Droit des sociétés

Participation sans droit à l’assemblée générale ; contestation de décisions de l’assemblée générale. Si des personnes qui n’ont pas le droit de participer à l’assemblée générale prennent part à une décision, tout actionnaire peut contester cette décision, à moins que la société défenderesse ne prouve que cette participation n’a exercé aucune influence sur la prise de décision. En l’espèce, la recourante conteste l’existence d’une base légale interdisant à une fondation de prévoyance du personnel d’exercer le droit de vote des actions qu’elle détient. Appliquant l’art. 659a al. 1 CO par analogie, le TF considère que lorsqu’une fondation patronale de prévoyance du personnel détient des actions de la société qui la contrôle, le droit de vote découlant de ces actions est suspendu, à moins que des mesures structurelles appropriées ne garantissent que le conseil de fondation agisse de manière effectivement et durablement indépendante. Dans le cas d’espèce, la participation non autorisée a eu un effet causal sur la prise de décision au sens de l’art. 691 al. 3 CO in fine. Chaque actionnaire peut dès lors contester les décisions de l’assemblée générale concernées.

Convocation d’une assemblée générale ordinaire ; nullité des décisions de l’assemblée générale pour vices de formes graves. Selon la jurisprudence constante du TF, les inscriptions au registre du commerce sont des faits notoires qui n’ont besoin ni d’être allégués ni prouvés. En l’espèce, l’objet du litige reposant sur les versions successives des statuts, respectivement les modes de convocation de l’assemblée générale, la recourante n’ayant pas pu se prononcer sur lesdits statuts en première instance se voit privée de son droit d’être entendu. Une violation éventuelle de l’art. 696 al. 2 CO ne constitue pas un motif de nullité au sens de l’art. 706b CO. Quand bien même la nullité se constate d’office, celle-ci doit être invoquée dans le cadre d’une requête au sens de l’art. 58 CPC. En l’absence d’une telle requête, le TF ne saurait entrer en matière sur une requête en constatation de la nullité des décisions de l’assemblée générale.

Convocation d’une assemblée générale ordinaire. Conformément à l’art. 699 al. 4 CO, le juge doit, sur requête, ordonner la convocation de l’assemblée générale si le conseil d’administration ne donne pas suite à cette requête dans un délai raisonnable. La convocation par le juge sur la base de l’art. 699 al. 4 CO est une mesure purement formelle qui ne lie sur le fond ni l’assemblée générale ni le juge qui statue sur la contestation des décisions prises lors de l’assemblée convoquée sur ordre du juge. Le juge chargé de la convocation n’a donc pas non plus à juger si les décisions qui seront prises lors de l’assemblée générale seront valables ; ces questions ne doivent être examinées que dans le cadre d’une éventuelle action en annulation ou en nullité. Néanmoins, le juge saisi d’une requête de convocation ne doit pas donner suite à une demande de convocation et d’inscription à l’ordre du jour si celle-ci s’avère manifestement abusive ou chicanière ; il en va de même des demandes d’inscription à l’ordre du jour manifestement nulles et non avenues.

Carence organisationnelle. Sort du mandat d’administrateur lorsqu’ aucune assemblée générale n’a eu lieu ou que l’élection du conseil d’administration n’a pas été inscrite à l’ordre du jour dans les six mois qui suivent la clôture de l’exercice. En l’espèce, le TF exclut la continuation ou la reconduction tacite dudit mandat. De même, une disposition statutaire prévoyant une réélection automatique des administrateurs pour éviter une éventuelle situation de blocage au sein de l’actionnariat serait contraire au droit inaliénable de l’assemblée générale d’élire les membres du conseil d’administration en vertu de l’art. 698 al. 2 ch. 2 CO. Aussi, le mandat du conseil d’administration prend fin à l’expiration du sixième mois suivant la clôture de l’exercice concerné, si aucune assemblée générale n’a été organisée conformément à l’art. 699 al. 2 CO ou si l’élection du conseil d’administration n’a pas été inscrite à l’ordre du jour.

Carence dans l’organisation d’une société anonyme faisant partie de l’actif d’une succession ; action de l’exécuteur testamentaire et intervention accessoire d’un héritier à titre individuel. Lorsque les héritiers membres de la communauté héréditaire sont en commun actionnaire (unique) d’une société, l’exécuteur testamentaire a, en tant qu’administrateur de la succession, la faculté d’introduire l’action pour carences dans l’organisation de cette société en vertu de l’art. 731b CO. Les héritiers sont titulaires des droits successoraux ; par conséquent chaque héritier a un intérêt juridique individuel à intervenir dans la procédure ; il peut donc intervenir seul au procès en qualité d’intervenant accessoire indépendant. A ce titre, il est libre de procéder indépendamment de l’exécuteur testamentaire et peut même adopter une position en contradiction avec celle de celui-ci.

Admissibilité d’une fusion simplifiée lorsque l’une des sociétés participant à la fusion n’est détenue qu’indirectement à 100 %. Le TF était saisi d’un recours dirigé contre un arrêt du Tribunal administratif fédéral (« TAF »), lequel confirmait le refus par le registre du commerce du canton de Zoug (« RC ZG  ») d’inscrire une fusion simplifiée. En effet, il apparaissait que la société reprenante était certes détenue à 100 % par le même actionnaire ultime, mais que la société transférante n’était détenue directement qu’à 60 %, les 40 % restant étant détenus par le biais d’une autre entité, elle-même détenue à 100% par l’actionnaire ultime. Le TF confirme l’arrêt du TAF et la décision du RC ZG, défendant une vision juridique étroite et rejetant une interprétation extensive de la loi défendue par certains auteurs de doctrine se fondant sur une approche économique. Pour le TF, la lettre de la loi est claire et il ne lui appartient pas de substituer à la loi ses propres considérations afin d’imposer une solution différente que le législateur n’a pas voulue et aurait pu envisager. Le TF se réfère (consid. 6.3), sans surprise, au principe du numerus clausus des restructurations de la LFus, déjà utilisé par le TAF pour refuser la transformation d’une SICAF en SICAV (arrêt TAF B-6755/2013 du 11 août 2014, cf. Hari Olivier, Transformation d’une SICAF en SICAV et numerus clausus de la loi sur la fusion : lacune ou silence qualifié ?, GesKR, vol. 04/2014, 2014, p. 527-535) ou encore la reprise d’une société anonyme de droit privé par un institut de droit public au moyen d’une fusion par absorption (ATF 132 III 470). Le TF se réfère aussi à son ATF 140 III 206, dans lequel il avait aussi adopté une approche restrictive pour ne pas autoriser l’émission de bons de jouissance par une société coopérative.

Responsabilité du fait du prospectus. Le présent litige s’apprécie à l’aune de l’ancienne responsabilité de droit privé pour les prospectus de l’art. 752 aCO. Les conditions générales de responsabilité s’appliquant également à la responsabilité découlant du prospectus. Aussi, le rapport de causalité est établi lorsque le préjudice résulte d’une information défectueuse. Le TF prévoit un allègement du fardeau de la preuve limité à la vraisemblance prépondérante. Celle-ci est retenue lorsque d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération. En l’espèce, les recourants ne parviennent pas à établir qu’ils auraient renoncé à leur investissement dans la société anonyme s’ils avaient été correctement informés par les informations contenues dans le prospectus. Au surplus ces derniers n’étaient pas sans savoir qu’aucun investissement n’est dépourvu de risque.

Droit à l’incorporation d’actions nominatives dans un papier-valeur. Les propriétaires d’actions nominatives disposent d’un droit légal à ce que leurs droits de participation soient incorporés dans un papier-valeur. En revanche, ce droit de principe peut être exclu dans les statuts de la société. C’est le cas pour les actions nominatives dont il est question en l’espèce.

Cession d’actions nominatives. Le transfert d’actions nominatives peut s’effectuer par la remise du titre endossé à l’acquéreur, art. 684 al. 2 CO en lien avec l’art. 967 CO, ou par une déclaration de cession selon les art. 164 ss CO, qui tient lieu d’endossement, pour autant que les statuts de la société ne l’excluent pas. Il n’est pas nécessaire que la déclaration de cession soit apposée directement sur le titre, qu’elle contienne expressément le mot cession ou qu’elle soit contresignée par le cessionnaire, car elle peut aussi figurer dans le contrat dans lequel la cession est promise. En revanche, il est nécessaire que la déclaration de cession soit écrite conformément à l’art. 165 CO, qu’elle contienne une individualisation suffisante de la créance, qu’elle soit signée par le cédant et que l’on puisse déduire de la volonté du cédant de transférer, par la signature et la remise de la déclaration, le droit concerné au cessionnaire, respectivement, que le cédant considère la cession comme exécutée.

Rappel des principes en matière de fondation de famille et d’inscription au registre du commerce. L’inscription au registre du commerce peut être refusée lorsque le but est manifestement contraire à la loi, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation (art. 49 PA). La constitution d’une fiducie de famille n’est pas admise en droit suisse (art. 335 al. 2 CC). Dès lors, la description trop générale du but, qui ne se rattache pas à une situation de vie déterminée, n’est pas admissible. En l’espèce, la fondation n’a donc pas pu acquérir la personnalité (art. 52 al. 3 CC), bien qu’elle soit valablement partie au litige, conformément à la pratique en matière d’acquisition de personnalité.

Blocage du registre du commerce et mesures provisionnelles. Le blocage du registre du commerce est demandé par le biais de mesures provisionnelles (art. 263 CPC) en attendant le jugement portant sur l’éventuelle nullité/annulabilité d’une décision de l’AG. En attendant le jugement au fond, seul l’administrateur inscrit au registre du commerce peut valablement représenter la société. Les décisions provisionnelles sont incidentes, et servent à éviter un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF). « Le dommage doit être de nature juridique ; un dommage économique ou de pur fait, tel que l’allongement de la procédure et/ou l’accroissement des frais, ne suffit pas ». En l’espèce, un tel préjudice n’est pas rendu vraisemblable par le recourant.

ATF 148 III 11 (d)

2021-2022

Responsabilité du conseil d’administration ; légitimation active ; concurrence entre l’action de la société et celle d’un créancier/actionnaire (ayant tous deux subi un dommage) et de la priorité à donner à l’une par rapport à l’autre (consid. 3.2.3.1). Revenant sur les arrêts 131 III 306 et 141 III 112, le TF mentionne qu’il ne s’était alors par explicitement prononcé sur la question de savoir si la priorité de l’action de la société s’appliquait indépendamment du fait que la société soit en faillite ou non. Il précise ici que dans le cas d’une société en activité, il n’y a pas de concurrence entre les deux actions qui peuvent être introduites librement par les ayants droit. Finalement, le TF dresse une liste des dispositions du droit de la société anonyme qu’un créancier peut invoquer pour fonder un dommage. Il se réfère aussi à la notion de normes à double effet protecteur : en font partie les dispositions relatives au bilan ainsi que celles sur le surendettement. L’art. 717 CO (diligence) en revanche ne crée que des obligations envers la société et ne peut pas être invoqué par un créancier. En l’espèce, l’actionnaire ou le créancier voit sa qualité pour agir limitée aux prétentions tendant à la réparation de son dommage direct. Il est rappelé que les prétentions en responsabilité fondées sur l’art. 754 CO peuvent également être formulées par une personne qui n’est plus actionnaire ou créancière de la société au moment où l’action est introduite, pour autant qu’elle ait été directement lésée en cette qualité. Conformément à la maxime des débats, il est indispensable d’établir l’illicéité du comportement adopté par l’organe, afin que le dommage allégué qui en résulte puisse être admis.

Responsabilité des organes de la société anonyme. La responsabilité fondée sur l’art. 754 CO est subordonnée à la réunion des quatre conditions générales suivantes, à savoir la violation d’un devoir, une faute (intentionnelle ou par négligence), un dommage et l’existence d’un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre la violation du devoir et la survenance du dommage. Elle vise tant les administrateurs que toute personne qui s’occupe de la gestion, y compris les organes de faits. Lorsque le manquement reproché est, comme en l’espèce une omission, le rapport de causalité doit exister entre l’acte omis et le dommage. C’est notamment le cas lorsque les créances colloquées dans la faillite sont nées après la date à laquelle l’administrateur intimé aurait dû aviser le juge du surendettement comme dans le cas d’espèce. L’art. 759 al. 1 CO institue une solidarité différenciée. Si plusieurs personnes répondent d’un même dommage, chacune d’elles est solidairement responsable dans la mesure où le dommage peut leur être imputé personnellement en raison de leur faute et au vu des circonstances. Dans l’affaire en cause, le TF retient qu’il semble discutable d’admettre une faute de l’administrateur qui se renseignait régulièrement sur l’état de la société auprès du directeur recourant, relançait ce dernier en cas de retard dans l’établissement des comptes, a requis l’établissement des comptes avant son départ de la société, a prêté plusieurs millions à la société et a postposé ses créances au vu des pertes subies par la celle-ci.

Sortie de l’associé d’une société à responsabilité limitée pour justes motifs ; acquisition par la société de parts sociales propres. Si la sortie d’un associé d’une Sàrl détenant un taux de participation important a pour conséquence que la société détiendrait ses propres parts sociales d’une valeur nominale supérieure à 35 % du capital social, celle-ci ne doit pas être autorisée.

Contrôle spécial. Conformément à l’art. 697b al. 2 CO, le droit au contrôle spécial est soumis à l’interdiction générale de l’abus de droit. Il ne doit pas être utilisé à des fins étrangères à son essence. Ainsi, le requérant qui démontre que le manque d’informations relatives aux sujets visés par les questions litigieuses empêchait les actionnaires de voter en toute connaissance de cause et que le comportement des organes de la recourante contrevenait à plusieurs dispositions légales, notamment dans un contexte susceptible de remplir les conditions de l’art. 725 CO, renforce dès lors d’autant plus la légitimité de sa requête.

Enrichissement illégitime. Une coopérative perçoit des cotisations qui ne sont pas prévues par les statuts. La valeur litigieuse de CHF 30’000.- n’est pas atteinte, le recours n’est donc pas recevable devant le TF au regard de l’article 74 al. 1 let. b LTF. Le recourant fait toutefois valoir une question juridique de principe, ouvrant la voie de l’article 74 al. 2 let. a LTF. Le recourant se prévaut de l’argument selon lequel les statuts ne sont pas des faits nouveaux au sens de l’article 317 CPC, et qu’ils devraient être retenus d’office lors de l’établissement des faits. Si tel était le cas, le paiement sans cause serait alors réalisé volontairement, ne donnant pas droit à la restitution sous l’angle de l’enrichissement illégitime. Le TF considère toutefois qu’il ne s’agit pas d’une question juridique de principe.

Intervention accessoire et société coopérative. Intervention accessoire indépendante (art. 74 CPC) d’un membre de l’administration de sociétés coopératives, dans le cadre d’une procédure judiciaire dirigée contre les sociétés coopératives par un tiers, visant à faire constater la nullité de l’octroi au membre de l’administration d’un pouvoir de signature individuelle. L’intervention accessoire peut être dépendante ou indépendante. Elle est indépendante lorsque le litige modifie directement la situation juridique de l’intervenant accessoire. Le TF a estimé qu’il n’était pas possible de suivre le point de vue de l’autorité précédente, qui estimait en substance que le membre de l’administration habilité à gérer et représenter (individuellement) les sociétés coopératives ne pouvait pas être considéré comme un tiers par rapport aux sociétés coopératives. Selon le TF, le fait que l’organe fasse partie de la direction des coopératives et soit au courant de la procédure principale dirigée contre les coopératives ne fait pas de lui une partie principale qui serait déjà impliquée dans la procédure. Dans son raisonnement, l’autorité précédente s’était basée sur des développements doctrinaux relatifs aux sociétés de personnes (société en nom collectif et société en commandite) et avait apparemment et en substance estimé que le membre de l’administration qui dispose du pouvoir de gérer la société peut exercer une influence sur la société, ce qui le disqualifierait en tant que tiers. Le TF rappelle à cet égard que ces développements, concernant des sociétés de personnes qui ne disposent pas de la personnalité morale, ne sont pas transposables à la société coopérative, qui constitue une personne morale. Le TF a par ailleurs estimé que l’examen par l’autorité précédente de l’existence d’une éventuelle responsabilité individuelle illimitée pour les dettes de la société coopérative (art. 869 CO) de l’intervenant accessoire, afin de déterminer son intérêt juridique, n’avait pas lieu d’être, dans la mesure où la procédure judiciaire ne concernait pas une éventuelle responsabilité patrimoniale de l’intervenant (mais son pouvoir de gestion).

Exclusion d’un associé. L’associé d’une coopérative est exclu pour trois motifs distincts, il avait surfacturé des moteurs de stores, profité du travail gratuit d’employés de la société, et tenté de convaincre des employés de donner leur démission. L’ex-associé demande que le jugement soit révisé (art. 123 al. 2 let. a LTF) en invoquant que certains employés auraient été menacés de licenciement pour faire de fausses déclarations à son endroit. Il n’aurait donc pas bénéficié de leur travail gratuit. Cependant, de tels faits nouveaux, bien que susceptibles d’être un motif de révision, ne concernent qu’un des trois motifs pour lesquels il a été exclu, et ne sont donc pas suffisants pour entraîner la révision du premier jugement.