Droit des migrations

La compatibilité avec l’art. 8 CEDH des délais d’attente opposés aux bénéficiaires de protection internationale afin de pouvoir déposer une demande de regroupement familial doit faire l’objet d’une analyse au cas par cas. Celle-ci doit permettre d’apprécier un juste équilibre entre les intérêts étatiques au contrôle de l’immigration et les intérêts privés à l’unité familiale. Cela implique, plus précisément, la prise en compte de l’existence d’obstacles insurmontables empêchant que la vie familiale soit vécue sur le territoire d’un autre Etat et l’octroi d’un poids particulièrement important à cet élément lorsque le délai d’attente est supérieur à deux ans. Le fait que les membres de la famille à regrouper soient restés dans un pays marqué par des attaques violentes et des mauvais traitements est également un facteur important dans le cadre de la pesée d’intérêts. Or, dans le cas d’espèce, la pratique danoise ne permet de faire exception à l’exigence d’une attente de trois ans qu’en présence de « circonstances particulières », à savoir la présence d’enfants ou d’éventuels problèmes de santé au sein des familles concernées. Une telle pratique contrevient donc à l’art. 8 CEDH.

Un ressortissant gambien cherchant à être protégé des persécutions qu’il subirait dans son pays d’origine en raison de son homosexualité dépose plusieurs demandes d’asile en Suisse. Débouté à plusieurs occasions par le SEM et le TAF, l’intéressé fait l’objet d’une décision d’expulsion vers la Gambie, dont la législation pénalise les relations homosexuelles. La Cour EDH examine la compatibilité de ce renvoi avec le principe de non-refoulement découlant de l’art. 3 CEDH. La non-connaissance, par les autorités gambiennes, de l’orientation sexuelle de l’intéressé ne saurait écarter le risque de traitement contraire à l’art. 3 CEDH. Effectivement, ladite orientation pourrait encore être découverte par celles-ci dans le futur. La simple pénalisation de l’homosexualité dans l’Etat d’origine ne suffit toutefois pas à établir l’existence d’un risque de traitements contraires à l’art. 3 CEDH, et ce quand bien même les peines prévues à cet égard s’avèreraient très sévères. Il découle de la jurisprudence antérieure de la Cour EDH et de la CJUE, donc la Cour EDH tient compte ici, qu’il convient encore d’examiner si de telles lois sont réellement appliquées, ce qui n’est plus le cas en Gambie. Le risque de traitements prohibés émanant d’actes individuels de certains officiers étatiques ne peut néanmoins pas être écarté. En outre, la discrimination sociétale basée sur l’identité sexuelle en Gambie est une réalité bien établie. Un risque de traitements prohibés émanant d’acteurs privés doit donc être admis. Concernant ce dernier point, la Cour relève le manque de volonté des autorités gambiennes de protéger les personnes homosexuelles de persécutions émanant de particuliers, ce qu’elle met en lien avec le fait que l’homosexualité soit toujours pénalisée par la législation du pays africain. Il découle de ce qui précède que les autorités helvétiques n’ont pas examiné de façon suffisante le risque de traitements contraires à l’art. 3 CEDH émanant d’acteurs non-étatiques en Gambie et le caractère défaillant de la protection étatique contre de tels actes. Un renvoi sans une nouvelle évaluation de ces éléments violerait l’art. 3 CEDH.

Un ressortissant étranger né en Suisse et titulaire d’une autorisation d’établissement fait l’objet d’une expulsion pénale (art. 66a al. 1 let. h CP) d’une durée de cinq ans en raison de la commission d’actes à caractère sexuel sur une mineure. Ces actes lui valent également une condamnation à douze mois de peine privative de liberté avec un sursis de trois ans. Le requérant, adulte de trente-huit ans sans enfants, invoque la protection de sa vie privée (art. 8 CEDH devant les juges de Strasbourg. S’agissant d’un étranger ayant passé l’intégralité de sa vie en Suisse, de solides raisons doivent être avancées afin de justifier son éloignement. La Cour commence par souligner que les infractions dont le requérant s’est rendu coupable ont été commises récemment. La tolérance dont fait normalement preuve la Cour à l’égard des personnes ayant commis des infractions pendant leur adolescence n’a dès lors pas sa place ici. Elle constate également que, si la peine prononcée (douze mois de peine privative de liberté avec un sursis de trois ans) est relativement légère, elle est tout de même supérieure à celle prononcée dans l’affaire Shala c. Suisse, où la peine en question s’élevait à cinq mois et demi, assortie d’un sursis (cf. arrêt de la CourEDH, Shala c. Suisse du 15 novembre 2012, requête no 52873/09). Or, dans cette dernière affaire, la Cour a jugé que l’expulsion du territoire suisse pour une durée de dix ans n’a pas emporté violation de l’article 8 de la Convention. Les infractions commises par le requérant sont considérées comme graves par la Cour, qui relève que l’intégrité sexuelle constitue un bien juridique particulièrement important. En outre, le passé judiciaire du requérant (quatre condamnations au total), le risque de récidive (photos à caractère pédopornographique trouvées sur son téléphone), l’absence de liens sociaux, culturels, familiaux ou professionnels particuliers ainsi que les faibles perspectives de réinsertion (homme âgé de trente-huit ans, n’ayant jamais exercé d’activité professionnelle et ne disposant d’aucune formation) plaident en défaveur de l’intéressé. Concernant ce dernier point, la Cour se rallie à l’avis du TF qui juge que l’activité de serveur exercée par le requérant dans le cadre de l’assistance de probation ou la formation en « permaculture » suivie durant six mois ne sont pas susceptibles de déboucher sur une véritable insertion professionnelle. Partant, une violation de l’art. 8 CEDH ne saurait être retenue.

Dans l’arrêt ultérieur Z c. Suisse, dont les faits sont très similaires, la Cour conclut également à une non-violation de l’art. 8 CEDH alors que le requérant entretient bien des liens sociaux, culturels et familiaux importants avec la Suisse. A cet effet, elle relève de nouveau la gravité des infractions portant atteinte à l’intégrité sexuelle des mineurs mais également les perspectives positives d’intégration du requérant dans son Etat d’origine en cas de renvoi (cf. arrêt de la Cour EDH, Z c. Suisse du 22 décembre 2020, Requête no 6325/15).

V.A., une ressortissante azerbaïdjanaise, et ses deux enfants E.A. et U.A. contestent devant le Comité des droits de l’enfant la décision de transfert Dublin qui a été prononcée à leur encontre par le SEM et confirmée par le TAF. Les intéressés indiquent notamment, dans leur communication, que les enfants n’ont pas été entendus dans le cadre de leur procédure d’asile, que ce soit en première ou en deuxième instance. Ils soutiennent que les autorités suisses ont ainsi violé leur droit d’être entendu au sens de l’art. 12 CDE. Appelée à se déterminer, la Suisse soutient que cette disposition ne confère pas aux enfants un droit inconditionnel à être entendus oralement et personnellement, mais uniquement celui de pouvoir faire valoir leur point de vue de façon appropriée, cas échéant par le biais de leur représentant. La Suisse rappelle par ailleurs la pratique du SEM, selon laquelle un enfant ne doit être entendu personnellement que dans les cas où il dispose de la qualité de discernement, laquelle est présumée à partir de l’âge de quatorze ans. Dans le cas d’espèce, la Suisse souligne que les enfants E.A. et U.A. n’étaient âgés que de huit et trois ans lorsque le SEM a rendu sa décision. Elle estime dès lors que c’est à raison, et a fortiori sans violer l’art. 12 CDE, que le SEM ne les a pas auditionnés. Le Comité des droits de l’enfant est d’un autre avis. Il rappelle que l’art. 12 CDE « n’impose aucune limite d’âge en ce qui concerne le droit de l’enfant d’exprimer son opinion, et qu’il décourage les Etats parties d’adopter, que ce soit en droit ou en pratique, des limites d’âge de nature à restreindre le droit de l’enfant d’être entendu sur toutes les questions l’intéressant ». Il estime par ailleurs que les autorités suisses ne pouvaient pas, comme elles l’ont fait, retenir que les intérêts des enfants coïncidaient forcément avec ceux de leur mère. Il souligne en effet que « la détermination de l’intérêt supérieur des enfants requiert que leur situation soit évaluée séparément, nonobstant les raisons ayant motivé la demande d’asile de leurs parents ». Le Comité des droits de l’enfant aboutit ainsi à la conclusion que l’absence d’audition directe des enfants E.A. et U.A. est constitutive d’une violation de l’art. 12 CDE. Il demande à la Suisse de réexaminer la demande d’asile des intéressés, après avoir entendu les enfants. Il lui recommande par ailleurs « de veiller à ce que les enfants soient systématiquement entendus dans le contexte des procédures d’asile » et lui impartit un délai de 180 jours pour lui faire part des mesures prises en ce sens.

Un ressortissant russe quitte son pays d’origine à l’âge de 7 ans avec sa mère pour arriver en Suisse le 5 septembre 2005. Il est mis au bénéfice d’autorisations de séjour par regroupement familial, puis pour études, jusqu’au 30 septembre 2015. En 2011, sa mère est extradée en Russie pour y purger une peine privative de liberté. Condamné pénalement à deux reprises pour infraction la circulation routière et contravention à la LStup, il fait également l’objet de poursuites pour un montant d’environ CHF 18’000.-, mais n’émarge pas à l’aide sociale. Se basant sur l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée), il recourt jusqu’au TF, invoquant avoir séjourné en Suisse pendant plus de dix ans. La Haute Cour considère qu’il s’agit d’un cas limite. En effet, ses condamnations sont tout de même de peu de gravité et il a commis des infractions entre 17 et 19 ans, soit lorsqu’il n’était qu’un jeune adulte. Il s’est retrouvé seul en Suisse à l’âge de 15 ans, a réussi à trouver un emploi pour subvenir à ses besoins, s’est intégré socialement en Suisse et a une bonne maîtrise de la langue française. Sa scolarisation s’est principalement effectuée en Suisse et il a séjourné au bénéfice d’autorisations de séjour pendant plus de 10 ans. Cela fait effectivement 18 ans qu’il a quitté son pays d’origine. Le recours est admis, mais le recourant reçoit un avertissement formel quant à son comportement et à sa situation financière.

Un ressortissant serbe, arrivé en Suisse en 1994 au titre de l’asile, a conclu entre 1992 et 2007 un total de trois mariages, et trois divorces avec des citoyennes suisses. Sur la base de son dernier mariage célébré en 2007 avec D., il a obtenu la naturalisation facilitée en 2014 dans le canton de Berne. Le divorce a été prononcé en mai 2016, à la suite de la conclusion d’une convention de divorce en novembre 2015. Le recourant s’est ensuite remarié avec une ressortissante de Bosnie-Herzégovine en mars 2017, avec laquelle il avait commencé une relation en août 2015. Le SEM a annulé la naturalisation facilitée accordée en 2014. Dans le cadre de l’examen des conditions d’annulation de la naturalisation au sens de l’art. 41 aLN (actuel art. 36 LN), le TF considère, à l’instar du SEM, que la succession des événements indique que l’union conjugale avec D. n’était déjà plus intacte au moment de la déclaration commune intervenue en mai 2014, respectivement au moment de la naturalisation. La présomption selon laquelle la séparation du couple en 2015 est la conséquence de problèmes conjugaux préexistants et qu’il n’y avait plus d’union conjugale intacte au moment de la naturalisation est compatible avec la chronologie des événements. Néanmoins, le TF retient que la présomption de fait est renversée car le recourant parvient à démontrer que, malgré les problèmes conjugaux existants, les époux ont fait des efforts pour tenter de les surmonter. Les ex-conjoints décrivent de manière cohérente et vraisemblable qu’ils ont connu des problèmes conjugaux en lien avec leur projet de concevoir un enfant, qui ne s’est pas réalisé pendant une longue période. Il ne fait aucun doute que l’absence d’enfant peut mettre une relation à rude épreuve, surtout si, comme dans le cas d’espèce, elle est associée à plusieurs fausses couches. Les époux ont tenté de résoudre ces problèmes relationnels en participant à une séance de thérapie de couple. L’affirmation des époux selon laquelle les problèmes conjugaux n’existaient plus, ou n’existaient plus dans la même mesure, au moment de la décision de naturalisation en raison de la naissance de leur fils est vraisemblable, dès lors qu’ils envisageaient leur avenir à trois. En conclusion, le recourant avait des raisons sérieuses de croire en la stabilité de leur union conjugale au moment de la naturalisation. Ses déclarations sont vraisemblables, d’autant plus qu’elles ont été confirmées par son ex-épouse. Il ne peut être retenu qu’il a trompé les autorités de naturalisation au sens de l’art. 41 aLN. Pour le surplus, le TF constate que la demande de la naturalisation facilitée émane de l’ex-épouse, et non du recourant lui-même. Le TF relève encore que le recourant aurait pu déposer une telle demande quelques années plus tôt, voire même dans le cadre d’un précédent mariage avec une Suissesse, ce qu’il n’a pas fait. Par conséquent, ces éléments infirment l’hypothèse d’une obtention frauduleuse de la naturalisation facilitée et le TF admet le recours de l’intéressé.

ATF 147 II 1 (f)

2020-2021

Dans cet arrêt, se pose la question de la compatibilité de l’art. 61a al. 1 LEI avec l’ALCP. En effet, cette disposition semble compatible avec l’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP mais contraire à l’art. 6 par. 6 Annexe I ALCP. Le TF se livre donc à une interprétation des dispositions de l’ALCP précitées en raison de leur apparente contradiction. L’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP prévoit que les ressortissants des parties contractantes ont le droit de rester sur le territoire d’une partie contractante après la fin d’un emploi d’une durée inférieure à un an pour y chercher un emploi et y séjourner pendant un délai raisonnable, qui peut être de six mois. Ainsi, en vertu de cette disposition, le titre de séjour UE/AELE d’un travailleur salarié pourrait être révoqué, en application de l’art. 61al. 1 LEI, si ce dernier devait être frappé de chômage involontaire pendant sa première année de séjour. L’art. 6 par. 6 Annexe I ALCP, quant à lui, prévoit que le titre de séjour UE/AELE d’un travailleur salarié en cours de validité ne peut lui être retiré du seul fait qu’il se trouve en situation de chômage involontaire. En vertu de cette dernière disposition, le travailleur salarié conserverait donc son titre de séjour jusqu’à son expiration, et ce même en cas de chômage involontaire pendant la première année de séjour. Pour le TF, l’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP doit être considéré comme une lex specialis de l’art. 6 par. 6 Annexe I ALCP et s’applique bien aux cas de travailleurs salariés frappés de chômage involontaire pendant leur première année de séjour. Il découle de ce qui précède que l’art. 61a al. 1 LEI ne s’avère pas contraire à l’ALCP et s’insère dans la règle de l’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP.

ATAF 2020 VI/3 (d)

2020-2021

Suite à la disparition d’un requérant d’asile, la procédure de réexamen le concernant devant le TAF est radiée du rôle. Pendant ce temps, ce dernier dépose une demande d’asile dans plusieurs pays européens, dont l’Allemagne, d’où il est transféré vers la Suisse en application du Règlement Dublin III. En vertu des art. 35a LAsi et art. 18 al. 2 Règlement Dublin III, l’Etat membre responsable (ici, la Suisse) est tenu de reprendre en charge un requérant ayant déposé une demande dans un autre Etat membre ou se trouvant sur ce dernier, sans titre de séjour. La procédure précédemment radiée du rôle doit, en outre, être rouverte. Le TAF précise, dans cet arrêt, qu’une telle obligation ne concerne que les procédures de première instance. En effet, une obligation de réouverture des procédures contentieuses ne découle nullement du libellé de l’art. 18 du Règlement Dublin III et le législateur fédéral a prévu l’art. 35a LAsi dans la section de la loi concernant la procédure de première instance. La portée de l’art. 46 de la directive 2013/32/UE (non-contraignante pour la Suisse mais dont il convient de tenir compte en vertu de l’art. 113 LAsi), des art. 29 et 29Cst. ainsi que la jurisprudence de la Cour EDH relative à l’art. 13 CEDH confortent le TAF dans cette idée. Ainsi, en l’absence de motifs pouvant s’opposer au renvoi du requérant (ce qui est constaté dans le cadre d’un examen sommaire du dossier) et de raisons pouvant justifier son comportement, le TAF conclut que la procédure le concernant n’a pas à être reprise.

Dans le cadre d’une procédure de recours ayant trait à une demande d’asile, se pose la question de savoir si le SEM peut rendre une décision en français, alors que selon l’ancien art. 16 al. 2 LAsi, le SEM notifie ses décisions et ses décisions incidentes dans la langue officielle du lieu de résidence du requérant, lequel est domicilié dans une région germanophone dans le cas particulier. Dans cette affaire, le TAF confirme sa jurisprudence selon laquelle les exceptions à ce principe énoncées à l’ancien art. 16 al. 3 LAsi doivent être interprétées en tenant compte des garanties procédurales découlant du droit à un recours effectif et à un procès équitable (art. 29 al. 1 Cst. et art. 13 CEDH). Le tribunal retient que le SEM peut exceptionnellement rendre une décision dans une autre langue sous réserve de prendre des mesures correctives adéquates pour garantir le droit à un recours effectif et à un procès équitable. Si le SEM omet de prendre de telles mesures et n’a pas remédié à cette omission durant la procédure de recours, la décision doit en principe être cassée si le recourant n’est pas représenté par un mandataire. Une cassation ne se justifie cependant pas lorsque la partie est représentée par un mandataire professionnel.

Le TAF rappelle dans cet arrêt qu’une poursuite pénale dans le pays d’origine peut, dans certaines circonstances, constituer une persécution au sens de l’art. 3 LAsi. Tel est notamment le cas en présence d’un « polit malus », soit « lorsque la durée ou la nature de la sanction encourue, ou encore la situation procédurale de l’intéressé qui s’est effectivement rendu coupable d’un délit de droit commun se trouve sensiblement aggravée pour un motif déterminant en droit d’asile ». Les Juges administratifs fédéraux relèvent qu’un tel « polit malus » doit être admis « lorsque la procédure pénale n’est manifestement pas conforme aux exigences de l’Etat de droit (1), lorsque le requérant d’asile est exposé à une sanction constituant une violation de ses droits fondamentaux – notamment parce qu’elle l’expose à des actes de torture ou à des traitements inhumains – (2), et enfin, lorsque sa peine est aggravée par rapport à celles d’autres auteurs dans une situation comparable (« malus relatif ») ou lorsque la sanction encourue, mise en rapport avec la gravité des actes reprochés, apparaît en soi disproportionnément sévère et partant excessive (« malus absolu ») ». Ils précisent que, dans ces dernières hypothèses, « la qualité de réfugié ne sera reconnue au requérant que si le caractère disproportionné de la sanction encourue repose sur un motif pertinent en matière d’asile ». Les Juges administratifs fédéraux rappellent par ailleurs que le droit suisse prévoit, depuis 2011, une coordination entre la procédure d’extradition et la procédure d’asile (cf. art. 41a et 108a LAsi, art. 55a EIMP, ainsi que la loi fédérale du 1er octobre 2010 sur la coordination entre la procédure d’asile et la procédure d’extradition). L’art. 108a LAsi implique ainsi que les autorités de recours doivent prendre en considération le dossier relatif à la procédure d’extradition au moment de statuer sur le recours en matière d’asile. Dans le cas d’espèce, la recourante, une ressortissante du Kazakhstan, a été condamnée à plusieurs années de prison dans son Etat d’origine pour différents délits économiques. Elle a en outre fait l’objet d’une demande d’extradition de la part des autorités du Kazakhstan, laquelle a été rejetée le 19 juin 2014 par l’Office fédéral de la justice. Il s’avère par ailleurs que ledit Office n’a pas engagé d’échange avec le Kazakhstan, parce qu’il « a d’emblée jugé que la procédure engagée par l’Etat requérant visait à poursuivre ou à punir la recourante pour ses opinions politiques ou pour son appartenance à un groupe social déterminé […] ou parce que la procédure pénale risquait d’aggraver sa situation pour l’un de ces mêmes motifs […] et que la recherche de garanties était inutile ». Dans ces circonstances, le TAF retient, eu égard au principe de coordination susmentionné, que la recourante peut se prévaloir d’une crainte fondée de persécution en cas de retour dans son Etat d’origine, de sorte que sa qualité de réfugiée doit être reconnue et que l’asile doit lui être accordé.

Dans cet arrêt de principe, le TAF estime qu’un requérant d’asile peut invoquer le droit au respect de sa vie familiale au sens de l’art. 8 CEDH pour s’opposer à son transfert Dublin, quand bien même le membre de sa famille qui séjourne en Suisse n’y dispose pas d’un droit de présence assuré. Les Juges administratifs fédéraux observent en effet qu’une telle exigence est étrangère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dont il découle que l’art. 8 CEDH s’applique en présence d’une vie familiale effective, indépendamment du titre de séjour des personnes concernées. Ils soulignent toutefois, toujours en référence aux arrêts rendus par les Juges de Strasbourg, que le statut du membre de la famille qui séjourne en Suisse doit être pris en compte dans le cadre de l’examen du cas individuel, autrement dit au moment d’opérer une balance des intérêts au sens de l’art. 8 par. 2 CEDH. Dans le cas d’espèce, le TAF retient ainsi que la recourante et ses deux filles peuvent se prévaloir de l’art. 8 CEDH pour s’opposer à leur transfert Dublin, quand bien même le membre de leur famille, c’est-à-dire l’époux de celle-là et le père de celles-ci, séjourne en Suisse au bénéfice d’une simple admission provisoire. Le tribunal considère toutefois que l’intérêt public à exécuter leur transfert l’emporte sur l’intérêt des intéressés à poursuivre leur vie familiale en Suisse. Il aboutit à cette conclusion eu égard au fait que cette famille a été créée après l’entrée en Suisse de la recourante et la détermination de la responsabilité de la Croatie pour le traitement de sa demande d’asile, autrement dit à un moment où les intéressés avaient connaissance du caractère précaire de leur situation. Le TAF arrive ainsi à la conclusion que le transfert de la recourante et de ses deux filles est conforme à l’art. 8 CEDH, de sorte que la Suisse ne saurait être considérée comme responsable du traitement de leur demande d’asile. Les Juges administratifs fédéraux vont néanmoins admettre leur recours et renvoyer la cause au SEM pour complément d’instruction et nouvelle décision, pour les raisons suivantes : l’art. 17 al. 1 du Règlement Dublin III et l’art. 29a al. 3 OA 1 permettent au SEM de traiter une demande d’asile quand bien même la Suisse n’est pas l’Etat Dublin responsable ; le SEM jouit, dans ce cadre, d’un large pouvoir d’appréciation, ce qui n’est plus le cas du TAF depuis l’abrogation de l’art. 106 al. 1 let. c LAsi ; depuis la date à laquelle le SEM a rendu la décision attaquée, la recourante a donné naissance à un deuxième enfant, ce qui pourrait l’amener à faire usage de cette possibilité.

ATF 147 I 89 (f)

2020-2021

Un ressortissant togolais, titulaire d’un Bachelor en théologie obtenu dans son pays d’origine est admis à l’université de Fribourg afin de pouvoir y suivre un Master dans ce même domaine. A cet effet, il se voit également octroyer une bourse. Le Service de la population et des migrants de l’Etat de Fribourg refuse toutefois de délivrer l’autorisation d’entrée et de séjour pour études (art. 27 LEI) demandée par l’intéressé en se basant sur la pratique constante de refuser toute autorisation de séjour pour études aux étrangers de plus de 30 ans. Cette décision est confirmée par le tribunal cantonal. Le TF se doit de déterminer si ladite pratique, se basant de manière prépondérante sur l’âge des personnes concernées, est contraire à l’art. 8 al. 2 Cst., interdisant, entre autres, la discrimination en raison de l’âge. Dans son arrêt, le tribunal cantonal relève deux justifications à l’utilisation d’un tel critère : appliquer une politique restrictive en matière de migration en assurant un départ de Suisse des étudiants étrangers après la fin de leur formation, d’un côté et la priorisation de la présence de jeunes personnes dans les hautes écoles suisses, de l’autre. Concernant le premier intérêt, la Haute Cour relève que le postulat selon lequel le départ d’un étudiant étranger de moins de 30 ans serait généralement mieux assuré que celui d’une personne plus âgée n’est rien d’autre qu’une supposition. Cette éventuelle justification de la pratique litigieuse se doit donc d’être écartée. Concernant le deuxième intérêt, les juges de Mon-Repos commencent par souligner qu’il est vrai que les différences de traitement en raison de l’âge sont monnaie courante dans le domaine de la formation est que le tribunal de céans a déjà jugé que l’utilisation de ce critère n’est pas forcément discriminatoire (cf. TF 2C_139/2012 du 30 mai 2012, consid. 2.3.) Dans le cas d’espèce toutefois, il sied de tenir compte du fait que l’octroi d’une autorisation de séjour pour études n’est soumis à aucun contingentement et que l’Université de Fribourg n’a mis en place aucun numerus clausus relatif à la formation en théologie. Ainsi, on ne saurait affirmer que la délivrance d’un permis au recourant empêcherait un étudiant plus jeune de suivre des études en Suisse. Le refus d’octroyer une autorisation de séjour pour études au recourant viole donc l’interdiction de la discrimination ancrée à l’art. 8 al. 2 Cst.

ATF 147 IV 2 (i)

2020-2021

Les autorités migratoires cantonales compétentes pour la poursuite des contraventions à la législation sur les étrangers (art. 17 al. 1 CPP) n’ont pas qualité pour interjeter un recours en matière pénale auprès du TF.

Cet arrêt concerne un ressortissant érythréen dont l’admission provisoire est levée par le SEM, au motif que les conditions prévues à l’art. 83 al. 1 LEI ne sont plus remplies (art. 84 al. 2 LEI) et qu’une telle décision respecte le principe de proportionnalité au sens de l’art. 96 LEI. Saisi d’un recours, le TAF retient, à l’instar du SEM, que l’exécution du renvoi de l’intéressé est effectivement devenue licite, possible et raisonnablement exigible. Se pose dès lors la question de savoir si le principe de proportionnalité au sens de l’art. 96 LEI trouve à s’appliquer en de telles circonstances et, dans l’affirmative, s’il fait obstacle, dans le cas d’espèce, à la levée de l’admission provisoire du recourant. A cet égard, le TAF constate que sa jurisprudence présente certaines incohérences, que la doctrine n’a que peu abordé cette question et que les directives du SEM n’y apportent pas de réponse claire. Les Juges administratifs fédéraux constatent en revanche que le Conseil fédéral, interpellé à ce propos, a clairement affirmé que le principe de proportionnalité garanti à l’art. 96 LEI doit être respecté dans tous les cas de levée de l’admission provisoire. Le TAF se livre tout d’abord à une interprétation littérale de l’art. 84 al. 2 LEI. Observant que cette disposition ne fait nullement référence à l’art. 96 LEI, il retient que son libellé « ne peut donc être considéré par le tribunal comme assez précis pour qu’il puisse suffire à lui-même et restituer le sens véritable de la norme, dès lors que l’application du principe de proportionnalité (garanti de manière générale à l’art. 96 LEI) n’est pas formellement exclue ». Les Juges administratifs fédéraux constatent par ailleurs qu’une interprétation historique ou téléologique de l’art. 84 al. 2 LEI ne permet pas non plus de déterminer s’il y a lieu ou non de procéder à l’examen de la proportionnalité lors de la levée de l’admission provisoire. C’est donc au moyen d’une interprétation systématique de cette disposition que le TAF répond à cette question. A cet égard, il relève que l’art. 84 al. 3 LEI, qui permet au SEM de lever l’admission provisoire prononcée en vertu de l’art. 83 al. 2 et 4 LEI lorsque les motifs visés à l’art. 83 al. 7 LEI (commission d’infractions pénales ou menace à l’ordre public) sont réunis, ne peut être appliqué, de jurisprudence constante, que si le principe de proportionnalité est respecté. Ainsi, « la pesée des intérêts en présence peut, selon le cas d’espèce, conduire au maintien de l’admission provisoire d’une personne ayant commis des infractions pénales ». Or, retenir une autre solution lorsqu’il s’agit d’appliquer l’art. 84 al. 2 LEI reviendrait à privilégier les personnes admises à titre provisoire qui ont commis des infractions pénales par rapport à celles qui n’auraient commis aucun délit en Suisse. Un tel résultat ne correspond à l’évidence pas à la volonté du législateur. Rappelant encore que le principe de proportionnalité est un principe général de droit constitutionnel consacré par l’art. 5 al. 2 Cst. féd. et régissant toute activité administrative, le TAF retient « que, si les conditions d’octroi de l’admission provisoire prévues à l’art. 83 al. 2 à 4 LEI ne sont plus remplies, l’autorité appelée à statuer doit procéder à une pesée des intérêts en présence entre, d’une part, l’intérêt public à l’exécution du renvoi de la personne étrangère et, d’autre part, l’intérêt de la poursuite du séjour de celle-ci en Suisse, en fonction du comportement de l’étranger, de la durée de son séjour en Suisse, de son degré d’intégration, de sa situation familiale, des liens conservés avec l’Etat d’origine et des difficultés de réinstallation dans cet Etat ». Dans le cas d’espèce, l’intérêt privé du recourant, qui est arrivé en Suisse juste après sa majorité et qui y a notamment suivi des cours intensifs de français et effectué des stages professionnels, avant d’y réaliser un apprentissage, prime l’intérêt public à l’exécution de son renvoi. La décision attaquée est par conséquent annulée.

Cette affaire concerne une demande d’octroi d’une autorisation de séjour fondée sur l’art. 84 al. 5 LEI déposée par une ressortissante turque au bénéfice d’une admission provisoire depuis de nombreuses années. Le TF examine si l’intéressée peut se prévaloir d’un droit à la transformation de son permis F en permis B en application de l’art. 8 CEDH compte tenu de l’incidence de la précarité de son statut sur sa vie privée. La Haute Cour considère que les circonstances du cas d’espèce justifient une entrée en matière sur le recours, dès lors que l’intéressée peut potentiellement se prévaloir d’un droit à l’octroi d’une autorisation de séjour en application de l’art. 8 CEDH, compte tenu de la durée de son séjour en Suisse et du fait que son admission provisoire sera vraisemblablement prolongée à long terme. Dans l’examen au fond, les Juges fédéraux retiennent cependant qu’une éventuelle violation du droit à la protection de la vie privée consacré à l’art. 8 CEDH résultant du maintien du statut précaire de l’admission provisoire ne saurait en principe être qualifiée de grave. Les Juges décident toutefois de ne pas trancher de manière définitive la question de savoir si le droit à la protection de la vie privée est susceptible, à certaines conditions, de conférer un droit à la transformation d’un permis F en permis B. Dans le cas d’espèce, le recours doit en effet être rejeté pour d’autres motifs, puisque dans le cadre de l’examen de la proportionnalité de la mesure, il y a lieu de tenir compte de l’absence d’intégration réussie, de sorte que la recourante ne pourrait de toute façon pas se prévaloir de l’art. 8 CEDH pour prétendre à l’octroi d’une autorisation de séjour en sa faveur.