Droit pénal spécial

ATF 140 IV 67 (d)

2013-2014

Art. 261bis CP

Discrimination raciale. L’art. 261bis al. 4 1ère partie CP réprime le fait d’abaisser ou de discriminer d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion. En revanche, les statuts d’étranger ou de requérant d’asile ne sont pas en tant que tels protégés par la norme. Les expressions « cochon d’étranger » (Sauausländer) et « requérant d’asile de merde » (Dreckasylant) ne rabaissent pas le destinataire en raison de sa race, de son appartenance ethnique ou de sa religion. En effet, la notion d’ « étranger » englobe en définitive toutes les races, ethnies ou religions ; même si « requérant d’asile » désigne un nombre plus restreint de races, d’ethnies ou de religions, différents groupes non différenciés sont englobés. Ainsi, celui qui rabaisse une personne en raison du fait qu’elle est étrangère ou requérante d’asile ne la rabaisse pas en raison de son appartenance à une race, à une ethnie ou à une religion et ne contrevient pas à l’art. 261bis al. 4 CP. En l’espèce, l’utilisation de ces expressions par un policier lors d’une intervention est néanmoins déplacée et inacceptable, ce dont il doit être tenu compte dans l’appréciation de la faute en lien avec l’infraction d’injure.

Art. 261bis al. 4 CP

Discrimation raciale. La Suisse a violé l’art. 10 CEDH garantissant la liberté d’expression en condamnant, pour discrimination raciale, Doğu Perinçek pour avoir qualifié publiquement et à trois reprises de « mensonge international » le génocide arménien par l’Empire ottoman. La Cour a en particulier retenu qu’il n’y avait aucun consensus général sur la reconnaissance du génocide arménien, relevant que seule une vingtaine de pays sur 190 l’avait reconnu et qu’en Suisse même, seule la chambre basse du Parlement l’avait reconnu, tandis que le Conseil fédéral avait plusieurs fois refusé de le faire. L’affaire est renvoyée devant la Grande Chambre à la demande de la Suisse.

Art. 261bis al. 1, 2 et 3 CP

Discrimination raciale. L’infraction de l’art. 261bis al. 2 CP n’est pas commise par le fait de se revendiquer publiquement d’une idéologie de discrimination raciale. L’infraction est conditionnée à ce que l’auteur fasse la propagande de l’idéologie en question. Les al. 1 et 3 de l’art. 261bisCP comprennent la propagande d’idéologie discriminante, soit que d’autres personnes doivent être attirées par les idées exprimées ou renforcées dans leur conviction et encouragées. Objectivement, il faut que la propogande soit perceptible par d’autres personnes ; subjectivement, la propagande suppose la conscience qu’un acte particulier est perçu par d’autres mais aussi l’intention d’en faire la publicité, soit d’influencer d’autres personnes pour les rallier ou renforcer leur conviction à l’idéologie discriminante. Il faut déterminer au gré des circonstances du cas d’espèce si l’utilisation publique du salut hitlérien apparaît comme la simple revendication de l’appartenance de l’auteur à l’idéologie nazie ou s’il s’agit d’une propagande tombant dans le champ pénal. En l’espèce, l’intéressé a fait le salut hitlérien pendant 20 secondes sur la plaine du Grütli lors d’une réunion d’un parti d’extrême-droite et son geste a été perçu par des promeneurs. L’auteur de ce geste n’avait pas, par ce dernier, l’intention de propager l’idéologie nazie et son comportement ne tombe pas dans le champ de l’art. 261bis CP.

Art. 251 CP

Faux dans les titres. Si une œuvre d’art, notamment un tableau, n’est pas un titre au sens de l’art. 251 CP, la signature apposée sur un tableau revêt cette qualité dans la mesure où il s’agit d’un signe destiné et apte à prouver un fait ayant une portée juridique dès lors que sa présence sur un objet d’art tend à prouver la paternité de l’auteur. Ainsi, le fait d’apposer une fausse signature sur un tableau entre dans le champ de l’art. 251 CP.

Art. 173 CP

Diffamation. Dans le contexte politique, l’atteinte à l’honneur ne doit être admise qu’avec retenue et, en cas de doute, niée. Ne saurait être réprimé le fait d’abaisser une personne dans les qualités politiques qu’elle croit avoir ou dans la seule valeur de son action. Ces considérations peuvent s’appliquer à l’égard d’une personne qui, sans être visée en tant que politicien, se livre régulièrement et publiquement à des critiques acerbes dans les médias, soit en l’espèce un avocat genevois réputé polémiste, personnalité connue pour son humour caustique et défenseur convaincu de la liberté d’expression. En qualifiant ce dernier, ayant représenté Hannibal Kadhafi et l’Etat libyen contre la Suisse, de « traître », le Conseiller d’Etat genevois dénoncé a simplement voulu exprimer le sentiment selon lequel l’attitude de l’avocat, et ses prises de positions publiques, auraient pu nuire aux négociations délicates entre la Suisse et la Lybie. L’accusation de traître ne devait ainsi pas être prise au pied de la lettre mais comme l’expression d’un jugement de valeur, qui n’est pas considérée comme une diffamation.

Art. 177 CP

Injure. Le fait de trouver une personne ridicule et de de le lui faire savoir n’est pas en soi attentatoire à l’honneur. Dans le langage familier, l’apostrophe « bouffon » désigne une personne ridicule par le comportement qu’elle adopte. Elle peut revêtir une connotation injurieuse, soit le sens de nul, idiot, minable, mais ce sens est circonscrit dans le contexte propre au langage de certains jeunes et n’est pas répandu dans l’ensemble de la population. L’emploi du mot « bouffon » dans le sens de ridicule a certes une portée dépréciative, mais il ne peut pour autant être qualifié d’injure dans la mesure où il n’est ni grossier ou vulgaire, ni outrageant avec une intensité suffisante pour entrer dans le champ pénal. Dans les circonstances du cas d’espèce, l’usage du vocable « bouffon » n’était pas susceptible de mettre en doute l’honnêteté, la loyauté ou la moralité du destinataire, ni d’être perçu comme une grave atteinte à sa dignité ; partant, il sort du champ pénal.

Art. 173 CP

Diffamation. Le fait pour un journaliste de qualifier une personne d’ « imposteur » est attentatoire à l’honneur dans la mesure où la personne visée n’est pas seulement rabaissée dans sa considération professionnelle, mais également dans sa considération d’être humain honorable. Lorsqu’une expression est susceptible de recevoir plusieurs interprétations, il convient de déterminer le contexte général et l’impression laissée auprès du lecteur moyen, ce dernier point étant une question de droit. Si l’impression ainsi éveillée est que la personne concernée a menti et trompé – en l’occurrence en se présentant de manière systématique et mensongère comme astrophysicien et futur astronaute – et que la preuve libératoire échoue, alors l’infraction de diffamation est réalisée.

ATF 139 IV 305 (i)

2013-2014

Art. 95 LCR

Conduite sans autorisation. L’art. 95 al. 1 let. b LCR, qui punit la conduite d’un véhicule automobile alors que le permis d’élève conducteur ou le permis de conduire lui a été refusé, retiré ou qu’il lui a été interdit d’en faire usage, s’applique à celui qui conduit un véhicule malgré une interdiction prononcée par le juge pénal en application de l’art. 67b CP, y compris si l’usage du permis étranger n’a pas été expréssement interdit.

Art. 115 al. 1 Letr, art. 252 CP

Entrée illégale en Suisse et faux dans les certificats. L’infraction érigée à l’art. 115 LEtr protège l’intégrité des frontières tandis que l’art. 262 CP protège la confiance dans la vie juridique. Partant, les infractions d’entrée illégale en Suisse et de faux dans les certificats entrent en concours parfait, y compris lorsque l’auteur n’établit ou n’utilise des faux papiers de légitimation que pour des motifs touchant à la police des étrangers. La jurisprudence prévalant sous l’aLSEE n’a plus cours.

Art. 217 CP.

Ne réalise pas l’infraction de violation d’une obligation d’entretien le non-paiement de l’indemnité prévue à l’art. 124 CC, soit l’indemnité équitable en cas d’impossibilité de partager les prestations de sortie de l’avoir de prévoyance.

Art. 186 CP.

La mission diplomatique d’un Etat ne constitue pas un espace public. Le jardin d’une ambassade ceint d’une clôture avec un portail est un espace clos au sens de l’art. 186 CP. Celui qui y pénètre, alors qu’il était fermé, avec une trentaine de personnes, et y reste plusieurs heures pour des protestations politiques, commet une violation de domicile.

Art. 261bis CP.

Pour que le salut hitlérien effectué en public réalise les éléments constitutifs de l’infraction de discrimination raciale, il faut que son auteur ne se limite pas à afficher ses convictions nationales-socialistes personnelles, mais vise au contraire à propager cette idéologie auprès de tiers, condition non remplie en l’espèce.

Art. 285 CP.

La notion de population désigne plusieurs individus, un grand nombre de personnes, respectivement un grand cercle de personnes. Celui qui menace « les collaborateurs de l’aide sociale » menace un grand nombre de personnes, partant, son comportement tombe sous le coup de l’art. 285 CP.

Art. 122 al. 1, 123 ch. 1 CP

Lésions corporelles graves et simples, transmission du virus VIH à la suite de rapports sexuels non protégés. Vu les découvertes scientifiques et les progrès dans les traitements médicaux, on ne peut plus retenir aujourd’hui sans autre analyse que l’infection par le VIH constitue déjà en elle-même une lésion corporelle grave, qui met la vie en danger au sens de l’art. 122 al. 1 CP. Elle représente cependant encore une altération pathologique préjudiciable ayant valeur de maladie et doit être qualifiée, selon les circonstances concrètes, de lésion corporelle simple ou grave.

Art. 122 et 128 ; 49 CP

Concours entre omission de prêter secours et lésions corporelles intentionnelles. Un concours réel entre l’infraction d’omission de prêter secours et celle de lésions corporelles intentionnelles ne se conçoit que lorsque les blessures subies par la victime sont plus importantes que celles envisagées par l’auteur.

Art. 134 CP.

L’infraction d’agression exige qu’une ou plusieurs personnes aient trouvé la mort ou subi une lésion corporelle lors de l’agression. Il s’agit d’une condition objective de punissabilité qui, si elle fait défaut, exclut de retenir l’infraction, y compris sous la forme de la tentative.

Art. 112 CP

Assassinat par dol éventuel. Une tentative d’assassinat peut être commise par dol éventuel. Le fait qu’un père agisse seulement par dol éventuel, en acceptant sans la vouloir la mort de son bébé, n’exclut pas que les mobiles et le but participent d’un mépris extraordinairement grossier pour la vie humaine et s’avèrent particulièrement odieux.

Art. 129 CP

Mise en danger de la vie d’autrui. En cas de strangulation, il y a en principe danger de mort imminent dès l’apparition de pétéchies en forme de pointe dans les conjonctives, même si la victime ne perd pas connaissance. En revanche, subjectivement, le dol direct peut parfois faire défaut lorsque l’auteur, sur la base de différentes formations en sports de combat, peut partir de l’idée qu’aucun résultat ne surviendra.

Art. 179sexies CP.

Est déterminant non l’usage que fera l’acquéreur de l’appareil, mais bien la destination que le fabricant ou le commerçant lui prête. Il ne saurait être exigé que l’appareil serve exclusivement à un but illicite pour tomber dans le champ d’application de l’art. 179sexies CP, il suffit que, selon l’expérience, la fonction principale ou, en tout cas, celle qui vient immédiatement à l’esprit, soit illicite. Un logiciel est un appareil technique au sens de la loi. En l’espèce, la vente d’un logiciel avec pour principale caractéristique d’être indétectable sur l’ordinateur ou le téléphone cible, et qui permet, pour un téléphone, d’écouter directement les conversations téléphoniques ou, pour un ordinateur, de visualiser l’écran surveillé et même d’activer la caméra, ceci à l’insu de l’utilisateur, contrevient à l’art. 179sexies

Art. 146 CP

Escroquerie par omission. Il ne peut y avoir une escroquerie par omission qu’en présence d’une obligation juridique d’agir qualifiée. L’obligation légale (en particulier l’art. 31 al. 1 LPGA) ou contractuelle d’annoncer à l’assureur toute modification importante des circonstances déterminantes pour l’octroi d’une prestation ne crée pas une position de garant. La victime d’un accident de la route bénéficiaire de prestations de l’assurance-accident, de l’assurance-invalidité et de l’assureur responsabilité civile du véhicule responsable qui n’annonce pas aux assureurs une considérable amélioration de son état de santé ne se rend dès lors pas coupable d’escroquerie par omission.

Art. 146 CP ; 31 al. 1 LPGA.

L’escroquerie par omission ne se conçoit qu’en présence d’un devoir juridique d’agir qualifié incombant à l’auteur ou une responsabilité accrue et, simultanément, que la passivité revête la même gravité qu’un comportement actif. Une telle obligation qualifiée d’agir ne ressort pas des devoirs légaux et contractuels du bénéficiaire de prestations d’assurance d’annoncer les modifications de sa situation personnelle susceptibles d’influencer les prestations périodiques. Cette jurisprudence doit être confirmée, malgré les critiques non unanimes qu’elle reçoit en doctrine.

Art. 146 CP.

L’incapacité de travail totale exclut le délit impossible d’escroquerie au détriment des assurances sociales. Tout comportement qui réunit les éléments de la tentative sous la forme du délit impossible, et qui en principe serait punissable en vertu de l’art. 22 al. 1er CP, ne constitue pas forcément pour autant une injustice qui mérite et nécessite une peine. Les délits impossibles ne doivent ainsi être punissables que dans la mesure où ils représentent une mise en danger réelle de l’ordre juridique. Il importe par conséquent qu’outre la volonté de commettre une infraction, il existe une mise en danger objective minimale due au comportement de l’auteur. Il convient ainsi d’appliquer l’art. 22 al. 2 CP par analogie lorsque malgré l’intention de l’auteur, une mise en danger objective minimale fait défaut, même s’il n’agit pas en faisant preuve d’un grave défaut d’intelligence. Celui qui, incapable de travailler, ne renseigne pas suffisamment l’assureur-accident sur une activité bénévole qu’il déploie, ne commet aucune tentative d’escroquerie par délit impossible, même s’il a agi avec le sentiment erroné d’avoir trompé astucieusement l’assureur.

ATF 140 IV 206

2013-2014

Art. 146 CP ; 31 al. 1 LPC ; 31 al. 1 LPGA.

Le fait de ne pas donner suite à une lettre d’information standard rappelant, parmi d’autres renseignements, l’obligation de communiquer tout changement de circonstances pour l’octroi de prestations complémentaires ne saurait être interprété comme une tromperie par commission. Le bénéficiaire d’une telle prestation n’ayant pas de position de garant vis-à-vis de l’assureur, une infraction de commission par omission ne saurait lui être reprochée. En revanche, une infraction à l’art. 31 al. 1 let. d LPC, soit le manquement à l’obligation de communiquer, entre en ligne de compte, même si le changement de situation concernait l’épouse du bénéficiaire, dans la mesure où les revenus déterminants des conjoints s’additionnent.

Art. 139 ch. 2 CP.

Pour lui reprocher l’aggravante du métier, il n’est pas nécessaire que le voleur agisse avec l’intention d’obtenir de l’argent directement ou par la vente des objets volés. Les revenus qu’il en tire peuvent également être en nature, s’ils sont relativement réguliers. Il apparaîtrait en effet inéquitable que celui qui vole de l’argent régulièrement pour s’acheter certains biens soit traité moins bien que celui qui vole directement lesdits biens. Dans le cas d’espèce, l’auteur a volé quasi quotidiennement des articles de lingerie, de maroquinerie, des habits et des appareils ménagers pour un total de CHF 2’100.- sur une période d’environ deux mois, ce qui représente un apport d’un tiers par rapport à son salaire mensuel de CHF 3’000.-. Il s’est rendu coupable de vol par métier même s’il a conservé les objets volés pour lui-même.

Art. 146 CP

Escroquerie. Les victimes d’une escroquerie qui ont une capacité limitée à se méfier des criminels et dont la serviabilité est exploitée ne peuvent se voir imputer leur seule responsabilité ; il en irait une incitation intolérable à exploiter de manière malintentionnée la serviabilité des personnes de bonne volonté.

Art. 144 CP.

Tombe également sous le coup de l’art. 144 CP non seulement l’altération de la substance d’une chose, mais également l’atteinte à sa capacité de fonctionner. Le démontage et le décrochage d’une sirène de la protection civile du toit d’un immeuble sont susceptibles de constituer un dommage à la propriété au sens de l’art. 144 CP, même si la sirène n’est pas endommagée, dans la mesure où, en l’espèce, la sirène ne pouvait pas être remise en fonction facilement.

Art. 192 CP

Actes d’ordre sexuel avec des personnes hospitalisées. La notion de personnes hospitalisées s’entend largement. Elle inclut les pensionnaires d’une maison de retraite. L’auteur doit se trouver dans un lien de dépendance avec la victime et doit avoir une position dominante à son égard. Il peut s’agir de toutes les personnes prenant soin des patients. La commission de l’infraction présuppose également que l’auteur profite effectivement de ce lien de dépendance. L’infraction n’est pas réalisée si l’on doit conclure, même au bénéfice du doute, que la personne en question a consenti de manière libre, sans être influencée par la situation particulière. Le fait en l’espèce pour l’auteur, infirmier de nuit dans un EMS, de s’en être pris à quatre victimes particulièrement âgées et peu autonomes, en ayant gagné leur confiance peu à peu par de petites attentions et en ayant pris systématiquement l’initiative, permet de conclure que le consentement des victimes résulte effectivement du lien de dépendance, et ce même si aucune d’elles n’a porté plainte.