Droit pénal spécial

Répression de la mendicité. La requérante, ressortissante roumaine extrêmement pauvre, est condamnée par le Tribunal de police genevois à une amende de CHF 500.- pour avoir mendié sur la voie publique. Une peine privative de liberté de substitution de cinq jours est prévue en cas de non-paiement. Alors que sa cause est portée devant la CourEDH, la requérante est placée en détention en raison du non-paiement de l’amende. Appelée à se prononcer sur la conformité avec les droits humains de l’art. 11A al. 1 de la Loi pénale genevoise réprimant la mendicité par le biais de l’amende, la Cour aborde la question sous l’angle de l’art. 8 CEDH protégeant le droit au respect de la vie privée. Le droit de s’adresser à autrui dans un cadre public pour demander de l’aide peut être déduit de l’essence même des droits protégés par cette disposition, de sorte que l’interdiction générale de la mendicité en constitue une limitation, alors admissible uniquement si elle repose sur une base légale et qu’elle constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique (art. 8 § 2 CEDH). Si l’existence d’une base légale et d’un but légitime (lutte contre la criminalité organisée et protection des droits des passants, habitants et propriétaires de commerces) n’est pas contestable en l’espèce, la sanction infligée à la requérante ne constitue néanmoins pas une mesure proportionnée à atteindre ce but. Une telle ingérence au droit à la vie privée de l’intéressée n’était du reste pas nécessaire. L’Etat suisse a excédé sa marge d’appréciation en la matière, portant atteinte à la dignité humaine de la requérante qui, compte tenu de sa situation profondément précaire, était en droit de tenter d’y remédier par la mendicité. La sanction prononcée à son encontre doit être considérée comme grave, et ce particulièrement car il était presque inévitable que la peine d’emprisonnement pour non-paiement de l’amende aggrave la vulnérabilité et la détresse de la requérante.

Extradition en raison d’un délit d’initié secondaire. Le TF est appelé à déterminer si l’extradition peut être accordée pour un délit d’initié secondaire (art. 153 al. 3 LIMF). L’extradition n’est accordée que si l’auteur est passible d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté de plus d’un an (art. 2 al. 1 TExUS). Il faut, en sus, que la condition de la double incrimination soit remplie. En l’espèce, tel est le cas : le délit d’initié secondaire ne sanctionne pas seulement celui qui reçoit directement l’information privilégiée de l’initié primaire, mais également celui à qui l’information parvient par une chaîne d’initiés. En conséquence, quiconque obtient des informations d’initiés par l’entremise d’un tiers est un initié secondaire au sens de l’art. 154 al. 3 LIMF. En l’espèce, le prévenu savait que les informations fournies par les intermédiaires provenaient d’initiés primaires. En vertu du principe de faveur, l’extradition peut être accordée, quand bien même l’infraction est sanctionnée d’une peine privative de liberté de « seulement » un an au plus.

24 règlement SIS II ; inscription d’une expulsion dans le Système d’information Schengen (SIS). Selon le règlement SIS II (règlement CE n° 1987/2006), le signalement suppose, entre autres, une menace pour l’ordre public et la sécurité publique fondée sur une évaluation individuelle. C’est notamment le cas si la personne concernée a été condamnée dans un Etat membre pour une infraction passible d’une peine privative de liberté d’au moins un an. En l’espèce, le recourant a été condamné à 270 jours-amende avec sursis et à une amende pour actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP). Le TF considère, sur la base de la jurisprudence de la CourEDH, qu’il ne faut pas poser des exigences trop élevées à l’égard de la menace pour l’ordre public et la sécurité publique. Une menace concrète, actuelle et suffisamment grave n’est pas nécessaire. Il n’est pas nécessaire que l’infraction soit grave ou particulièrement grave pour que l’expulsion d’un condamné soit inscrite dans le SIS. Ce n’est pas non plus la quotité de la peine qui est décisive mais principalement la nature et la fréquence des infractions, les circonstances concrètes de celles-ci ainsi que le reste du comportement de la personne. Même une simple peine prononcée avec sursis ne s’oppose pas au signalement.

Validité d’une plainte pénale pour violation de domicile à l’égard d’une journaliste. La propriétaire d’une maison occupée par des squatteurs dépose plainte pénale contre inconnu pour violation de domicile. Une journaliste qui s’était rendue sur place pour rédiger un article à ce sujet se voit condamnée pour violation de domicile. Selon le TF, la plainte pénale déposée pour un délit continu comme la violation de domicile vaut également à l’égard des participants qui prendraient part à l’infraction postérieurement au dépôt de la plainte. Il faut toutefois que le comportement punissable leur soit imputable. En l’espèce, la journaliste n’est pas entrée pour participer à l’occupation de la maison. La plainte pénale ne vaut donc pas à son encontre.

Trafic de stupéfiants par métier sous la forme d’une bande ; cas aggravé. Pour le cas aggravé au sens de l’art. 19 al. 2 let. c LStup, l’auteur doit avoir réalisé un chiffre d’affaires important (CHF 100’000.- minimum) ou un gain important (CHF 10’000.- minimum). La commission en bande permet d’imputer à chacun des auteurs l’entier du chiffre d’affaires ou du gain réalisé par la bande. Il n’est pas nécessaire que l’auteur bénéficie effectivement du résultat de l’infraction. L’auteur doit également avoir agi par métier, qui est une circonstance personnelle (art. 27 CP), de sorte qu’il est nécessaire que l’auteur remplisse personnellement cette circonstance aggravante.

Lex mitior ; application du nouveau droit. Deux prévenus sont accusés d’avoir organisé, en 2017, des jeux en dehors des maisons de jeu autorisées au sens de l’art. 56 al. 1 let. a LMJ. Cette disposition a été abrogée le 31 décembre 2018 et remplacée par l’art. 130 al. 1 let. a LJAr, entré en vigueur le 1er janvier 2019. La Commission fédérale des maisons de jeu recourt au motif que l’instance inférieure aurait appliqué à tort l’ancien droit : alors que le nouveau droit consacre un délit, l’ancien prévoyait que l’infraction constituait une contravention. Le TF rappelle que l’exception au principe de la lex mitior présuppose qu’en raison d’une appréciation juridique modifiée, le comportement visé ne soit plus punissable (ou punissable dans une moindre mesure). Il appartient au tribunal de déterminer si le nouveau droit est plus favorable au prévenu en procédant à une analyse en quatre étapes : comparer les sanctions en fonction du genre de peine ; s’il est identique, comparer la gravité de l’infraction selon la modalité d’exécution (sursis total ou partiel, peine ferme) ; si elle est identique, la quotité de la peine sert de comparaison ; si elle est identique, les peines complémentaires servent de comparaison. En l’espèce, le nouveau droit (peine pécuniaire) est plus sévère que l’ancien droit (amende), de sorte que l’instance inférieure a correctement appliqué le droit fédéral. Le recours est rejeté.

Notion d’atteinte à l’honneur. Les déclarations doivent être comprises d’après l’interprétation qu’en ferait une tierce personne impartiale en fonction des circonstances concrètes, et non selon le point de vue subjectif des personnes visées. L’expression « Die Spinnt ! » (« Elle débloque ! ») ne constitue pas une atteinte à l’honneur, car dire qu’une personne est malade (mentalement) n’est pas propre à porter atteinte à son honneur.

ATF 146 IV 358 (d)

2020-2021

Délit de fuite par négligence. Un automobiliste qui heurte, par sa faute, un motocycliste sans le remarquer et continue son chemin sans lui prêter secours commet un délit de fuite au sens de l’art. 92 al. 2 LCR. Le TF confirme sa jurisprudence selon laquelle le délit de fuite peut également être commis par négligence (ATF 93 IV 43). La fuite au sens de cette disposition – soit l’éloignement du lieu de l’accident – constitue une violation des devoirs prévus à l’art. 51 al. 2 LCR. Selon l’art. 100 al. 1 LCR, les infractions à la circulation routière commises par négligence sont aussi punissables, sauf disposition expresse et contraire de la loi. L’art. 92 al. 2 LCR ne restreint pas la punissabilité de l’infraction à une commission intentionnelle. Cette appréciation est conforme au but de la norme, qui doit permettre de protéger les victimes d’un accident de la route et d’élucider les circonstances de celui-ci. Un tel objectif ne saurait être atteint si l’art. 92 al. 2 LCR ne couvre pas la négligence, car il serait trop aisé pour l’automobiliste d’invoquer que, n’ayant pas conscience d’avoir blessé ou tué une personne, il ne pouvait pas lui porter secours. Selon l’art. 31 al. 1 LCR cum art. 3 al. 1 OCR, le conducteur doit vouer son attention à la route et à la circulation. Lorsqu’il ne se rend pas compte d’une collision ou des dommages corporels qu’il a provoqués, il manque à ses obligations et se rend coupable d’un délit de fuite par négligence.

Concours parfait entre les infractions d’état d’ébriété qualifié et d’état d’incapacité de conduire. Un conducteur s’est endormi au volant et a perdu la maîtrise de son véhicule. Il se trouvait dans un état d’ébriété qualifié et de fatigue avancée. Selon le TF, les deux états peuvent entrer en concours parfait, car le législateur a expressément prévu ces deux catégories distinctes d’incapacité et que l’incapacité liée à la fatigue ne résulte en principe pas de la même volonté délictuelle que celle qui a entrainé l’état d’ébriété.

Politique de la tolérance zéro en matière de cannabis. En vertu de l’art. 55 al. 7 let. a LCR, le Conseil fédéral a fixé le taux de concentration de THC à partir duquel une personne est réputée incapable de conduire à 1,5 microgrammes par litre de sang (art. 34 let. a OOCCR-OFROU). Ce taux correspond au seuil à partir duquel la présence d’une substance dans le sang peut être valablement démontrée. Le recourant conteste sa condamnation pour conduite en état d’incapacité, alors qu’il présentait un taux de 4,4 microgrammes de THC par litre de sang. Selon lui, le seul fait que le taux limite de THC soit dépassé ne démontre pas son incapacité de conduire. Le TF – qui ne se penche pas sur l’appréciation de l’incapacité de conduire – rejette le recours, au motif qu’il n’y a pas lieu de revenir sur la règle posée dans l’ordonnance, car les dispositions édictées par le Conseil fédéral, respectivement l’OFROU, entrent dans le champ des compétences qui leur ont été déléguées et qu’elles ne contreviennent pas à la loi ou à la Constitution fédérale. Partant, notre Haute Cour rejette le recours.

Tentative d’instigation à assassinat ; fixation de la peine. La qualification d’assassinat au sens de l’art. 112 CP s’impose lorsque la faute de l’auteur se distingue nettement de celle d’un meurtrier au sens de l’art. 111 CP. Tel est le cas lorsque l’analyse de l’ensemble des circonstances externes (comportement) et internes de l’acte (mobile, but) révèle un mépris complet pour la vie d’autrui chez un individu guidé par la volonté de satisfaire ses besoins égoïstes. La conclusion d’un acte contractuel aux fins d’engager un tueur à gages est notamment un élément pertinent dans ce cadre. Au stade de la fixation de la peine, les conséquences des actes constitutifs de la tentative et l’absence de résultat doivent être appréciées à charge et à décharge lors de l’application de l’art. 47 CP. Enfin, la mesure particulière dans laquelle se réalisent des circonstances aggravantes ou atténuantes ayant conduit à une extension du cadre de la peine peut être prise en compte pour déterminer la quotité de la peine, sans que ceci ne constitue une violation du principe de « Doppelverwertungsverbot ».

Rupture de ban. Un ressortissant algérien expulsé pour une durée de cinq ans demeure en Suisse. Interpellé par la police, il est condamné à une peine privative de liberté de 9 mois pour rupture de ban. Il recourt au motif qu’aucune mesure n’a été prise en vue de son renvoi effectif. Le TF rappelle que la Suisse a repris la Directive européenne 2008/115/CE (Directive sur le retour) relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Elle prévoit que les mesures de refoulement sont prioritaires au prononcé d’une peine privative de liberté. Cette sanction ne peut intervenir que lorsque les autorités ont pris toutes les mesures raisonnables pour exécuter l’expulsion. En l’espèce, la procédure de renvoi n’ayant pas été menée à son terme (ni même entreprise), la condamnation à une peine privative de liberté est contraire au droit. Le recours est admis.

Concours parfait entre une rupture de ban et une interdiction de périmètre. En 2015, le recourant (héroïnomane) se voit notifier une interdiction d’entrée en Suisse et, en 2018, une interdiction d’entrer dans le centre-ville de Genève, à l’exception d’un local d’injection. Interpellé par la police près du local en question en 2019, il est condamné à une peine privative de liberté de six mois pour rupture de ban (art. 291 CP) et violation de l’interdiction de périmètre (art. 119 LEI). Le recourant fait valoir que son comportement ne peut pas être constitutifs de deux infractions. Selon le TF, la rupture de ban vise à garantir l’exécution des décisions d’expulsion. Quant à l’interdiction de périmètre prononcée en l’espèce, elle découle du comportement troublant et menaçant du prévenu pour la sécurité et l’ordre public. Elle a pour but de maintenir l’intéressé éloigné d’une région déterminée. Ces dispositions ne protégeant pas les mêmes biens juridiques, le recourant pouvait être condamné pour rupture de ban et pour non-respect d’une interdiction géographique, les deux infractions entrant en concours parfait au sens de l’art. 49 CP.

Insoumission à une décision de l’autorité ; liberté des médias. Dans le cadre d’une procédure menée à huis-clos partiel, la décision du tribunal de conditionner la participation des journalistes à l’observation de règles sur la base de l’art. 70 al. 3 CPP n’est pas contraire au droit. Les conditions imposées par le tribunal peuvent être assorties de la commination prévue à l’art. 292 CP. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit prévue dans la loi pertinente pour l’affaire. La condamnation d’un journaliste en raison d’une insoumission aux règles imposées par le tribunal porte néanmoins atteinte à sa liberté d’expression et à la liberté des médias, de sorte que cette restriction doit toujours être examinée sous l’angle de l’art. 36 Cst. En l’espèce, il était demandé aux journalistes de ne pas publiciser d’informations relatives aux enfants de la personne jugée pour un assassinat. Un chroniqueur judiciaire a toutefois indiqué dans un article en ligne la présence de l’un des enfants au moment des faits. Il a maintenu le contenu de l’article malgré le fait que le tribunal ait réitéré sa demande en l’assortissant de la commination de l’art. 292 CP. In casu, l’atteinte est fondée sur une base légale (art. 70 CPP), le but poursuivi par la restriction est légitime (protéger la personnalité des enfants pour éviter qu’ils soient exposés à la « curiosité morbide » d’autrui) et, sous l’angle de la proportionnalité, l’intérêt de l’enfant à ne pas voir divulguée sa présence lors de l’homicide l’emporte sur l’intérêt de la presse à faire état de ce fait dont la valeur informative est moindre. En revanche, le principe de l’aptitude n’est pas respecté in casu, en ce sens que la condamnation du chroniqueur n’était plus apte à atteindre le but recherché (au moment de son prononcé, l’article révélant la présence de l’enfant avait déjà été publié et la condamnation ne permettait donc plus d’empêcher la connaissance de ce fait par le public).

ATF 147 IV 73 (d)

2020-2021

Escroquerie. Le fait de tromper une travailleuse du sexe sur sa capacité d’honorer la rémunération convenue avec elle pour le service fourni est généralement une tromperie astucieuse et constitutif d’une escroquerie au sens de l’art. 146 CP. En l’espèce, l’auteur a induit astucieusement en erreur la travailleuse en montant un « scénario » qui ne permettait pas de douter de sa solvabilité et sa volonté de payer : après s’être présenté dans une voiture de luxe, il a dit travailler dans le milieu de la finance et s’est engagé à la payer après le rapport sexuel. L’absence de volonté de l’auteur d’honorer ce paiement – qui constitue un fait interne difficile à discerner – était d’autant moins vérifiable que la travailleuse était en droit de croire qu’elle disposait des coordonnées authentiques de l’auteur. S’il est vrai que la dupe n’a pas exigé un acompte avant d’exécuter la prestation sexuelle, elle ne saurait toutefois se voir attribuer une part de responsabilité qui reléguerait au second plan le comportement frauduleux de l’auteur. Compte tenu de l’évolution de la société et ainsi qu’en témoignent certaines lois et jurisprudences cantonales, le contrat de prostitution n’est pas contraire aux mœurs ni nul (art. 20 CO). Contrairement à la jurisprudence antérieure, la prostitution constitue une activité lucrative légale et le droit de l’intéressée à une indemnisation pour ses services revêt une valeur patrimoniale qui doit bénéficier de la protection du droit pénal.

Lésions corporelles par négligence ; abus de détresse. Le recourant a entretenu des relations sexuelles répétées avec une personne dont il avait conscience qu’elle souffrait d’un retard mental. Le fait que l’expertise psychiatrique retienne que la victime n’était pas totalement incapable de se déterminer sur les sollicitations qui lui étaient faites est sans influence : l’abus de détresse (art. 193 CP) n’exige pas l’absence totale de consentement mais une certaine entrave au libre arbitre, ce que l’expert a retenu à l’égard de la victime. En raison des agissements du prévenu, la victime présente d’importants symptômes de stress post-traumatiques et des troubles alimentaires. Le fait qu’elle ait déjà été hospitalisée par le passé ou souffert de dépression ne change rien au fait que les actes du recourant ont causé chez elle des lésions psychiques. Le recourant ne pouvait pas ignorer que les abus étaient susceptibles de causer une souffrance morale ou psychique à la victime (art. 125 al. 1 CP). Le TF considère que le prévenu a agi par négligence consciente et rejette le recours.