actions à chacun des requérants de la convocation et confirmé par un avocat, répond au degré de preuve requis. Les requérants disposent donc de la qualité d’actionnaire leur permettant de requérir la convocation d’une assemblée générale ordinaire.

Demande de convocation d’une assemblée générale ; violation des statuts. Un investisseur est propriétaire de 60% des actions d’une entreprise textile de Bâle-Campagne et demande la tenue d’une assemblée générale visant à réélire le conseil d’administration, ce qui lui est refusé. Il s’adresse alors au juge civil. Le requérant qui entend demander au juge d’ordonner la convocation d’une assemblée générale (art. 699 al. 3 et 4 aCO ; art. 699 al. 5 CO) doit rendre vraisemblable qu’il détient la qualité d’actionnaire et que le conseil d’administration n’a pas donné suite à la demande dans un délai raisonnable. Ce degré de preuve vaut également pour l’établissement des modalités statutaires de convocation. Le TF rappelle également que le juge saisi de la requête de convocation n’a pas à se prononcer sur la question de savoir si les décisions à prendre lors de l’assemblée générale seraient valables, ces questions pouvant être examinées dans le cadre d’une éventuelle action en annulation ou en nullité des décisions prises.

Action en annulation d’une décision de l’AG ; abus de majorité ; abus de droit. Dans cet arrêt, se posait la question de savoir si le fait, pour l’actionnaire majoritaire, de procéder à une modification des statuts, dans le seul but de réduire le nombre de représentants au conseil d’administration octroyé statutairement à l’actionnaire minoritaire (le faisant passer de quatre à un, au sein d’un conseil d’administration composé de douze membres), était constitutif d’un abus de droit. Le TF rappelle qu’une décision prise par la majorité est abusive au sens de l’art. 2 al. 2 CC aux trois conditions suivantes : (1) elle n’est pas justifiée par des motifs économiques raisonnables, (2) elle lèse manifestement les intérêts de la minorité, et (3) elle favorise sans raison les intérêts particuliers de la majorité. En l’espèce, les conditions pour admettre l’abus sont données : il est mathématiquement incontestable qu’avec un seul représentant, le représentant du minoritaire devrait convaincre davantage d’administrateurs (6 au lieu de 3) pour emporter un vote du conseil (majorité de 7) ; en outre, le pouvoir de persuasion du représentant minoritaire sur les autres administrateurs s’en trouverait diminué. La réduction des représentants de la minorité et, partant, leur capacité d’influencer les autres membres du conseil d’administration, est à l’origine, d’une part, de la lésion des intérêts de la minorité et, d’autre part, de la favorisation des intérêts de la majorité. L’annulation de la décision de l’assemblée générale approuvant la modification des statuts est donc confirmée.

Appartenance à une société simple. Dans cette affaire qui portait sur le droit de participer aux revenus locatifs engendrés dans le cadre d’un projet immobilier, se pose la question de savoir qui appartient à une société simple hypothétiquement créée entre trois intervenants (l’acquéreur de deux terrains, une Sàrl, ainsi que son gérant) ayant participé à la planification et à la réalisation du projet, et ayant signé dans ce contexte une « convention ». La société simple implique que les associés orientent leur comportement futur vers la poursuite du but convenu et que la réalisation des intérêts de tous les associés, réunis en un but commun, soit favorisée. Dans le cas d’espèce, le TF relève que le gérant de la Sàrl est certes mentionné comme partie et a signé la « convention » en tant que telle, mais qu’aucun droit ou obligation ne lui a été attribué : le gérant était impliqué uniquement en tant que gérant de la Sàrl, mais n’a jamais poursuivi d’intérêts propres en relation avec la réalisation du projet. Partant, même pour le cas où la « convention » conclue devait être qualifiée de contrat de société simple, cette société simple ne concernerait que le propriétaire des terrains et la Sàrl, et non le gérant.

Interprétation du contrat ; animus societatis. La commune et réelle volonté des parties s’interprète de façon concrète à l’aune de l’ensemble des circonstances. L’animus societatis fait défaut lorsqu’il ne peut être inféré des circonstances que la collaboration des parties vise la vente d’un capital-actions à tout client. En l’espèce, l’échange de quelques courriers à la suite d’une vente d’un capital-actions non venue à chef à une personne spécifique ne permet pas de retenir la volonté des parties d’être liées par un contrat de société simple pour toute vente future.

Existence d’une société simple ; calcul du bénéfice de liquidation. Dans le cadre de l’acquisition et de la rénovation d’appartements par un couple de concubins, l’existence d’une société simple doit être retenue, quand bien même l’un des concubins n’a pas signé le prêt hypothécaire nécessaire au projet, qu’il ne souhaite pas devenir propriétaire de l’immeuble, ni être inscrit au registre foncier comme tel. Ces éléments n’influent pas sur la volonté commune d’acquérir un immeuble, ni sur les apports en industrie et financiers effectués par le concubin. La plus-value conjoncturelle de l’apport en usage (quoad usum) ou en destination (quoad sortem) revient à l’associé qui l’a effectué au moment de la dissolution de la société simple, alors que la plus-value due à l’activité de la société simple constitue un gain à partager entre les associés. Toutefois, si les associés traitent, dans leurs relations internes, l’apport quoad sortem comme s’ils en étaient propriétaires collectifs, toute plus-value, y compris conjoncturelle, constitue un bénéfice de la société. Partant, un immeuble acheté par un concubin pour servir de logement au couple constitue un apport quoad sortem de sorte que le bénéfice devra être partagé entre les associés lorsqu’ils se sont comportés comme s’ils en étaient propriétaires collectifs.

Société simple ; principe de la confiance ; imputation de connaissance à la personne morale. Dans le cadre de rapports commerciaux (achat, engraissement et revente de porcs) tissés par un entrepreneur individuel avec un père et ses deux fils, le TF avait déjà confirmé à l’époque que les deux fils, malgré leurs contestations, formaient avec leur père une société simple et, partant, étaient solidairement débiteurs d’impayés envers l’entrepreneur (arrêts 4A_513/2015 du 13 avril 2016, puis 4A_253/2017 du 18 juin 2018). La question de l’existence d’une société simple du père et ses deux fils est à nouveau débattue en 2023 dans le cadre de trois nouvelles livraisons de porcs litigieuses par l’entrepreneur, à ceci près que son entreprise est désormais déployée sous la forme d’une société anonyme. D’après le TF, lorsque celui qui croit contracter avec une société simple est une société anonyme, cette dernière est engagée contractuellement par ses organes. Les déclarations (« Willensäusserungen »), la connaissance (« Wissen ») et la connaissance attendue (« Wissen müssen ») de l’organe sont donc directement celles de la société anonyme. L’imputation à la personne morale doit intervenir seulement pour ce qui est connu de l’organe qui est au moins saisi de l’affaire, ou lorsque les informations acquises par un organe n’ont pas été transmises à un autre organe, en raison du défaut d’organisation de la société, ou encore lorsque des contacts préalables ont été noués par la société avec des tiers. En l’espèce, le TF retient que la société anonyme, par son organe, pouvait valablement, selon les règles de la bonne foi (principe de la confiance), déduire qu’elle était liée avec une société simple formée par le père et ses deux fils.

Existence d’une société simple ; notion d’apport. En 2007, un couple de nationalité allemande n’étant pas en mesure d’acquérir un immeuble sur le sol suisse, convenait oralement avec un tiers (de nationalité suisse), que ce dernier y acquerrait un bien immobilier en son propre nom, au moyen des fonds remis par le couple, pour une durée indéterminée et sans intérêts ; le tiers en aurait la jouissance et, sur demande, le mettrait à disposition du couple ou de leurs amis sans contrepartie. En 2013, le couple demande le remboursement des liquidités, le tiers s’y refusant. Le TF est appelé à se prononcer quant à l’existence ou non d’une société simple (qui aurait, entre autres, une incidence sur le droit applicable, selon l’art. 117 LDIP). In casu, la volonté réelle des parties était la mise en commun de certaines ressources et capacités (liquidités d’une part ; capacité à acquérir un bien immobilier d’autre part) dans l’optique d’un but commun (partage de la jouissance du bien immobilier). Il s’agit donc d’un contrat de société simple (art. 530 al. 1 CO) : la notion d’apport (art. 531 CO) est une notion relativement large qui appréhende toute prestation susceptible de favoriser la réalisation du but social, comme en l’espèce, la mise à disposition de sa capacité à acquérir un immeuble. Par conséquent, la demande de remboursement orale du couple (par laquelle il réclamait la restitution de l’intégralité de son apport) pouvait valablement être interprétée comme une dénonciation du contrat de société simple, la forme écrite n’étant pas exigée.