Droit pénal spécial

ATF 148 IV 66 (f)

2021-2022

Actes exécutés sans droit pour un Etat étranger. L’art. 271 ch. 1 CP a pour but d’empêcher un Etat étranger de mettre en œuvre sa puissance publique sur le territoire suisse, protégeant ainsi le pouvoir exclusif et la souveraineté de la Suisse. Tout acte d’un Etat étranger violant ou contournant le droit suisse ou international relatif à l’entraide administrative ou judiciaire, ou relevant de la compétence d’une autorité/d’un fonctionnaire suisse, remplit les éléments constitutifs de l’art. 271 ch. 1 CP. Lorsque des documents et informations ne peuvent être légalement transmis que sur injonction administrative en Suisse, leur remise, par des personnes ne disposant pas librement de ces informations, à une autorité étrangère, sur sol étranger, lèse le bien juridique protégé par l’art. 271 CP. Les informations dont on ne peut disposer librement sont notamment celles qui sont propres à identifier des tiers et ne sont pas accessibles au public. L’enregistrement, dans l’Etat étranger, des informations à transmettre n’est aucunement déterminant dans l’analyse de la typicité de l’art. 271 CP.

Diffamation ; tentative de contrainte ; infraction par omission. La rédaction d’une critique négative visant le « chef » d’une étude d’avocats, et destinée à évaluer cette dernière dans son ensemble, ne constitue pas une diffamation (art. 173 CP) à l’encontre d’un associé qui n’a aucunement assuré le suivi de l’auteur de la critique en tant que client, et dont l’auteur de la critique n’a au demeurant pas connaissance. On ne saurait en effet admettre que l’auteur de la critique ait accepté, en déplorant la manière dont son cas a été traité par le « chef » ou l’étude en tant que telle, de toucher personnellement l’honneur d’un associé qui n’était pas en charge de son mandat. Par ailleurs, en proposant à l’un des associés de supprimer l’évaluation négative contre le remboursement des honoraires, l’auteur de la critique ne se rend pas coupable d’une tentative de contrainte par omission (art. 181 et 22 CP). Rien ne permet en effet de démontrer qu’une telle menace – revenant à s’abstenir de retirer une critique déjà publiée – aurait pour effet d’aggraver le dommage causé. Dans la mesure où les associés de l’étude étaient libres d’accepter ou refuser cette offre (visant, au fond, à résoudre le conflit entre la cliente et l’étude), et ce sans avoir à craindre une détérioration de leur situation en cas de refus, la condition du préjudice sérieux posée à l’art. 181 CP fait défaut.

ATF 148 IV 39 (d)

2021-2022

Homicide par négligence ; devoir de diligence du médecin. Une patiente décède à la suite d’un choc allergique causé par un antibiotique prescrit par son médecin de famille. Lors du premier entretien, il l’a interrogée sur d’éventuelles allergies, qu’elle a niées. Il lui a également demandé plusieurs fois de lui fournir son dossier médical, en vain. Aucune loi ou règle de la profession n’exige du médecin qu’il adopte un comportement actif en obtenant personnellement les dossiers médicaux que ses patients ne lui ont pas fournis à sa demande. Le médecin a respecté ses devoirs de clarification et son devoir de diligence médicale. Le TF confirme l’acquittement.

ATF 148 IV 113 (d)

2021-2022

Discrimination raciale. En février 2018, les Jeunes UDC du canton de Berne publient sur Facebook et sur leur site internet une contribution comportant une image représentant une personne à la peau légèrement foncée qui défèque en public sur une aire d’accueil pour les gens du voyage. Sous la caricature figure le texte « Wir sagen NEIN zu Transitplätzen für ausländische Zigeuner ». Le TF considère que les termes « Tziganes étrangers » (« ausländische Zigeuner ») désigne une ethnie au sens de l’art. 261bis CP et qu’il est compris par le destinataire moyen comme une catégorie générique pour les Roms et les Sinti. En l’espèce, ceux-ci sont rabaissés par l’attribution généralisée de comportements répréhensibles ayant pour effet de remettre en question leur valeur égale en tant qu’êtres humains. La condamnation des deux coprésidents du parti est confirmée.

Incitation à la haine ; responsabilité du détenteur d’un compte Facebook pour des publications tierces illégales. En l’état actuel, le droit pénal suisse ne contient pas de disposition régissant la responsabilité pénale des utilisateurs de réseaux sociaux pour la diffusion, sur leur compte et par des tiers, de contenus haineux ou discriminatoires constitutifs de l’art. 261bis CP. Il est contraire au principe de la légalité (art. 1 CP et 7 CEDH) de mettre à la charge d’un détenteur d’un compte Facebook public une obligation de modération des commentaires publiés sur son « mur », et ce quand bien même il existerait un risque accru de diffusion de contenus illégaux sur ladite plateforme (notamment, car les sujets qui y sont généralement débattus sont polémiques ou au vu du type de commentaires qui y sont habituellement publiés).

Assistance au suicide d’une personne en bonne santé ; application de la LPTh. Le TF annule la condamnation d’un médecin ayant prescrit à une femme de 86 ans, en bonne santé, une substance létale (pentobarbital) pour qu’elle puisse se suicider. La LPTh ne s’applique que lorsque la prescription de pentobarbital repose sur une indication médicale, c’est-à-dire lorsqu’elle poursuit un but thérapeutique lié à une volonté d’abréger les souffrances découlant de la maladie. En l’espèce, tel n’est pas le cas, de sorte que le comportement ne relève pas de la LPTh. La cause est renvoyée à l’instance inférieure pour qu’elle examine si le comportement doit être sanctionné selon la Loi fédérale sur les stupéfiants (LStup).

ATF 148 IV 57 (d)

2021-2022

Exploitation de la dépendance d’une personne en institution par un soignant. La question de savoir à quel moment l’exploitation du rapport de dépendance est réalisée selon l’art. 192 al. 1 CP doit être appréciée par rapport à l’intensité du rapport de dépendance. Plus la dépendance est grande, plus la libre détermination en matière sexuelle sera limitée. Par, ailleurs le consentement ne peut pas exclure la punissabilité de l’auteur si le rapport de dépendance a créé la docilité de la victime, tout particulièrement si le rapport sexuel a été initié par l’auteur. Le consentement doit être complètement libre et ne doit pas être influencé par le rapport de dépendance. En l’espèce, le TF retient ce lien de dépendance : la victime souffrait d’un handicap au niveau cognitif, elle était émotionnellement attachée au prévenu (depuis plus de 16 ans), et elle a été contrainte au silence par le prévenu.

Stealthing ; contrainte. Le stealthing (le retrait d’un préservatif à l’insu de son ou sa partenaire durant un rapport sexuel) ne répond pas aux conditions de l’art. 191 CP (actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance), mais doit être considéré selon l’art. 198 CP (désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel). Le TF reconnaît que le stealthing porte atteinte à l’intégrité et à l’autodétermination en matière sexuelle, car c’est un caractère essentiel du rapport sexuel et prive la victime de sa liberté de décider du rapport sexuel de façon libre et responsable. Cependant, le TF considère que le deuxième élément constitutif de l’art. 191 CP, la contrainte, n’est pas donné, car la victime se trompe sur la nature protégée de l’acte, mais n’est pas dans un état de faiblesse qui existait avant l’acte et qui est exploité par l’auteur. L’acquittement est donc confirmé pour l’art. 191 CP, mais le TF relève que l’art. 198 CP est toutefois applicable dans le cas d’espèce.

Contrainte sexuelle ; viol ; exigence de la contrainte ; rappel du droit en vigueur. De lege lata, les infractions de contrainte sexuelle (art. 189 CP) et de viol (art. 190 CP) ont pour élément constitutif l’exercice d’une contrainte. En l’espèce, bien qu’il soit possible que la recourante n’ait pas consenti aux rapports sexuels considérés, elle n’a pas manifesté son absence de consentement et rien ne permettait à l’intimé de s’en rendre compte. Il en résulte que les conditions d’application des art. 198 et 190 CP ne sont pas remplies. La question de savoir si la Convention du Conseil de l’Europe du 11 mai 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) impose une interprétation de la loi conforme à la solution du consentement peut demeurer ouverte. D’une part, la Convention ne crée pas de droits subjectifs pour les Etats parties, si bien que la recourante ne saurait s’en prévaloir. D’autre part, une interprétation des art. 189 et 190 CP, fondée sur l’absence de consentement explicite plutôt que de la contrainte, violerait le principe de la légalité (art. 1 CP). Le TF ne dispose enfin d’aucune compétence pour modifier ces dispositions, étant précisé que, de lege ferenda, la solution privilégiée par la Commission des affaires juridiques est celle du refus manifesté (non, c’est non) plutôt que celle du consentement (oui, c’est oui).