Droit pénal spécial

Art. 90 al. 3 LCR

Délit de chauffard. La première condition de l’art. 90 al. 3 LCR, soit la violation d’une règle fondamentale de la circulation routière, est toujours remplie lorsque l’un des seuils de l’art. 90 al. 4 LCR est atteint. Quant à la seconde condition, à savoir la création d’un grand risque d’accident, l’atteinte de l’un des seuils visés à l’art. 90 al. 4 LCR suffit déjà, en principe, car elle implique généralement l’impossibilité d’éviter un grand risque d’accident en cas d’obstacle ou de perte de maîtrise du véhicule. Il s’agit néanmoins d’une présomption réfragable ; dans des circonstances exceptionnelles, un excès de vitesse qualifié (art. 90 al. 4 LCR) peut ne pas entraîner la création d’un danger abstrait qualifié. C’est le cas lorsque la limitation de la vitesse autorisée n’est pas justifiée par des motifs de sécurité routière mais, par exemple, par des motifs écologiques. Le prévenu n’ayant pas fait état de telles circonstances exceptionnelles, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Art. 261bis CP ; 10 CEDH

Discrimination raciale. Le prévenu a été reconnu coupable de discrimination raciale pour avoir affirmé, lors d’une conférence, que les massacres et déportations d’Arméniens en 1915 n’étaient pas constitutifs d’un génocide et qu’il s’agissait d’un mensonge international et historique. Confirmant sa jurisprudence Perinçek Dogu c. Suisse, la Cour considère que la condamnation pénale du prévenu n’est pas nécessaire à la protection des droits de la communauté arménienne et, partant, qu’il s’agit d’une ingérence injustifiée dans la liberté d’expression du prévenu. La Cour retient une violation de l’art. 10 CEDH.

Art. 305bis CP

Blanchiment d’argent. Le prévenu est condamné pour diverses infractions contre le patrimoine (escroquerie par métier, faux dans les titres, gestion déloyale) et pour blanchiment d’argent pour avoir détourné des fonds confiés par des investisseurs pendant plus de 5 ans et en avoir transféré une partie à l’étranger. Le Tribunal fédéral considère que la décision attaquée doit être renvoyée à l’instance précédente car elle ne contient pas les motifs déterminant de fait et de droit, ce qui contrevient aux exigences de l’art. 112 al. 1 let. b LTF. En effet, la décision litigieuse qualifie d’emblée tous les transferts de fonds de blanchiment d’argent sans exposer en quoi ces transferts visaient à empêcher la confiscation des valeurs patrimoniales. Il ne suffit pas que les valeurs patrimoniales soient transférées à l’étranger pour que l’infraction de blanchiment d’argent soit réalisée ; il faut que l’objectif poursuivi soit d’empêcher la confiscation des fonds. Il n’y a pas de blanchiment d’argent tant que les valeurs patrimoniales peuvent être confisquées à l’étranger. La question de savoir si le transfert complique ou non la traçabilité de l’argent en raison d’un paper trail plus long est sans pertinence.

Art. 271 CP

Dans le domaine fiscal, transmission directe au Gouvernement américain d’informations relatives à des clients. Une société de gestion mandate une étude d’avocat pour répertorier ses clients qui n’ont pas respecté leur obligation de déclarer leurs revenus au fisc américain. L’étude d’avocat avait, au préalable, confirmé à la société de gestion que le fait de dévoiler les noms des clients ne contrevenait pas à l’art. 271 CP. Un second avis de droit émanant d’un professeur confirmait que la transmission des informations au Gouvernement américain pouvait être justifiée en raison d’un état de nécessité licite (art. 17 CP) ou d’un état de nécessité excusable (art. 18 al. 2 CP). La société de gestion a alors transmis la liste des clients au fisc américain. S’en est suivi l’ouverture d’une procédure pour violation de l’art. 271 CP à l’encontre de la société de gestion. Les données permettant l’identification des clients d’une banque suisse bénéficient de la protection de l’ordre public suisse. La société étant soumise au secret bancaire, elle n’était donc pas autorisée à dénoncer des clients à l’étranger. Toutefois, compte tenu des avis de droit sur lesquels la société de gestion s’est fondée et de la complexité de la question juridique, le TF conclut que la société se trouvait dans un cas d’erreur sur l’illicéité et que, dès lors, l’intention fait défaut, ce qui conduit à l’acquittement de la société.

Art. 155 ch. 1, ch. 2 CP

Celui qui en vue de tromper autrui dans les relations d’affaires, aura fabriqué des marchandises dont la valeur vénale réelle est moindre que ne le font croire les apparences, notamment en contrefaisant ou en falsifiant ces marchandises, aura importé, pris en dépôt, ou mis en circulation de telles marchandises, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire, pour autant que l’infraction ne tombe pas sous le coup d’une disposition prévoyant une peine plus sévère (art. 155 ch. 1 CP). En vertu de l’art. 155 ch. 2 CP, si l’auteur fait métier de tels actes, la peine est une peine privative de liberté de 5 ans au plus, ou une peine pécuniaire, pour autant que l’infraction ne tombe pas sous le coup d’une disposition prévoyant une peine plus sévère (consid. 2.1). L’art. 155 CP réunit en une seule disposition les éléments constitutifs de la falsification de marchandises (art. 153 aCP), de la mise en circulation de marchandises falsifiées (art. 154 aCP) et de l’importation et de la prise en dépôt de marchandises falsifiées (art. 155 aCP). Le terme « fabriquer » (herstellen) remplace les verbes « contrefaire » (nachmachen) et « falsifier » (verfälschen). En ce qui concerne la punissabilité, peu importe donc que l’auteur falsifie une marchandise en modifiant l’original (falsification au sens étroit) ou en fabriquant une copie de toutes pièces à partir de matières premières sans origine particulière (contrefaçon). La nouvelle formulation met l’accent sur les apparences de la marchandise falsifiée qui laissent croire que sa valeur courante est supérieure à celle qu’elle a en réalité, et créent ainsi un risque de confusion sur le marché. A cet égard, la manière dont l’auteur parvient à simuler ces apparences trompeuses est sans importance. Il peut s’agir d’une modification de la substance, comme le fait d’ajouter de l’eau au lait ou de couper du vin. La tromperie peut aussi résider dans une modification de la présentation du produit, au moyen par exemple d’un emballage qui suggère une contenance beaucoup plus importante qu’elle ne l’est en réalité. En résumé, la notion de falsification s’apprécie non plus en fonction de la modification, mais bien de la différence entre la valeur réelle et la valeur simulée d’une marchandise. L’art. 155 CP entend garantir que l’acquéreur ne reçoive pas une marchandise qu’il n’aurait achetée qu’à un prix inférieur ou qu’il n’aurait pas achetée du tout si elle ne lui avait pas été présentée sous une apparence, une désignation ou un emballage trompeur. Il est dès lors capital de savoir si la valeur vénale réelle de la marchandise correspond à sa valeur vénale apparente. Il faut partir du principe que l’imitation, même la plus fidèle, d’un article de marque a une valeur inférieure à celle de l’original, dans la mesure où la copie est privée d’une caractéristique essentielle : celle, précisément, d’être un article de marque, bénéficiant le plus souvent d’avantages non négligeables tels que service après-vente, garantie ou vaste réseau de concessionnaires par exemple (consid. 2.1). La jurisprudence admet dans de nombreuses infractions impliquant un dessein spécial que celui-ci peut être réalisé par dol éventuel (voir références citées). Il n’y a pas lieu de s’écarter de cette jurisprudence s’agissant de l’art. 155 CP. Le dessein de tromper autrui prévu par cette disposition peut être réalisé par dol éventuel (consid. 2.5.1). L’auteur agit par métier lorsqu’il résulte du temps et des moyens qu’il consacre à ses agissements délictueux, de la fréquence des actes pendant une période déterminée, ainsi que des revenus envisagés ou obtenus qu’il exerce son activité coupable à la manière d’une profession, même accessoire. Il faut que l’auteur aspire à obtenir des revenus relativement réguliers représentant un apport notable au financement de son genre de vie et qu’il se soit ainsi, d’une certaine façon, installé dans la délinquance (voir références citées, consid. 2.6.1). Au vu des produits en cause [produits de luxe], de leur nombre important, des faibles revenus du recourant, le revenu réalisé, respectivement escompté de la vente des contrefaçons litigieuses, permet de retenir la circonstance du métier (consid. 2.6.3).

ATF 144 IV 13 (d)

2017-2018

Art. 251 ch. 1 et art. 253 CP

Faux intellectuel dans les titres, obtention d’un faux intellectuel dans les titres. Un notaire est accusé d’avoir authentifié des faits faux dans un affidavit (déclaration sur l’honneur) qui a ensuite été utilisé dans le cadre d’une action civile aux Etats-Unis. Un faux intellectuel dans les titres au sens de l’art. 251 ch. 1 CP requiert un mensonge écrit qualifié. Cela implique que le titre en question revête une crédibilité accrue au sens de l’art. 9 al. 1 CC. Des déclarations unilatérales, faites dans le propre intérêt de celui qui les émet, ne remplissent en règle générale pas cette condition. L’art. 253 CP vise un cas particulier de faux intellectuel dans les titres commis en qualité d’auteur médiat. Une crédibilité accrue ne saurait être reconnue à des déclarations sur l’honneur (affidavit), dont le contenu n’a pas été vérifié par l’officier public. L’apostille sur un acte authentique ne fait que confirmer l’authenticité de la signature, la qualité en laquelle le signataire a agi et, le cas échéant, l’authenticité du sceau ou timbre apposé sur l’acte mais elle n’a aucune portée en ce qui concerne le contenu du document et sa valeur probante.

ATF 143 IV 500 (f)

2017-2018

Art. 36 al. 2 et 27 al. 1 LCR ; 36 al. 2 OSR

Devoir de priorité à une intersection munie d’un signal « Cédez le passage » ; miroir routier. Lorsqu’à un « Cédez le passage » précédant une intersection, la visibilité directe est nulle et qu’un véhicule apparaît dans le miroir routier sur une route principale, le débiteur de la priorité ne peut se prévaloir d’une situation claire. Un miroir destiné à remédier à une mauvaise visibilité à une intersection rend largement hasardeuse toute appréciation réaliste des distances et des vitesses des véhicules qui y apparaissent si bien qu’il ne permet pas de pallier à une absence de visibilité. Afin de respecter ses obligations, il doit en principe s’arrêter et céder le passage au prioritaire conformément au signal. Le débiteur de la priorité peut également respecter ses obligations s’il s’avance quelque peu, « à tâtons », afin d’avoir une vue dégagée sur la route principale, d’apprécier directement la vitesse et la distance du véhicule prioritaire et de permettre à ce dernier de l’apercevoir. Le débiteur de la priorité ne peut se prévaloir du principe de la confiance parce qu’il ne se comporte pas réglementairement, qu’il crée une situation confuse en s’engageant sans visualisation directe ni précaution sur la route prioritaire et que le comportement du bénéficiaire de la priorité n’est pas imprévisible au point de considérer que le débiteur de la priorité n’aurait pas enfreint son devoir de priorité.

Art. 10 al. 1, 96 al. 1 let. a et 97 al. 1 let. e et f LCR

Usage abusif des plaques de contrôle. Le prévenu est condamné pour avoir circulé avec des copies de plaques fabriquées en papier. Le fait qu’une plaque ait l’air authentique ou que la contrefaçon soit facilement détectable est sans pertinence pour la réalisation de l’infraction. Il suffit qu’il s’agisse de la réplique d’une plaque authentique et qu’elle ait été utilisée dans la circulation publique, autrement dit que les plaques aient été apposées sur un véhicule qui a été engagé sur la voie publique, même à l’arrêt. Il est sans influence que le véhicule en question soit conduit par le faussaire ou par un tiers.

Art. 31 LCR ; 125 CP

Perte de maîtrise du véhicule, lésions corporelles par négligence. Le prévenu s’est rendu coupable de lésions corporelles par négligence en entrant en collision avec un véhicule qui circulait en sens inverse alors qu’il tentait d’éviter un autre véhicule qui sortait d’un parking. La perte de maîtrise du véhicule n’est punissable que si elle due à une erreur de conduite ou à une réaction incorrecte du conducteur. Une réaction correcte et adaptée est toujours exigée du conducteur mais il faut garder à l’esprit que ce dernier peut avoir à faire face à une situation critique inopinée. Dans ce contexte, il est possible et compréhensible que de mauvaises décisions soient prises. La survenance de dangers inattendus impose des capacités de réaction élevées, c’est pourquoi on ne peut reprocher au conducteur, en procédant à une réflexion et une pesée des options dans le calme, et éventuellement après avoir procédé à une expertise technique, que sa réaction n’a pas été la meilleure de toutes les options possibles.

Art. 9 et 37 LBA

Prescription de l’obligation de communiquer. Une procédure pénale administrative ouverte le 14 juin 2010 contre une banque pour violation de l’obligation de communiquer (art. 9 cum 37 LBA) est classée par le TPF en raison de la prescription de l’action pénale. Le DFF recourt par-devant le TF. Le défaut de communication sanctionné par l’art. 37 LBA est un délit continu ; il perdure aussi longtemps que les valeurs patrimoniales peuvent être découvertes et confisquées. A la question de savoir si l’obligation de communiquer perdure au-delà de l’ouverture d’une procédure pénale, le TF répond par l’affirmative dans la mesure où, suite au dépôt de la plainte pénale le 4 juin 2010, les valeurs patrimoniales n’avaient pas été séquestrées durant l’enquête. Ainsi, la possibilité de découvrir et séquestrer les valeurs litigieuses n’avait pas disparu si bien que l’obligation de communiquer de la banque subsistait tant que les autorités pénales n’avaient pas connaissance du sort des valeurs pouvant être liées au blanchiment d’argent, soit tant que celles-ci pouvaient encore leur échapper. Le délai de prescription de sept ans ne commençant dès lors pas à courir dès le dépôt de la plainte pénale, l’action pénale n’était pas prescrite, ce qui conduit le TF à admettre le recours et renvoyer la cause à l’instance précédente.