Droit pénal spécial

Art. 8 et 245 CP.

Il convient de relativiser la portée de la classification typologique des infractions et d’admettre un rattachement territorial fondé sur le lieu de survenance du résultat également en matière de délits formels et de délits de mise en danger abstraite. Par analogie avec l’art. 8 al. 2 CP en cas de tentative, il suffit que, selon l’idée de l’auteur, le résultat dût se réaliser en Suisse. La compétence des autorités suisses est donnée s’agissant de celui qui falsifie une vignette autoroutière à l’étranger avec l’intention de l’utiliser sur une autoroute suisse, même s’il n’a pas encore circulé sur une route soumise à la redevance au moment de son interpellation au passage du poste-frontière. La vignette autoroutière est un timbre officiel de valeur au sens de l’art. 245 CP. La falsification d’un timbre peut aussi porter sur l’oblitération, soit la marque destinée à le rendre impropre à un second usage. A teneur de l’art. 7 al. 4 de la Loi fédérale sur la vignette autoroutière (LVA, RS 741.71), cette dernière perd sa valeur si elle est détachée de son support sans être directement collée sur le véhicule. Celui qui colle la vignette sur un film transparent puis découpe les bords du film avant de coller la vignette ainsi modifiée sur son pare-brise donne à celle-ci l’apparence d’une vignette valable alors qu’elle ne l’est pas, faute d’avoir été collée directement sur le véhicule. Son comportement est donc typique d’une falsification des timbres officiels de valeur. Sur le plan subjectif, l’infraction est intentionnelle, le dol éventuel étant suffisant. Cependant, les raisons pour lesquelles l’auteur a agi de la sorte ne jouent aucun rôle, sinon au stade de la fixation de la peine. Ainsi, il n’est pas requis qu’il ait eu l’intention de détacher ultérieurement la vignette modifiée pour l’apposer sur un autre véhicule et le fait qu’il ait éventuellement voulu par là uniquement préserver son pare-brise est sans pertinence. Dès lors qu’il savait qu’il encourrait à tout le moins une amende pour son comportement (selon les faits qui lient le Tribunal fédéral dans le cas d’espèce), l’auteur ne peut se prévaloir d’une erreur sur l’illicéité sur le fait qu’il commettait un délit et non une contravention ou sur la sanction à laquelle il s’exposait.

ATF 141 IV 10

2014-2015

Art. 183 CP.

L’infraction de séquestration au sens de l’art. 183 ch. 1 al. 1 CP doit être interprétée de manière restrictive et ne vise ainsi que les situations dans lesquelles des personnes sont totalement entravées dans l’exercice de leur liberté de mouvement. Cette condition n’est pas réalisée dans le cas d’enfants qui se voient interdire l’accès au domicile de leur mère, mais qui peuvent cependant se déplacer librement. Par ailleurs, chaque parent qui a le droit de décider du lieu de résidence de l’enfant est en principe légitimé à modifier celui-là sans se rendre coupable d’enlèvement au sens de l’art. 183 ch. 2 CP. Lorsque le déplacement d’un enfant à un autre endroit va clairement à l’encontre de son intérêt et de son bien-être, ce transfert ne peut plus être justifié par le droit de déterminer le lieu de résidence.

Art. 258 CP.

Un cercle de personnes avec lequel l’auteur de propos est lié par l’amitié ou la connaissance dans les vies réelle ou virtuelle n’entre pas dans la notion de population au sens de l’art. 258 CP. Celui qui publie sur Facebook des propos alarmants visibles uniquement par ses amis Facebook ne commet ainsi pas l’infraction.

ATF 141 IV 61

2014-2015

Art. 112 CP.

Pour apprécier si l’auteur a agi avec une absence particulière de scrupules, il faut apprécier si la faute particulièrement lourde qui lui est prêtée peut être déduite exclusivement de la commission de l’acte. Les antécédents et le comportement que l’auteur adopte immédiatement après les faits n’entrent en ligne de compte que dans la mesure où ils y sont étroitement liés, et permettent de caractériser la personnalité de l’auteur. Le mobile est particulièrement odieux si l’auteur tue pour obtenir une rémunération, pour voler, pour se venger ou pour une broutille. Le but, qui se recoupe en grande partie avec le mobile, est particulièrement odieux lorsque l’auteur élimine un témoin gênant ou une personne qui entrave la commission d’une infraction. La façon d’agir est, elle, particulièrement odieuse lorsqu’elle est barbare ou atroce, ou encore lorsque l’auteur a exploité avec perfidie la confiance de la victime. Il ne s’agit là que d’exemples, l’énumération légale n’étant pas exhaustive. La réflexion et la planification de l’acte peuvent ainsi constituer des éléments susceptibles de conduire à retenir une absence particulière de scrupules ; de même qu’une froideur et une maîtrise de soi dans l’exécution de l’acte. C’est une appréciation d’ensemble des circonstances externes (comportement, manière d’agir, etc.) et internes (but, mobile, etc.) qui détermine si l’on est en présence d’un assassinat ou non. Chez l’assassin, l’égoïsme l’emporte en général sur toute autre considération, tandis que le meurtrier agit généralement pour des motifs plus ou moins compréhensibles. Pour retenir la qualification d’assassinat, il faut cependant que le caractère odieux et la faute de l’auteur se distinguent nettement de ceux d’un meurtrier. Celui qui tue en assénant 47 coups de couteau et en égorgeant un homme sans défense, agissant sans motif ou pour un motif futile, puis qui dissimule soigneusement son méfait, commet un assassinat.

ATF 141 IV 97

2014-2015

Art. 122 CP.

Malgré la jurisprudence de l’ATF 139 IV 214, selon laquelle la transmission du VIH ne met plus en elle-même la vie en danger au sens de l’art. 122 al. 1 CP, il n’en demeure pas moins qu’elle constitue une lésion corporelle grave sur la base de la clause générale de l’art. 122 al. 3 CP compte tenu de la grave altération de la santé physique et psychique que la transmission du virus entraîne à vie. Les deux jurisprudences ne sont pas incompatibles.

Art. 179bis et 179ter CP ; 10 CEDH.

Condamnation à des peines pécuniaires de quatre journalistes ayant enregistré à son insu un courtier en assurances donnant une prétendue consultation et ayant diffusé les images contre son gré, en ayant pris soin de le rendre non reconnaissable, ceci dans l’intérêt d’informer le public sur la médiocrité des services de courtage en assurances. Il est incontestable que la condamnation des journalistes constitue dans le cas d’espèce une ingérence des autorités publiques dans le droit à la liberté d’expression. La Cour admet que les art. 179bis et 179ter CP constituent des bases légales suffisantes, en dépit de ce que l’usage d’une caméra cachée n’y est pas expressément mentionné. Elle admet également que ces dispositions pénales poursuivent un but légitime, soit la protection des droits et de la réputation d’autrui, en l’occurrence le courtier. En revanche, la Cour nie que l’ingérence à la liberté d’expression était, dans le cas d’espèce, nécessaire dans une société démocratique au sens du paragraphe 2 de l’art. 10 CEDH. Les journalistes ont en effet abordé un thème d’intérêt général, même si un entretien avec un seul courtier ne permettait pas de démontrer au public la médiocrité des services de courtage en général. La question d’intérêt général étant admise, la Convention ne laisse que peu de place aux restrictions à la liberté d’expression. L’atteinte à la vie privée du courtier est moindre que s’il avait été visé en personne et exclusivement. Malgré l’impact puissant des médias audiovisuels, l’intérêt privé du courtier ne saurait occulter l’intérêt public à l’information. Partant, la condamnation des journalistes viole l’art. 10 CEDH. L’arrêt est définitif.

ATF 141 IV 104

2014-2015

Forum poenale 4/2015, 194 (avec un commentaire critique)

Art. 158 CP.

Une société anonyme, même unipersonnelle, jouit de la protection pénale de son capital découlant notamment de l’art. 158 CP. A l’égard de l’actionnaire unique, la SA unipersonnelle est un tiers et son patrimoine social lui est propre tant vis-à-vis de l’extérieur que vis-à-vis de ses organes. Il en découle qu’un acte de disposition qui entame la fortune sociale nette et qui constitue une distribution cachée de dividende est illicite et contrevient à l’art. 158 CP. Il est susceptible d’en aller de même d’une dépense incompatible avec le devoir de fidélité et de diligence de l’organe dirigeant, même faite avec le consentement de l’actionnaire unique, le capital social visant également la protection des tiers avec laquelle la SA interagit. La jurisprudence de l’ATF 117 IV 259 est confirmée.

ATF 141 IV 71

2014-2015

Art. 141bis CP.

Comme l’a confirmé la jurisprudence jusqu’ici, les valeurs patrimoniales sont « utilisées » au sens de l’art. 141bis CP dès que le détenteur accomplit un acte dénotant sa volonté d’entraver leur récupération par l’ayant-droit, par exemple en l’affectant à ses besoins personnels au-delà de ses ressources régulières. Le principe de subsidiarité du droit pénal par rapport au droit civil mis en évidence dans la jurisprudence relative à l’ancien art. 143 CP s’applique à l’art. 141bis La protection des intérêts de l’ayant droit est suffisamment garantie par l’action civile en répétition de l’indu de sorte que le refus de restituer des valeurs n’est pas une « utilisation » au sens de l’art. 141bis CP. Le refus obstiné de restituer des valeurs, sans autres actes d’obstruction ou de dissimulation, n’est pas constitutif d’une utilisation sans droit de valeurs patrimoniales au sens de l’art. 141bis CP.

Art. 19 LStup et OTStup-DFI.

Sous le droit en vigueur jusqu’au 30 juin 2011, toute détention ou vente de chanvre n’était pas punissable, la jurisprudence retenant alors que les différentes formes commerciales du chanvre n’étaient considérées comme stupéfiants que si la teneur en THC excédait la limite légale de 0.3%. En outre, pour que la culture et la vente de chanvre soient punissables, il fallait que le but visé soit effectivement l’extraction de stupéfiants. Depuis le 1er juillet 2011, il n’est plus nécessaire de démontrer qu’une culture est destinée à l’extraction de stupéfiants. Tombe sous le coup de l’art. 19 LStup, les stupéfiants définis à l’art. 2. Il appartient au Département fédéral de l’intérieur d’établir la liste des stupéfiants, ce qu’il a fait en adoptant, le 30 mai 2011, l’OTStup-DFI (RS 812.121.11). Entrée en vigueur le 1er juillet 2011, elle qualifie de stupéfiants le cannabis, soit la plante de chanvre ou parties de plante de chanvre présentant une teneur totale moyenne en THC de 1,0 % au moins et tous les objets et préparations présentant une teneur totale en THC de 1,0 % au moins ou fabriqués à partir de chanvre présentant une teneur totale en THC de 1,0 % au moins. Ni la loi ni l’ordonnance précitée n’imposent de méthode pour déterminer si le THC atteint une teneur de 1%. Un ensemble d’éléments ou un faisceau d’indices convergents suffit à déterminer que ce taux plancher est atteint, sans qu’une analyse technique ne soit indispensable. En retenant que le taux plancher était manifestement atteint compte tenu du fait que le cannabis était en l’espèce produit, consommé et vendu comme stupéfiants, la Cour cantonale a procédé sans arbitraire, même si l’on admettait contre les faits qui lient le Tribunal fédéral que le prix de la marchandise vendue était particulièrement bas et qu’elle peinait à trouver preneur.