Droit pénal spécial

ATF 145 IV 154 (f)

2018-2019

Art. 125 CP

Lésions corporelles simples par négligence au cours d’un match de football ; violation grave des règles du jeu. Un joueur tacle un adversaire et lui fracture la cheville. Le comportement accepté tacitement par le lésé et le devoir de prudence de l’auteur se déterminent en fonction des règles de jeu applicables et du principe général neminem laedere. Les règles du jeu servent à empêcher les accidents et à protéger les joueurs. Lorsqu’une telle règle est volontairement ou grossièrement violée, le consentement tacite concernant le risque de lésion corporelle inhérent à l’activité sportive est exclu. En l’espèce, le geste du joueur a été qualifié de dangereux et sanctionné d’un carton jaune. Le joueur n’a pas tenu compte du caractère dangereux ou des conséquences de son acte pour son adversaire. Le type de sanction entraîné par le geste est sans influence. La dangerosité du tacle est une violation grave de la règle de jeu visant à protéger les joueurs. Le TF retient la violation du devoir de prudence, ce qui exclut l’application du principe volenti non fit iniuria, et confirme la condamnation pour lésions corporelles simples par négligence.

ATF 145 IV 17 (f)

2018-2019

Art. 124 al. 2 CP

Mutilation d’organes génitaux féminins ; principe d’universalité illimitée de la poursuite pénale. L’auteure qui commet la mutilation à l’étranger et n’est pas extradée peut être poursuivie en Suisse par sa seule présence sur le territoire. La poursuite est ainsi possible même si l’auteure ne s’était encore jamais rendue en Suisse avant l’infraction. En l’espèce, l’auteure est reconnue coupable bien que les actes reprochés ont été commis à l’étranger à une époque où elle n’était jamais venue en Suisse.

Art. 97 al. 1, 105 al. 2 LTF ; 9 Cst.

Lésions corporelles graves ; établissement des faits incomplet ; lien de causalité entre le comportement et la lésion ; exigences de motivation. La détermination des lésions exactes subies par la victime ne peut se fonder sur les seules déclarations de celle-ci. L’autorité doit ordonner une expertise ou, à tout le moins, se fonder sur un certificat médical. Cas échéant, ce dernier doit permettre de retenir une connexité temporelle et locale entre le comportement illicite et la lésion. En l’espèce, les médecins ne se prononcent pas sur l’origine des douleurs, de sorte que la Cour cantonale a versé dans l’arbitraire en retenant un lien de causalité. Enfin, la Cour cantonale a retenu des lésions corporelles graves sans fournir de précisions quant à l’intensité des douleurs, la lourdeur et la complexité des traitements, la durée probable de la guérison et le lien de causalité avec le coup porté par le recourant. Partant, la cause lui est renvoyée pour compléter l’état de fait.

Art. 220 CP

Enlèvement de mineur par un parent codétenteur de l’autorité parentale. Il est reproché au prévenu d’être allé chercher sa fille mineure au domicile de la mère, qui exerçait la garde de fait conformément au jugement de divorce, pour l’emmener chez lui et l’héberger pendant presque deux mois ainsi que d’avoir entrepris les démarches nécessaires pour la changer d’établissement scolaire. Selon la doctrine, le tiers qui apporte une aide purement accessoire au mineur qui s’enfuit ou refuse de retourner au lieu désigné par celui qui exerce le droit de déterminer le lieu de résidence ne participe pas à une infraction. En l’espèce, le prévenu s’est montré actif en allant chercher sa fille, puis en l’hébergeant et en entreprenant des démarches au niveau scolaire. L’art. 220 CP vise à garantir la paix familiale et ne protège pas le mineur lui-même ; la volonté de ce dernier n’a donc pas de portée prépondérante. Le fait que le recourant ait agi à la demande de sa fille importe peu dans la mesure où il ne démontre pas en quoi le refus de celle-ci de retourner chez sa mère était impossible à surmonter ou que cela ne pouvait être exigé de lui. En emmenant sa fille à son domicile et en l’hébergeant sans le consentement de la mère, codétentrice de l’autorité parentale et, partant, du droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant, le prévenu a violé l’art. 220 CP.

ATF 145 IV 23 (i)

2018-2019

Art. 261bis al. 4 CP

Discrimination raciale ; négation d’un génocide. Un politicien publie deux articles où il explique « comment se sont passées les choses » en 1995 à Srebrenica. Le lecteur moyen y voit la négation du génocide des musulmans bosniaques, de sorte que les éléments constitutifs objectifs sont remplis. Toutefois, il n’y a pas de preuves suffisantes démontrant que l’intention de l’auteur était de discriminer. Le TF retient que l’auteur a seulement remis en question la réalité des événements de Srebrenica. A défaut de mobile discriminatoire, la condamnation de l’auteur constitue une violation de sa liberté d’expression si bien que le TF prononce son annulation.

Art. 21, 271 CP

Transmission directe d’informations bancaires relatives à des clients au Gouvernement américain ; acte exécuté sans droit pour un Etat étranger ; erreur sur l’illicéité. Une société de gestion de fortune suisse veut annoncer des clients non déclarés au fisc américain. Elle consulte au préalable une étude d’avocats pour s’assurer de la légalité de la transmission. Elle demande, en sus, l’avis d’un professeur et d’une juriste. Il lui est confirmé que la transmission de données ne viole pas l’art. 271 CP et qu’elle est justifiée sous l’angle de l’état de nécessité licite et l’état de nécessité excusable. La société annonce les clients au fisc américain. Une procédure pénale contre la société pour violation de l’art. 271 CP est ouverte. Le TPF acquitte la société ; il retient une erreur sur l’illicéité et donc l’absence d’intention. Le TF rappelle que l’erreur sur l’illicéité découle de la théorie de la culpabilité ; il ne s’agit pas d’un élément constitutif subjectif de l’infraction. L’erreur de droit n’est retenue que lorsque l’auteur ne connaissait pas et ne pouvait pas connaître l’illicéité de son comportement. L’erreur de droit est écartée dès lors que l’auteur a l’impression que son comportement est illicite. Selon l’avocat consulté, une violation de l’art. 271 CP n’était pas totalement exclue. Le TF considère que la société était consciente que la transmission était potentiellement illicite puisqu’elle a encore demandé d’autres avis de droit. Les divergences entre les avis de droit auraient dû pousser la société à faire preuve de retenue et à éclaircir la situation. L’erreur commise aurait donc pu être évitée, de sorte que l’erreur sur l’illicéité est écartée et la cause renvoyée au TPF pour nouveau jugement.

Art. 179ter CP

Enregistrement d’une conversation ; délimitation entre conversation publique et non publique. Celui qui a tenu une conversation ou un monologue si fort qu’on pouvait l’entendre à une distance de 34 mètres (établissement de la distance et test auditif effectués lors d’une inspection locale) sur un sentier de randonnée public qui n’était que partiellement visible par l’auteur des déclarations, n’a pas faites celles-ci dans un cercle fermé de personnes ou dans un environnement privé. Partant, celui qui enregistre ces déclarations sans le consentement de leur auteur ne se rend pas coupable d’enregistrement non autorisé d’une conversation au sens de l’art. 179ter CP et le moyen de preuve est, par conséquent, exploitable.

ATF 145 IV 206 (f)

2018-2019

Art. 7, 91, 95, 96, 97 LCR ; 145 OAC ; 18 OETV

Conduite d’un cyclomoteur en état d’ébriété qualifiée ; qualification du cyclomoteur comme véhicule à moteur ; sanctions. Le cyclomoteur est un véhicule automobile (art. 7 al. 1 LCR) car il est équipé d’un moteur (art. 18 let. a OETV). Bien que l’art. 42 al. 4 OCR dispose qu’un cyclomotoriste doive se conformer aux prescriptions concernant les cycles, cette disposition ne concerne que certaines prescriptions de la LCR. Les cyclomoteurs ne peuvent donc pas être assimilés sans réserve aux véhicules sans moteur. Le cyclomotoriste qui présente un taux d’alcool qualifié est assimilé à un conducteur d’un véhicule automobile. A ce titre, il commet donc un délit (art. 91 al. 2 let. a LCR) et non une contravention (art. 91 al. 1 let. c LCR), sanction qui est infligée pour la conduite d’un véhicule sans moteur.

Art. 90 al. 2, 35 al. 2 LCR

Violation grave d’une règle de la circulation ; dépassement d’un véhicule sans visibilité. Le conducteur qui entame une manœuvre de dépassement malgré une visibilité réduite en raison d’un virage et qui, ce faisant, pousse le véhicule venant en sens inverse à sortir de son tracé et à finir sa course dans un champ, enfreint gravement la règle de circulation énoncée par l’art. 35 al. 2 LCR, créant ainsi un sérieux danger pour autrui. La violation objectivement grave d’une règle de la circulation au sens de l’art. 90 al. 2 LCR suffit, en principe, à la réalisation des éléments subjectifs de l’infraction. Le fait que la manœuvre de dépassement n’ait pas été poursuivie jusqu’au bout après que le conducteur a constaté le danger est sans influence car le danger avait déjà été objectivement créé.

Art. 143bis CP

Utilisation d’un mot de passe appartenant à un tiers ; accès indu à un système informatique ; erreur sur l’illicéité. L’auteure trouve chez elle le mot de passe du compte Gmail de son époux dont elle est séparée. Elle consulte son beau-frère, procureur général, qui lui assure qu’elle a le droit de l’utiliser. Après avoir encore effectué des recherches juridiques sur internet et consulté un avocat à ce sujet, elle accède à la messagerie de son époux. Ainsi, l’auteure a contourné le dispositif de sécurité, soit le mot de passe, et s’est introduite sans droit dans un dispositif de transmission de données, à savoir la messagerie. Le fait que le mot de passe soit tombé en sa possession indépendamment de sa volonté est sans influence. L’auteure ne peut se prévaloir d’une erreur sur l’illicéité ; l’erreur de droit consécutive aux conseils donnés par une personne rompue au droit est inévitable qu’à la condition que l’information portait sur une question complexe et que l’examen de la question juridique était complet. En l’occurrence, tel n’était pas le cas et l’auteure a encore cherché à confirmer la licéité de son comportement après avoir contacté le procureur (recherches sur internet et consultation d’un avocat), ce qui démontre qu’elle avait des doutes. Le TF écarte donc l’erreur de droit et confirme la condamnation pour violation de l’art. 143bis CP.

Art. 305, 305bis CP

Concours idéal parfait entre l’entrave à l’action pénale et le blanchiment d’argent. Une infraction à l’art. 305 et une autre à l’art. 305bis CP peuvent entrer en concours idéal parfait. Même s’il porte atteinte au même bien juridiquement protégé (l’administration de la justice), l’auteur entrave la justice pénale de différentes manières, dans un cas en soustrayant une personne à son action et, dans l’autre cas, en rendant plus difficile l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales. Seule l’hypothèse dans laquelle l’intéressé réaliserait un acte d’entrave relatif à des valeurs patrimoniales visées par l’art. 305bis CP, lequel aurait pour effet de soustraire une personne à une poursuite pénale au sens de l’art. 305 CP pourrait rendre le concours imparfait dans la mesure où l’aspect de soustraction personnelle ressortant de l’art. 305 CP serait alors déjà compris dans l’art. 305bis CP. Dans une telle situation, seule cette dernière disposition devrait trouver application. Or, en l’occurrence, l’auteur n’a pas accompli un acte de blanchiment d’argent qui a eu pour corollaire la soustraction de l’auteur de l’infraction préalable aux poursuites pénales : le prévenu a bel et bien tenté de soustraire une personne à l’action de la justice par un acte qui, simultanément, entravait la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales au sens de l’art. 305bis CP. Le TF confirme donc la condamnation du prévenu pour tentative d’entrave à l’action pénale et blanchiment d’argent.

Art. 22 LESp ; 305bis CP

Champ d’application de la loi sur l’encouragement du sport (LESp). Celui qui vend des produits dopants à des adeptes du bodybuilding se rend coupable de distribution et de mise sur le marché de produits à des fins de dopage au sens de l’art. 22 LESp. Le prévenu ayant caché les recettes générées par cette activité, le TF retient également l’infraction de blanchiment d’argent (art. 305bis ch. 1 CP). Le bodybuilding est un sport au sens de la LESp. L’absence de définition de la notion de « sport » dans la loi ne viole pas le principe de la légalité car il s’agit d’un terme utilisé fréquemment dans le langage courant, de sorte que tout un chacun peut reconnaître le comportement punissable. La LESp n’est pas limitée aux compétitions sportives réglementées ; elle s’applique également aux activités sportives récréatives.

Art. 19 al. 2 LStup

Trafic de cocaïne ; taux de pureté ; qualification de l’infraction ; violation du principe in dubio pro reo. Il est reproché à la prévenue d’avoir vendu 60 grammes de cocaïne, soit 18.6 grammes de substance pure compte tenu du taux de pureté de 31% de la drogue. Le rapport d’analyse mentionne un taux de pureté de 31% (± 3,5%). L’instance cantonale a retenu un taux de 31% sans expliquer les raisons pour lesquelles elle n’a pas déduit de ce taux la fraction de 3.5% susmentionnée, qui par l’indication du signe « ± » semble définir une marge d’erreur ou à tout le moins la possibilité d’une variation, alors que la prise en considération d’un taux de pureté de 27.5% (31%‑3.5%) constitue en l’espèce l’hypothèse la plus favorable à la prévenue (cf. art. 10 al. 3 CPP). En l’espèce, un taux de 27.5% a pour effet d’exclure le cas aggravé au sens de l’art. 19 al. 2 let. a LStup, les transactions en cause ne portant alors plus que sur 16.5 grammes de substance pure (27.5% x 60 grammes), quantité inférieure à la limite de 18 grammes retenue par la jurisprudence. En retenant un taux de pureté de 31%, l’instance cantonale a violé la présomption d’innocence de la prévenue, ce qui conduit au renvoi de la cause pour nouvelle décision.