Art. 10 CPP, Art. 322septies al. 2 CP
Corruption passive d’agents publics étrangers ; preuve nécessaire. Pour retenir l’infraction de corruption d’agents publics étrangers (art. 322septies al. 2 CP), une preuve directe de l’existence d’un pacte corruptif n’est pas nécessaire (art. 10 CPP). Retenir un faisceau d’indices plutôt qu’une preuve directe ne constitue par un jugement arbitraire. En effet, les circonstances particulières dues à l’essence de l’infraction mènent à des situations où les acteur·ices vont faire leur possible pour ne pas laisser de traces écrites de leur communications et rencontres, ce qui ne permet que rarement d’obtenir des preuves directes. Dans le cas d’espèce, le versement d’une importante somme d’argent au fils du conseil d’administration d’une entreprise publique a suffi pour démontrer que la somme versée était un avantage indu, puisque ce versement ne correspondait pas à un échange de contre-prestations réelles.
Marie Desaules, Naomie Victoire Jade Dieudonné, Debora Richoz-Martella
Art. 261bis al. 1 CP
Incitation à la haine, homophobie, prise en compte des antécédents, interprétation. Il s’agit de la première condamnation pour incitation à la haine basée sur l’orientation sexuelle. Le TF rappelle que l’art. 261bis CP couvre maintenant l’orientation sexuelle mais pas l’identité de genre, en se basant sur les Principes de Jogjakarta pour définir ces termes. Ainsi, il indique que l’orientation sexuelle concerne l’attirance émotionnelle, affective et sexuelle ainsi que d’entretenir des relations intimes et sexuelles avec des individus de sexe opposé (hétérosexualité), de même sexe (homosexualité) ou de plus d’un sexe (bisexualité). L’identité de genre étant définie par ces principes comme « l’expérience intime et personnelle de son sexe profondément vécue par chacun » ainsi que la conscience personnelle de son corps et des autres expressions sociales du genre (citant les manières de se porter, de se vêtir et plus encore), indépendamment de sa correspondance avec celui qui lui est assigné à la naissance. La terminologie employée par l’auteur dans cette affaire, notamment « queer » et « lesbienne » fait donc univoquement référence à l’homosexualité de la victime, même si la dénomination queer regroupe une plus large palette de sous-catégories, et entre dès lors bien sous le champ de protection de l’art. 261bis CP. Pour déterminer la volonté méprisante des propos, le TF indique qu’il faut se placer du point de vue de ce que peut comprendre une tierce personne non-avertie en prenant en compte le contexte, ce qui inclut tout spécialement la personnalité de l’auteur et les destinateurs visés, et en se basant sur les faits objectifs de l’affaire. Typiquement, une mise en scène avec la photo de la victime, des attaques ad personam sans lien aucun avec le sujet de la discussion, une opposition entre l’auteur « un combattant pour la paix, la fraternité et l’âme suisse » et l’homosexualité de la victime dénotent clairement de l’homophobie des propos et de la volonté méprisante. Le TF emploie aussi la réaction des destinataires non-concernés par les atteintes comme indice. En effet, bien que l’auteur ne réponde pas des actes d’autrui, le fait que les destinataires aient interprété ses propos comme haineux et réagi avec verve indique bien que le but, ici atteint, était d’inciter à la haine. Les destinataires n’ont pas besoin de réagir en accordance avec la volonté de l’auteur ni d’avoir été convaincus par l’auteur pour que l’art. 261bis CP s’applique. En effet, il suffit que l’intention de l’auteur porte sur l’incitation, même légère, de personnes qui peuvent déjà partager ces convictions. Le TF prend en compte les antécédents de la personne pour déterminer les éléments subjectifs tels que l’intention qu’elle portait et le sens qu’elle voulait donner à ses actions. Il rappelle que l’art. 261bis CP est toujours à lire en relation avec la liberté d’expression. Celle-ci protège fortement les questions d’intérêts publics. Les journalistes s’exprimant dans le cadre d’un débat politique bénéficient d’une protection particulière. Tel n’est manifestement pas le cas ici étant donné que l’auteur ne fait partie d’aucun organe de presse, n’a pas de mandat public et il ne traite que d’éléments de la personnalité d’une journaliste, ne relevant donc absolument pas du débat politique.
Marie Desaules, Naomie Victoire Jade Dieudonné, Debora Richoz-Martella
Art. 179septies CP, Art. 180 CP
Concours. Dans cet arrêt, le TF répond pour la première fois à la question du concours entre les infractions de menace et d’utilisation abusive d’une installation de communication. Le tribunal note que les normes répriment des comportements différents, en protégeant des biens juridiques distincts. In casu, le potentiel de nuisances exigé par 179septies n’a pas été épuisé par les quelques menaces parmi la pléthore de messages envoyés. De ce fait, il retient le concours idéal parfait. Il n’exclut cependant pas que l’utilisation abusive de télécommunication puisse être absorbée par l’infraction de menace dans certains autres cas. Néanmoins, dans ces situations-là, un concours réel doit être retenu avec l’ensemble des communications abusives non menaçantes.
Marie Desaules, Naomie Victoire Jade Dieudonné, Debora Richoz-Martella
Art. 22 CP, Art. 122 CP, Art. 128 CP
Concours ; tentative de lésions corporelles graves ; omission de prêter secours. Un concours réel entre la tentative de lésions corporelles graves et l’omission de prêter secours est possible uniquement si, en s’abstenant de prêter secours, l’auteur a créé un risque de résultat plus grave que ce qu’il avait initialement accepté. Dans les autres cas, la volonté de causer des lésions corporelles graves inclut également la volonté de ne pas porter secours et un concours réel n’est pas possible.
Marie Desaules, Naomie Victoire Jade Dieudonné, Debora Richoz-Martella
Art. 146 CP
Crédits COVID-19 ; escroquerie. L’obtention de « crédits COVID-19 » grâce à la simple transmission de fausses informations constitue une escroquerie au sens de l’art. 146 CP. L’astuce est donnée dans ce cas précis car, compte tenu des particularités de la situation d’urgence et de l’aide immédiate que devaient apporter ces crédits, la vérification des formulaires de demande de crédits par les banques n’était pas prévue, ni même exigée. Il s’agissait en fait d’un prêt sur parole.
Marie Desaules, Naomie Victoire Jade Dieudonné, Debora Richoz-Martella
Art. 146 CPC, Art. 147 CPC
Commandes en ligne ; distinction entre escroquerie et utilisation frauduleuse d’un ordinateur. La personne qui commande en ligne, sur facture et sous son véritable nom, des marchandises sans intention de les payer, se rend généralement coupable d’escroquerie (art. 146 CP) et non d’utilisation frauduleuse d’un ordinateur (art. 147 CP). La simulation de la volonté de payer est en principe considérée comme astucieuse au sens de l’art. 146 CP, car elle concerne un fait interne qui, de par sa nature, ne peut pas être directement vérifié par le cocontractant. Cependant, un particulier qui achète un produit coûteux sans intention de payer ne se rend pas nécessairement coupable d’escroquerie si le vendeur n’a pas pris des précautions de base, comme vérifier sa solvabilité ou exiger un paiement par carte de crédit ou un paiement anticipé. Cela ne s’applique pas aux transactions courantes, qui restent protégées par l’infraction d’escroquerie, car on estime que ces vérifications seraient disproportionnées. À l’inverse, remplit les éléments constitutifs de l’infraction d’utilisation frauduleuse d’un ordinateur au sens de l’art. 147 al. 1 CP, celui qui passe une commande en ligne sous un faux nom et qui paie avec une carte de crédit qui ne lui appartient pas et qu’il n’est pas autorisé à utiliser.
Marie Desaules, Naomie Victoire Jade Dieudonné, Debora Richoz-Martella
Art. 19 al. 2 let. a LStup
Quantités additionnées. Lorsqu’on analyse la circonstance aggravante de 19 al. 2 let. a LStup, il faut toujours additionner les quantités, indépendamment du fait qu’elles proviennent de transactions distinctes ou non. Le cas grave de l’al. 2 est applicable notamment lorsque l’auteur ne peut ignorer ou sait que son action met en danger, directement ou indirectement, la santé de nombreuses personnes. La jurisprudence a fixé les seuils à partir desquels il y a un risque de dépendance pour 20 personnes (soit un risque pour « la santé de nombreuses personnes »). La notion de quantité a été supprimée de la loi. Nonobstant, elle reste l’élément principal de l’appréciation de l’aggravante. A cet égard, il importe peu que l’introduction de la substance se fasse en plusieurs étapes ou en une fois, puisque la quantité introduite au bout du compte est la même et l’auteur doit se rendre compte après un certain nombre de fois du danger qu’il fait courir à la population. Le but de la loi est de réprimer plus sévèrement les personnes qui profitent du marché des stupéfiants que ceux qui le subissent (soit les marchands non toxicodépendants qui tirent du profit sans aucun regard pour les risques que ce marché noir fait peser sur la santé des clients). Si la loi a supprimé la notion de quantité, c’est dans le but d’élargir le champ d’application et non pas de le restreindre, notamment pour prendre en compte des risques existants déjà en deçà des seuils jurisprudentiels tels que l’overdose. Ainsi, il faut additionner les quantités de substances illicites provenant d’entrées fractionnées dans le calcul des seuils de l’art. 19 al. 2 let. a LStup.
Marie Desaules, Naomie Victoire Jade Dieudonné, Debora Richoz-Martella
Art. 20 al. 1 let. e LStup, Art. 11 al. 1 LStup
Assistance au suicide, personne en bonne santé, punissabilité. Le TF avait précédemment jugé, dans cette même affaire, que la remise du pentobarbital de sodium (Natrium Pentobarbital, NAP) à une personne en bonne santé,capable de discernement et désireuse de mourir, n’était pas punissable en vertu des art. 26 et 86 LPTh, inapplicables en vertu du principe de la lex specialis car la réglementation moins stricte de cette loi en matière pénale doit céder le pas à celle de la LStup (TF 6B_646/2020). L’arrêt dont il est question ici traite justement de la punissabilité de ce comportement par les art. 20 al. 1 let. e LStup selon le motif justificatif de l’art. 11 LStup. Après un rappel de la législation pénale applicable au domaine de l’assistance au suicide, le TF analyse l’affaire eu égard au but de la loi. Les objectifs de la LStup sont : la lutte contre les addictions, d’une part, et, d’autre part, la réglementation de la mise à disposition des stupéfiants aux fins médicales et scientifiques. Or, l’affaire dont il est question ne rentre dans aucune de ces missions. La loi indique que la remise par un médecin d’une substance autorisée est licite « dans la mesure admise par la science » (art. 11 al. 1 LStup). Selon la jurisprudence, il s’agit de regarder si le médecin pouvait, après un examen médical, conclure qu’il était admissible de prescrire ce médicament. Dans les directives médico-éthiques de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) sur .la prise en charge des patientes et patients en fin de vie, version du 25 novembre 2004 et adaptées en janvier 2013, l’assistance au suicide était réservée au patient malade, en fin de vie, dont la maladie cause des souffrances insupportables. Les nouvelles directives (Directives de l’ASSM, Attitude face à la fin de vie et à la mort, mai 2018) n’exigent plus que le patient soit en fin de vie mais qu’il ait des souffrances jugées insupportables que le médecin puisse objectiver dans un diagnostic et que son désir de mourir soit mûrement réfléchi et qu’il ne ressorte pas d’un trouble psychique que l’on peut traiter. De plus, ce désir doit être vérifié par au minimum deux entretiens espacés d’au moins deux semaines. Le cas d’espèce ne peut pas ressortir de cette réglementation dès lors que la patiente est en bonne santé. Sur ce point, la Fédération des médecins de Suisse (FMH, Foederatio Medicorum Helveticorum) a donné son opinion : l’assistance au suicide de personnes en bonne santé ne constitue pas une activité médicale. Le TF confirme la position de la Cour cantonale en tant que la LStup ne vise pas à s’appliquer aux cas de prescriptions de substances létales par un médecin à une personne en bonne santé, question qu’il exclut du champ de la « science » au sens de l’art. 11 al. 1 LStup mais relevant de la morale et de l’éthique. Il rappelle toutefois que la prescription du pentobarbital de sodium en quantité nécessaire permet au patient d’atteindre la mort de manière paisible. Ce faisant, il confirme que la jurisprudence ainsi que les bases légales en matière de stupéfiants restent bien applicables puisque cet acte seul relève d’une démarche reconnue comme admissible sur le plan « des sciences médicales et pharmaceutiques ». Un avis contraire serait dangereux en ce qu’il permettrait d’outre-passer les exigences sur la prescription, la sécurité publique et la protection de la santé et de soustraire tous ces actes aux poursuites pénales. Ce nonobstant, selon le principe nulla poena sine lege, une sanction ne peut être prononcée que contre un comportement spécialement réprimé par une base légale suffisante. Or, tel n’est pas le cas des directives de l’ASSM. Cette interprétation stricte est appuyée par la volonté du législateur qui avait expressément renoncé à renvoyer aux règles de déontologie médicale, scientifique et professionnelle et par le fait que les directives n’ont aucune légitimité démocratique. Ainsi donc, les directives ne constituent pas une base légale suffisante au sens de l’art. 1 CP pour réprimer pénalement le seul fait qu’un médecin prescrive du PAN à une personne en bonne santé, capable de discernement, voulant mettre fin à ses jours. Ce comportement n’est pas réprimé par l’art. 20 al. 1 let. e LStup, dès lors que le médecin a bien prescrit le PAN dans une mesure admise par la science au sens de l’art. 11 al. 1 LStup. Une interprétation plus extensive de la loi ne doit pas être faite afin de respecter la séparation des pouvoirs et au vu de la sensibilité de la thématique et des débats sur le sujet. Le TF conclut néanmoins que l’absence de répression pénale n’autorise pas le médecin à prescrire du PAN à toute personne en bonne santé souhaitant mourir sans engager sa responsabilité professionnelle selon le droit civil ou administratif.
Marie Desaules, Naomie Victoire Jade Dieudonné, Debora Richoz-Martella