Droit des personnes

ATF 150 III 49 (d)

2023-2024

Annulation d’une directive de l’APEA donnant des instructions aux parents. Les instructions données par l’APEA, au sens de l’art. 273 al. 2 CC, visent essentiellement à aménager le droit aux relations personnelles. Il ne s’agit pas d’un pouvoir général de l’autorité de protection. En l’absence de droit de visite réglementé, la personne titulaire de l’autorité parentale reste libre de s’organiser et de fournir à l’enfant les informations jugées utiles. En l’espèce, le TF admet le recours d’une mère contre une décision de l’APEA du canton de Bâle-Campagne, qui voulait informer son fils âgé de 10 ans sur les raisons de la détention de son père (graves délits sexuels), en vue de l’instauration d’un potentiel droit de visite. Cette intervention viole le principe de la proportionnalité (cf. Droz-Sauthier Gaëlle, Newsletter DroitMatrimonial.ch, mars 2024).

Qualité de recourir des parents nourriciers. La capacité des parents nourriciers à être parties à la procédure contre une décision de réintégration de l’enfant dans son foyer d’origine après le placement doit être niée (irrecevabilité du recours) lorsque l’enfant a déjà réintégré le foyer des parents biologiques sur mesures provisionnelles et que, dans le cadre de cette procédure, les parents nourriciers ont déclaré qu’ils ne s’opposaient pas au retour. La conséquence dans la procédure au fond est en effet qu’ils ne peuvent plus être considérés comme parties à la procédure, au sens de l’art. 450 al. 2 ch. 1 CC, puisque le but n’est désormais plus d’examiner si le retour est admissible, mais si un nouveau placement doit être ordonné. En revanche, si les parents nourriciers ont entièrement assuré la prise en charge de l’enfant durant plusieurs années, ils doivent être qualifiés de proches, au sens de l’art. 450 al. 2 ch. 2 CC, auxquels l’on reconnaît en principe la qualité formelle pour recourir.

Placement des enfants après le décès du parent gardien. En l’espèce, après le décès de leur mère, les enfants sont arrivées en Suisse pour vivre chez leur oncle maternel. Le père n’a jamais élevé les enfants et leur contact (par Skype) est rompu depuis plusieurs années. Même si lors de la procédure, le père s’est finalement déclaré d’accord avec l’accueil des enfants chez leur oncle, le risque de réclamer un déménagement chez lui et la sécurité juridique justifient une décision de placement. Par ailleurs, lorsque les contacts ont été interrompus pendant une longue période, il peut s’avérer opportun de fixer d’abord un droit de visite restreint. En l’espèce, les fillettes ont refusé tout contact avec leur père, rien ne laissant penser que cette volonté ne serait pas libre, et il convient de respecter les souhaits des enfants, vu toutes les circonstances du cas d’espèce.

Communication d’une expertise psychiatrique dans le cadre d’un PAFA et devoir de collaboration des autorités. L’art. 449c CC s’applique lors d’une procédure en cours. En dehors de cela, la communication est régie par les art. 451 et 453 CC, respectivement l’art. 317 CC pour la protection des mineurs, en cas de danger pour la vie ou l’intégrité ou de crimes ou graves délits. Les autorités sont dans ces cas tenues de collaborer, ce qui implique la possibilité d’échanger des informations, mais également de remettre des documents (y compris une expertise médicale). Cela étant, l’APEA est aussi tenue à un devoir de confidentialité, qui impose de procéder à une pesée des intérêts en présence. En l’espèce, une clinique exécutant le PAFA d’une adolescente se mettant régulièrement en danger demande à l’APEA d’avoir accès à l’expertise psychiatrique réalisée dans le cadre de la procédure de placement. L’adolescente concernée et ses parents sont opposés au plan de traitement mis en place par la clinique. Cependant, cela ne suffit pas à justifier un refus de transmission de l’expertise, qui contient des éléments de nature médicale importants pour la prise en charge de la patiente.

Mesure de protection de l’enfant. Injonction donnée au père de suivre des séances contre les violences domestiques. L’APEA est en droit d’imposer une thérapie familiale ou individuelle à l’encontre de la volonté des parents, en tant que mesure de protection de l’enfant, pour autant que la mesure soit nécessaire, appropriée et proportionnée, compte tenu de toutes les circonstances concrètes, non seulement sous l’angle juridique, mais aussi en fonction des aspects sociaux, médicaux et éducatifs de la situation et de la constellation familiale.

Droits procéduraux et capacité d’ester en justice de l’enfant. L’enfant, même dans sa minorité, impliqué·e dans une procédure doit être considéré·e comme capable d’ester en justice devant le TF en ce qui concerne la clarification de la question de cette capacité et peut également mandater un·e avocat·e pour représenter ses intérêts.

Enfant placée après sa naissance. Le TF rejette le recours d’une mère dont la fille, née prématurée, avait été placée provisoirement peu après sa naissance. Les autorités judiciaires vaudoises ont tenu compte des circonstances concrètes pour retenir que le placement était la seule solution possible. Le TF souligne qu’’il faut néanmoins permettre à la mère d’avoir des contacts personnels plus fréquents avec son enfant. Voir aussi TF 5A_105/2023 du 21 septembre 2023 (f).

Mesure de protection de l’enfant. Après avoir reçu un signalement en raison d’une situation familiale tendue et l’instabilité psychologique de la fille mineure, l’APEA du canton des Grisons place l’enfant – avec son consentement – durant six jours au service des enfants de l’Hôpital cantonal des Grisons. L’APEA ordonne par la suite une psychothérapie familiale ambulatoire, notamment. La mesure est validée par le TF, qui la juge appropriée et proportionnée.

Droits procéduraux du géniteur d’un fœtus avorté. Le géniteur d’un fœtus avorté n’a pas qualité pour recourir contre le classement de la procédure pénale dirigée contre la mère pour interruption de grossesse punissable. Il n’est pas titulaire du bien juridiquement protégé par la disposition pénale concernée et ne saurait non plus être considéré comme proche de la victime, puisque cette vie en devenir n’a jamais acquis une propre personnalité juridique.

Maintien d’un retrait du droit de déterminer le lieu de résidence. Rappel des conditions légales.

Changement de terminologie et incidence sur la jurisprudence. Depuis le 1er juillet 2014, la notion de « droit de garde » a été abandonnée au profit de celle du « droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant ». Ce changement de terminologie a seulement touché le titre marginal de l’art. 310 CC, mais n’affecte pas la jurisprudence et la doctrine antérieures, qui conservent donc toute leur pertinence.

Rappel des principes de procédure (not. en mesures provisionnelles).

Enlèvement international d’enfants de Serbie vers la Suisse par la mère, à l’issue de vacances. Rappel de la jurisprudence sur le risque grave pour l’enfant comme possible empêchement au retour. En l’occurrence, la situation des enfants en Serbie n’est pas mise en danger, dès lors que le père travaille et assure leur subsistance (malgré une dépendance au jeu), que les grands-parents paternels vivant dans des conditions aisées apportent leur soutien, que les enfants en âge scolaire ont déjà entretenu des contacts réguliers avec eux et ne s’opposent pas au retour, qu’ils ont vécu l’essentiel de leur vie en Serbie et qu’un traitement de difficultés de marché commencé en Suisse pourrait être continué en Serbie si nécessaire. La baisse du niveau de vie et le fait que la mère n’entende pas retourner en Serbie ne sont pas des éléments pertinents.

Seuil des mesures de protection de l’enfant. Rappel des conditions à l’institution d’une curatelle de protection de l’enfant. Les mesures protectrices mentionnées à l’art. 307 al. 3 CC représentent une intervention étatique de bas seuil. Elles n’entrent en ligne de compte qu’aussi longtemps que la mise en danger peut être qualifiée de plutôt faible. Lorsque l’intervenant×e assume un rôle actif dans l’éducation (conseils, appui dans la prise en charge, directives, etc.), il y a lieu de mettre cette personne en charge de la curatelle selon l’art. 308 CC. Le choix entre l’une et l’autre de ces mesures dépendra de l’intensité de la mise en danger, du niveau d’intervention attendu, mais aussi du degré de coopération qui peut être attendu des personnes concernées. L’autorité compétente dispose à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation.

Mesure prévention de protection de l’enfant. Rappel des conditions pour instituer une mesure de protection de l’enfant, du principe de proportionnalité et du pouvoir d’appréciation de l’autorité. La protection de l’enfant exige en outre une action prévoyante de la part de l’autorité. Celle-ci est tenue d’écarter le plus tôt possible la mise en danger du bien de l’enfant constatée, si besoin par des mesures préventives. Pour qu’une mesure puisse être prise, il n’est en effet pas nécessaire qu’un problème de santé se soit déjà manifesté chez l’enfant.

Défaut de compétence racione loci de l’APEA. Rappel des règles de compétence à raison du lien en matière de protection de l’enfant. L’autorité examine d’office sa compétence. Les règles de for étant impératives et l’acceptation d’un for non compétent n’étant en principe pas envisageable, une décision prise par une autorité incompétente doit être annulée d’office. L’autorité de recours peut toutefois y renoncer, à condition que le défaut de compétence n’ait pas été invoqué et que le dossier permette de rendre une décision sur le fond.

Mesures protectrices, audition d’enfant, garde des enfants. Rappel des critères à prendre en compte pour déterminer si la garde alternée correspond à l’intérêt supérieur de l’enfant. Poids particulier du parent qui a eu la garde de l’enfant durant la procédure. Rappel des principes en matière d’audition des enfants (art. 298 al. 1 CC) et leur capacité de discernement, en principe admise dès 11-13 ans. Un·e enfant capable de discernement est en droit de s’attendre à ce que la décision du tribunal respecte sa personnalité et soit étayée, en part. si elle s’écarte de sa volonté.

Capacité de postuler de l’avocat, choix du mineur concernant sa représentation dans une procédure en retour vis-à-vis d’un curateur et d’un mandataire privé. Demande en retour après un déplacement de Hong Kong jusqu’en Suisse d’un père avec l’enfant et refus de revenir ; retrait provisoire du droit de déterminer le lieu de résidence et procédure de retour pendante. L’enfant mandate un avocat. L’autorité cantonale refuse la capacité de postuler de l’avocat pour représenter l’enfant. Le TF rappelle que dans le contexte d’une procédure relative à un enlèvement d’enfant, la représentation indépendante de l’enfant s’impose en raison des situations de conflit particulièrement aigües. L’autorité judiciaire doit (impérativement) nommer un représentant à l’enfant, qui le représente jusqu’à la fin de l’exécution du retour. Le représentant peut formuler des requêtes et déposer des recours, garantissant ainsi la participation de l’enfant qualité de partie. Le choix du curateur doit porter sur une personne expérimentée douée de plusieurs capacités (énumérées au consid. 6.2). Les mineurs capables de discernement peuvent en principe agir de manière indépendante ou par l’intermédiaire d’un représentant de leur choix en ce qui concerne les droits strictement personnels. Il est ainsi admis que, dans la cadre de la procédure de retour, l’enfant capable de discernement peut désigner lui-même son curateur. La possibilité de faire appel à un avocat de son choix, à côté du représentant officiel qui lui a été désigné, n’est retenue qu’à titre exceptionnel par la jurisprudence, dès lors que le curateur tend à assurer la réalisation de l’intérêt objectif de l’enfant. En l’espèce, l’autorité cantonale a considéré que plusieurs éléments donnaient à penser que le père de l’enfant avait été associé à la démarche de mandater un avocat, et qu’il y aurait donc un conflit d’intérêts interdit par la loi (art. 12 let. c LLCA). Dès lors que la jurisprudence admet (exceptionnellement) la désignation d’un mandataire privé en parallèle du curateur désigné, le TF estime que l’éventuel conflit d’intérêts n’est pas décisif dans cette affaire, mais bien la question de la capacité de discernement, qui n’a donc pas été examinée. Renvoi de la cause à l’instance cantonale.

Alimentation forcée d’une jeune adulte anorexique. Une jeune majeure souffrant d’anorexie depuis très jeune s’oppose à un traitement sans consentement (alimentation forcée) en établissement. Examen du principe de la proportionnalité, en particulier de l’adéquation et de la nécessité de la mesure. En l’espèce, la mesure est nécessaire pour empêcher la mort de l’intéressée et apparaît comme acceptable par rapport aux risques d’effets secondaires (infection, perforation, dislocation de la sonde, décompensation psychique).

Confirmation de l’ATF 146 III 313 sur la vaccination. L’autonomie parentale est respectée lorsque des divergences de vues au sujet de questions de santé importantes mettent potentiellement le bien de l’enfant en danger et que l’autorité doit par conséquent intervenir, même si le danger ne s’est pas encore concrétisé. La vaccination de l’enfant est une décision à prendre conjointement, qui n’est pas une décision courante ou urgente selon l’art. 301 al. 1bis ch. 1 CC. En l’espèce, confirmation de l’injonction de vacciner, préconisée par l’OFSP et pas contre-indiquée pour l’enfant, adressée à la mère.

Rappel détaillé des règles applicables pour l’audition de l’enfant et l’instruction d’une décision de placement.

Changement de curateur de protection de l’enfant. La demande de libération de mandat d’un curateur de protection de l’enfant se fonde par analogie sur les dispositions de protection de l’adulte (art. 422 et 423 CC). Le refus de changement du curateur désigné peut faire l’objet d’un recours au TF. En l’espèce, la curatrice a demandé sa libération au motif que le père l’avait lui-même requis et que la collaboration avec lui serait difficile, en particulier sur le sujet de la prise en charge médicale et des reproches de partialité, ce qui serait contraire au bien de l’enfant. Le TF retient que ces éléments ne constituent pas un juste motif de libération en l’espèce.

Composition de l’APEA pour rendre une décision de mesures provisionnelles relatives au retrait du droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant et le placer. Remise en cause d’une réglementation cantonale jurassienne (art. 12 LOPEA/JU) – et par conséquent de toutes les autres réglementations des cantons latins, sauf Valais et Tessin – attribuant à un membre unique de l’APEA la compétence de prononcer de telles décisions de mesures provisionnelles. Or, selon le droit fédéral, l’autorité de protection prend en principe ses décisions en siégeant à trois membres au moins, sauf exception. Selon le TF, les interprétations de la loi appellent la compétence d’une autorité collégiale dans un tel cas, dès lors que le retrait du droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant et son placement s’inscrivent dans le domaine central du droit de la protection de l’enfant et que, même prononcées à titre provisionnel, de telles mesures portent généralement une atteinte grave aux droits fondamentaux de l’enfant, avec effet également pour les parents voire des tiers. Il faut donc accorder une importance particulière aux principes d’interdisciplinarité et de collégialité.

Récusation APEA. La récusation des membres de l’APEA n’est pas réglée par le Code civil. En l’espèce, récusation demandée d’un membre de l’APEA devant se prononcer sur une limitation de l’autorité parentale au motif que celui-ci avait par le passé rejeté le recours de la recourante contre une décision de PAFA. Rappel de la jurisprudence relative à l’apparence de partialité lorsqu’une personne a déjà eu à connaître une affaire ; elle s’applique également à l’APEA, qui est un tribunal au sens de la CEDH et de la Constitution. Grief admis en l’espèce.

En cas de décès d’un parent détenteur de l’autorité parentale conjointe, l’autorité parentale revient au survivant, y compris le droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant. Afin de protéger le développement de l’enfant, l’autorité de protection de l’enfant, en dernier recours, retire l’enfant au parent et le place de façon appropriée. Pour déterminer si une mesure doit être prise, il est sans pertinence que les parents aient commis ou non une faute. En l’espèce, les seuls reproches adressés au père survivant figurent dans le testament de la mère décédée où elle allègue également une éducation stricte dans la famille paternelle. Selon le TF, il n’apparaît pas arbitraire de retenir que ces reproches sont insuffisants à établir que le bien-être de l’enfant serait compromis chez son père.

Changement de curateur. Le curateur ne saurait conditionner les relations personnelles à des consultations individuelles régulières avec le parent. Il s’agit du pouvoir de décision de l’APEA. Seule une personne physique, disposant des compétences personnelles et professionnelles et du temps nécessaire, peut être désignée à la fonction de curateur. Sous sa propre responsabilité, le curateur peut ensuite déléguer des tâches concrètes, qui ne sont pas directement liées à la prise en charge de l’enfant, à un tiers (par ex. amener l’enfant quelque part, être présent lors de la remise ou de la durée des visites).

Enlèvement international d’enfant et procédure de retour. Enfants vivant auprès de leur mère en Espagne et retenus en Suisse par le père à l’issue de vacances. Enlèvement illicite établi. Rappel des motifs de refus du retour et du cadre de l’opposition des enfants. En l’espèce, le premier enfant, âgé de 14 ans, n’a pas pu être entendu en raison de son handicap. Le second enfant, âgé de presque 13 ans, souffre d’un déficit de développement et a été longuement manipulé par le père, de sorte qu’il est retenu un manque de maturité nécessaire pour se former une volonté autonome et que son opposition ne peut être suivie telle qu’elle. Le TF s’interroge néanmoins sur le traumatisme (avec risque suicidaire) que pourrait engendrer un retour, mais il n’est pas possible de faire un pronostic sérieux à cet égard. Le bien des enfants serait de toute manière mis en danger en restant en Suisse : le père ne fait pas appel aux aides nécessaires pour surmonter les handicaps, le placement devrait être envisagé. Voir aussi : TF 5A_437/2021 du 8 septembre 2021 (d) ; TF 5A_954/2021 du 3 janvier 2022 (f).

Violation du devoir d’assistance ou d’éducation. L’infraction suppose un devoir d’assistance, soit de protection ou un devoir d’éducation, en assurant le développement sur le plan corporel, spirituel et psychique, du mineur. Cette obligation peut découler de la loi, d’une décision ou d’un contrait, voire d’une situation de fait. Le comportement délictueux peut consister en une action ou une omission.