Droit des migrations

Art. 25 Règlement (CE) n° 810/2009

Cet arrêt fait suite à une question adressée à la Cour par la Belgique après le rejet par les autorités belges de la demande de visa humanitaire d’une famille syrienne visant à pouvoir ensuite déposer une demande d’asile en Belgique. Selon les autorités belges, suivies par la CJUE, la famille avait pour objectif de déposer des demandes d’asile et donc de séjourner pour plus de 90 jours et ne rentrait par conséquent pas dans le champ d’application du code des visas. Au contraire, dans la mesure où il n’existe pas de texte communautaire relatif à l’octroi de visa humanitaire pour un séjour plus long que 90 jours, seul le droit national est applicable. Dans cet arrêt, la Cour a rejeté l’opinion de l’avocat général Paolo Mengozzi selon lequel le code des visas doit s’appliquer « si, eu égard aux circonstances de l’espèce, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le refus de procéder à la délivrance de ce document conduira à la conséquence directe d’exposer ce ressortissant à subir des traitements [inhumains ou dégradants] prohibés par l’article 4 de la charte des droits fondamentaux, en le privant d’une voie légale pour exercer son droit de demander une protection internationale dans cet État membre ».

 

Art. 3, 8 et 13 CEDH

žCet arrêt concerne un ressortissant turc ayant déposé une demande d’asile en Grèce en 2002 et dans l’attente d’une décision formelle sur son recours contre le refus d’octroi de l’asile depuis cette année-là. La Cour conclut à une violation de l’art. 8 CEDH en raison de l’absence de procédure d’examen rapide de la demande du requérant qu’elle examine comme une violation de l’obligation positive de la Grèce de protéger le droit à la vie privée de l’intéressé. Une violation de l’art. 3 en lien avec l’art. 13 CEDH est également reconnue en raison du risque persistant de renvoi inopiné en Turquie alors même qu’il existe des indices de risque de traitements contraires à l’art. 3 dans ce pays.

Art. 8 CEDH

Il est question dans cet arrêt de la prise en compte du bien de l’enfant dans l’examen de l’octroi du regroupement familial. En l’occurrence, la Suisse a refusé d’accorder le regroupement familial en faveur du fils âgé de 15 ans d’un ressortissant d’origine égyptienne marié avec une Suissesse et naturalisé. Le fils avait bénéficié d’un premier regroupement familial avant d’être renvoyé en Egypte par son père en raison de problèmes relationnels avec la belle-mère et de difficultés scolaires. Pour la Cour, la Suisse a certes effectué une pesée d’intérêts entre ceux de la famille et l’intérêt public à contrôler la migration – en prenant en compte le fait que l’enfant avait passé la majeure partie de sa vie en Egypte et y bénéficiait de plus d’attaches – mais elle n’a pas suffisamment pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant. La violation de l’art. 8 est donc reconnue, de même que le non-respect des obligations découlant de la Convention sur les droits de l’enfant.

Art. 3 et 5 CEDH

Cet arrêt concerne le cas de deux ressortissants du Bangladesh ayant déposé une demande d’asile dans la zone de transit entre la Serbie et la Hongrie. Suite au rejet de leur demande, ces deux personnes sont expulsées vers la Serbie. La Cour reconnaît une violation de l’art. 3 CEDH en raison du déroulement de la procédure ayant mené au renvoi vers la Serbie (absence de traducteur, informations données par écrit alors que les requérants ne savaient pas lire, charge excessive en matière de preuve). Elle reconnaît également une violation de l’art. 5, par. 1 CEDH en raison du maintien des intéressés dans la zone de transit durant plus de trois semaines sans que l’on puisse considérer qu’ils avaient volontairement choisi de rester dans celle-ci.

Art. 3 et 13 CEDH ; 4 Protocole 4 CEDH

Ce cas concerne plusieurs ressortissants tunisiens dont le bateau a été arraisonné par les garde-côtes italiens alors qu’ils tentaient de rejoindre ce pays. Ils sont ensuite amenés dans un centre de Lampedusa puis transférés sur deux navires dans le port de Palerme avant d’être renvoyés en Tunisie par avion. Par rapport aux expulsions collectives, la Cour précise que l’art. 4 Protocole 4 CEDH n’exige pas dans tous les cas un entretien individuel mais que ses exigences peuvent être satisfaites lorsque chaque personne a réellement et effectivement la possibilité de s’opposer à son expulsion et que ses arguments sont examinés de manière adéquate par l’Etat en cause. En l’espèce, la Cour estime que tel a été le cas puisque les recourants ont été identifiés à deux reprises, que leur nationalité a été établie et qu’ils ont eu la possibilité de développer des arguments s’opposant à leur renvoi. Les juges rejettent également la violation de l’art. 13 CEDH en lien avec l’art. 4 Protocole 4 CEDH ainsi que la violation de l’art. 3 CEDH, invoqué en raison des conditions de rétention avant le renvoi.

Art. 3 CEDH

Dans cet arrêt, la Cour analyse le recours d’un requérant d’asile érythréen dont la demande a été rejetée par la Suisse en raison du manque de crédibilité des éléments allégués. Selon le recourant, le renvoyer en Erythrée constituerait une violation de l’art. 3 CEDH. La Cour rejette cette analyse en arguant que la situation en matière de droit de l’homme en Erythrée ainsi que sa situation personnelle ne permettent pas de retenir l’existence d’un risque réel de subir des traitements contraires à l’art. 3 CEDH. Cet arrêt est intéressant car la CourEDH semble indirectement remettre en cause l’approche retenue par le Tribunal administratif fédéral suisse depuis le début de l’année 2017 s’agissant des déserteurs et personnes fuyant la conscription. En effet, elle reconnaît que les mauvais traitements subis par ces personnes sont largement rapportés et que l’effet de la signature d’une « lettre de regret » est contesté.

Art. 3 et 8 CEDH

Cette affaire concerne un ressortissant géorgien résidant en Belgique dont la situation personnelle est marquée par plusieurs condamnations pénales et de graves problèmes de santé. Suite au rejet de sa demande d’asile, l’intéressé, dont la famille a fini par être régularisée, a lui-même demandé à plusieurs reprises sa régularisation. Dans cet arrêt, la Cour précise la notion d’« autres cas très exceptionnels » dans lesquels des considérations humanitaires peuvent s’opposer à un renvoi (notion mentionnée dans l’arrêt D. c. Royaume-Uni du 2 mai 1997, requête n° 30240/96). Selon la Cour, il s’agit de cas concernant « une personne gravement malade dans lesquels il y a des motifs sérieux de croire que cette personne, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, ferait face, en raison de l’absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou du défaut d’accès à ceux-ci, à un risque réel d’être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie ». L’analyse se fait au cas par cas en comparant l’état de santé avant le renvoi et celui qu’aurait la personne suite au renvoi dans son Etat d’origine et en vérifiant la suffisance, l’adéquation et l’accessibilité effective des soins dans ce pays.

Art. 2 et 3 CEDH

Cette affaire concerne un ressortissant syrien arrivé en Russie au bénéfice d’un visa puis condamné pour être resté dans le pays au-delà de la validité de celui-ci. En raison de cette condamnation, son expulsion vers la Syrie est prononcée. Une demande d’asile temporaire est ensuite rejetée par la Russie qui estime que la situation en Syrie n’en justifie pas l’octroi. Pour la CourEDH, une expulsion en Syrie entrainerait une violation des art. 2 et 3 CEDH en raison des conditions humanitaires et sécuritaires ainsi que de la situation de violence généralisée dans le pays.

Art. 8 CEDH

La Cour se penche dans cet arrêt sur le recours d’un ressortissant macédonien, titulaire d’une autorisation d’établissement en Suisse qui voit celle-ci lui être retirée suite à une condamnation à cinq ans de prison pour un meurtre par dol éventuel et des infractions graves à la loi sur la circulation routière. La Cour reconnaît une ingérence de la Suisse dans le droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé ainsi que le but légitime de celle-ci. La question qui se pose est donc celle de la nécessité dans une société démocratique. Après avoir effectuée une pesée d’intérêts prenant en compte notamment la durée de vie en Suisse, les liens du recourant avec la Suisse et la Macédoine, les possibilités de réintégration en Macédoine de la femme et des enfants de celui-ci ainsi que leur droit à poursuivre leur séjour en Suisse, la Cour arrive à la conclusion que l’expulsion et l’interdiction d’entrée n’ont pas empêché la vie familiale mais l’ont déplacé en Macédoine. Par conséquent, la Suisse n’a pas violé l’art. 8 CEDH dans cette affaire.

Art. 3 CEDH

žDans cet arrêt la CourEDH traite le recours d’un ressortissant sri-lankais renvoyé par la Suisse dans son pays suite au rejet de sa demande d’asile. A son retour, il est emprisonné et torturé. Ayant appris la situation, le SEM rapatrie la famille puis octroie un visa humanitaire et finalement l’asile à l’intéressé lorsque celui-ci est libéré. Attaquée pour violation de l’art. 3 CEDH, la Suisse estime que l’intéressé ne peut plus se prévaloir de sa qualité de victime en raison du fait que des mesures ont été prises en sa faveur. La Cour est d’avis que ces mesures équivalent bien à une reconnaissance de la violation de l’art. 3 CEDH mais que l’absence de réparation suffisante fait que l’intéressé conserve tout de même sa qualité de victime. Une violation de l’art. 3 est également formellement reconnue par la Cour.

Art. 3 et 5 CEDH

Cet arrêt traite le cas de quatre requérants d’asile qui, arrivés à l’aéroport de Moscou, se voient refuser le droit d’entrer sur le territoire russe et retenus dans la zone internationale de transit dudit aéroport. Ils y passent entre cinq et vingt-deux mois durant lesquels ils ne disposent pas de douches, doivent se nourrir de rations du HCR russe et dormir sur des matelas à même le sol de la zone d’embarquement. La Cour analyse ce traitement comme une restriction à la liberté acceptable que dans la mesure où il est accompagné « de garanties adéquates pour les personnes qui en font l’objet et ne se prolonge pas de manière excessive ». En l’occurrence, les juges estiment que leur rétention doit être considérée comme une privation de liberté de facto. De plus, elle reconnaît que celle-ci est dépourvue de base légale en droit russe. La Cour reconnaît également une violation de l’art. 3 CEDH en raison de la souffrance psychique découlant de cette rétention prolongée et des conditions de celle-ci.

Art. 2 et 3 CEDH

Ces arrêts sont tous deux relatifs à des ressortissants soudanais ayant vu leur demande d’asile respective rejetée par la Suisse en raison du manque de vraisemblance des éléments allégués et qui font face à une décision de renvoi. La question que se pose la Cour est de savoir si un renvoi au Soudan emporte violation des art. 2 et 3 CEDH examinés conjointement. A ce sujet, ces arrêts sont intéressants parce qu’ils ont permis à la Cour de poser une grille d’analyse précise du risque pour une personne d’être suspectée par les autorités soudanaises d’être un opposant politique. Parmi ces critères figurent notamment l’intérêt passé des autorités soudanaises pour ces personnes, leur appartenance, au Soudan ou dans leur pays de résidence, à une organisation d’opposition ou encore leur lien avec des membres de l’opposition. Après avoir reconnu dans les deux cas que les circonstances invoquées pour justifier la fuite manquent de vraisemblance, la Cour arrive à un résultat différent dans l’analyse du risque. La différence se fait sur le fait que N.A. ne possédait pas de lien avec des opposants alors que A.I. avait régulièrement côtoyé des dirigeants de l’opposition en Suisse.

ATF 143 I 21 (d)

2016-2017

Art. 8 CEDH ; 3, 9, 18 CDE ; 50 al. 1 let. b LEtr

Cet arrêt constitue la première reprise par le TF de l’arrêt de la CourEDH El Ghatet c. Suisse (cf. supra). Dans le cas soumis au Tribunal, il est question d’une ressortissante nigériane titulaire d’une autorisation de séjour puis d’établissement suite à son mariage avec un ressortissant suisse. Durant le mariage, cette personne a deux enfants avec un ressortissant nigérian, raison pour laquelle l’autorité compétente – estimant qu’elle a fait de fausses déclarations durant la procédure d’octroi – décide de lui retirer son autorisation d’établissement. L’applicabilité de l’art. 50 al. 1 let. b LEtr est rejetée par le TF dans la mesure où celui-ci ne prend en compte que les intérêts des enfants communs, à l’exclusion d’enfants hors mariage, tels que ceux en cause ici. L’analyse des juges fédéraux se concentre donc sur l’art. 8 CEDH. C’est dans le cadre de cette analyse que le TF fait référence à l’arrêt El Ghatet pour reconnaître l’intérêt de l’enfant à grandir en contact étroit avec ses deux parents comme un élément essentiel, parmi d’autres, de la pesée d’intérêts à effectuer. Appliqué au cas d’espèce, ce principe ne permet toutefois pas au TF de reconnaître un droit au regroupement familial inversé sur la base de l’art. 8 CEDH en raison de l’absence d’une relation particulièrement forte entre le père et les enfants.

Art. 3, 5 et 8 CEDH

Ce cas concerne une famille afghane composée du père, de la mère et de quatre enfants. Après l’échec d’une première tentative de renvoi, la mère est placée en détention à l’aéroport de Zurich en compagnie du plus jeune des enfants alors que le père est détenu dans le canton de Zoug et que les trois autres enfants sont placés dans un foyer. Au sujet de l’art. 3 CEDH, les juges fédéraux reconnaissent que la séparation a créé une situation de stress pour la famille et en particulier pour les trois enfants les plus âgés, situation renforcée par l’impossibilité de communiquer entre les membres de la famille. Cependant, ils estiment que le seuil de gravité de l’art. 3 CEDH n’est juste pas atteint. Le TF reconnaît par contre une violation de l’art. 8, le placement des enfants et leur traitement comme des MNA étant analysés comme une ingérence dans le droit à la vie familiale des recourants. Dans le cadre de la pesée des intérêts, les juges estiment que le bien de l’enfant doit prendre une grande place et que la proportionnalité ne peut être respectée que si la mesure est une ultima ratio. En l’occurrence, le Tribunal reconnaît qu’il n’y a pas eu d’évaluation de la possibilité de prendre une autre mesure que l’internement des parents et le placement des enfants et que par conséquent la mesure prise ne peut pas être qualifiée d’ultima ratio. La violation de l’art. 8 est donc reconnue et la question de la violation de l’art. 5 CEDH laissée ouverte.

Art. 8 CEDH

Dans cet arrêt, les juges se posent la question de l’effectivité du mariage conclu entre une ressortissante helvète et un Sénégalais suite au dépôt par ce dernier d’une demande d’entrée en Suisse afin d’y vivre auprès de sa nouvelle épouse. Selon le Tribunal, l’art. 8 CEDH ne protège que le mariage « légal et non fictif », il implique ainsi l’existence d’une relation « étroite et effective ». Les juges dressent une liste d’indices servant à évaluer si un mariage est réel ou non : une grande différence d’âge ; des difficultés, voire une impossibilité des époux à communiquer entre eux ; une méconnaissance du cadre et des conditions de vie de l’autre époux ; un arrangement financier en vue du mariage ; une période courte entre la rencontre et le mariage et l’absence de vie commune avant le mariage ; ou encore, une procédure de renvoi en cours contre l’un des fiancés. Dans le cas présent, le Tribunal rejette le recours en mettant en cause la rapidité des préparatifs du mariage ainsi que le fait que les époux ne se connaissaient guère et n’avaient passé que peu de temps ensemble avant de se marier.

Art. 8 CEDH

Cet arrêt traite de la question du droit au regroupement familial d’une personne titulaire d’une carte de légitimation du DFAE sur la base de l’art. 8 CEDH. Selon la jurisprudence du TF, l’art. 8 n’est invocable qu’en présence d’un « droit de séjour durable » en Suisse, la question est donc de savoir si une carte de légitimation de type H permet de remplir cette exigence. Selon les juges, un tel titre de séjour offre un statut moins stable qu’une autre autorisation de droit des étrangers et même qu’une admission provisoire. Ainsi, le titulaire d’une telle autorisation ne peut se prévaloir ni d’une intégration professionnelle et sociale forte car son droit de séjour est soumis à la volonté de l’employeur de renouveler le contrat de travail, ni de l’impossibilité du retour dans le pays d’origine. Par conséquent, malgré un séjour de sept ans, le statut reste néanmoins précaire, ce d’autant plus que l’employeur, s’il souhaitait engager la personne de manière durable, pourrait obtenir pour elle une carte de légitimation offrant plus de droits.