Droit pénal général

ATF 148 IV 398 (d)

2022-2023

Conditions de l’internement. Pour qu’un internement au sens de l’art. 64 CP puisse être ordonné, l’auteur doit notamment avoir « porté ou voulu porter gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui ». Pour évaluer cet aspect, il est nécessaire de se baser sur un critère objectif. Ainsi, lorsqu’en raison de l’acte commis, il faut s’attendre, selon l’expérience générale de la vie, à un traumatisme de la victime, cette condition est donnée. D’après le TF, l’infraction au sens de l’art. 2 al. 1 de l’ancienne Loi fédérale interdisant les groupes « Al-Qaïda » et « Etat islamique » et les organisations apparentées ne remplissait pas cette condition. Pour lui, cette disposition pénale avait pour effet de déplacer la punissabilité en amont, en ce sens qu’elle rendait déjà punissable le fait de soutenir et d’encourager les organisations terroristes. Faute d’atteinte grave aux biens juridiques énumérés à l’art. 64 al. 1 CP (intégrité physique, psychique ou sexuelle), de tels comportements n’atteignaient donc pas le seuil de gravité requis pour le prononcé d’un internement au sens de l’art. 64 CP. Le TF s’est donc rallié à l’avis de la doctrine, laquelle n’est pas favorable à l’idée de pouvoir ordonner un internement en cas d’infractions réprimant des actes abstraitement dangereux ou des actes préparatoires qui précèdent la violation d’un bien juridique individuel.

Expulsion ; infractions mixtes. L’art. 3 al. 2 DPMin règle le cas particulier des infractions mixtes, soit le cas où plusieurs infractions commises avant et après l’âge de 18 ans doivent être jugées en même temps. Le prévenu peut alors se voir infliger une mesure de protection au sens des art. 12 ss DPMin ou des art. 59 ss CP. Dans ce contexte, rien n’indique que le législateur ait voulu exclure l’expulsion (obligatoire ou non) pour les infractions commises après l’âge de 18 ans. Le fait que les dispositions relatives à l’expulsion ne figurent pas à l’art. 1 al. 2 DPMin n’y change rien. Partant, si les conditions de l’expulsion (obligatoire ou non) sont données pour l’infraction commise après l’âge de 18 ans, une expulsion doit/peut être ordonnée.

Expulsion ; inscription SIS. L’inscription d’une mesure d’expulsion dans le registre SIS ne constitue pas une sanction, mais ressort du droit d’exécution. Ainsi, les principes applicables au prononcé de l’expulsion (non-rétroactivité de la loi pénale, lex mitior) ne sont pas transposables pour l’inscription. L’inscription est analysée en fonction du droit en vigueur au moment du prononcé de l’expulsion. Ainsi, dans ce cas, le Royaume-Uni n’étant plus un Etat Schengen lorsque l’expulsion a été déclarée, la dénomination de « ressortissant d’un Etat tiers » au sens de l’art. 3 ch. 4 du Règlement (UE) 2018/1861 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen (SIS) sont corrects.

TF 6B_627/2022 (f)

2022-2023

Renvoi d’étrangers vers des Etats tiers. Dans le cas d’espèce, le recourant est un ressortissant tibétain arrivé en Suisse à l’âge de douze ans avec sa famille et au bénéfice d’un permis F. Il a été condamné pour plusieurs infractions pénales et un prononcé d’expulsion a été délivré « vers un pays tiers, à l’exclusion de la République populaire de Chine » (art 66a CP). Le recourant conteste le prononcé de son expulsion. La jurisprudence du TAF ne permet pas le renvoi d’une personne d’ethnie tibétaine vers la République populaire de Chine. Cependant, dans une réponse à une interpellation en 2017, le Conseil fédéral avait indiqué qu’il était possible de renvoyer les requérants d’asile tibétains déboutés dans un « Etat tiers ». Dans cet arrêt, le TF a considéré que l’approche de la cour cantonale était arbitraire car il n’était pas possible de prononcer un renvoi dans un Etat tiers sans préciser lequel, surtout si l’étranger renvoyé n’a aucune attache avec un autre pays que son pays d’origine et la Suisse. De plus, pour que le renvoi puisse avoir lieu vers un Etat tiers, la personne expulsée doit avoir un droit de séjour dans l’Etat tiers en question (art. 83 al. 1 et 2 LEI).

Art. 8 CEDH

Expulsion d’un ressortissant nigérian dont l’épouse et les trois enfants sont des ressortissants suisses. Le requérant prétend que son expulsion en raison de sa condamnation pour trafic de stupéfiants viole son droit à la vie privée et familiale au sens de l’art. 8 CEDH. La Cour rappelle qu’elle admet depuis toujours que les autorités nationales se montrent intransigeantes face aux individus participant à la propagation des trafics de drogue. S’agissant de l’impact de l’expulsion sur les enfants mineurs du requérant, l’expulsion d’un parent étranger en raison d’une condamnation pénale concerne le délinquant avant tout ; la nature et la gravité des infractions fondant l’expulsion, ainsi que les antécédents de l’individu sont susceptibles d’avoir un poids déterminant dans la pesée globale des intérêts en jeu. En l’espèce, dans la mesure où les actes du requérant étaient particulièrement graves et qu’il est possible pour ses enfants de maintenir avec lui des liens étroits après son renvoi grâce aux moyens de communication modernes, une violation de l’art. 8 CEDH ne saurait être retenue.

Art. 3 CEDH, Art. 5 CEDH al. 1

Maintien de l’internement d’un homme présentant des risques de récidive et un comportement dangereux. En vertu de l’art. 5 par. 1 CEDH, un lien de causalité suffisant doit exister entre la condamnation initiale et la décision de maintien de l’internement. En l’espèce, un tel lien est donné dès lors que les juridictions suisses ont maintenu la détention pour empêcher l’intéressé de commettre d’autres infractions semblables à celles qui étaient à l’origine de sa condamnation, le risque de récidive et de dangerosité n’ayant pas diminué entre temps. Dans la mesure où elle se fonde effectivement sur une évaluation raisonnable et régulièrement/récemment mise à jour, cette décision est compatible avec l’art. 5 par. 1 CEDH. Quant au régime d’internement, le requérant s’est vu offrir un suivi médical cohérent et adapté à sa situation mais a refusé de s’y soumettre. S’il est vrai qu’une personne détenue n’est pas obligée d’accepter le traitement qui lui est proposé et que les autorités ne sauraient donc le lui imposer, il est néanmoins attendu de ces dernières qu’elles persistent à proposer un suivi thérapeutique adapté aux besoins de l’intéressé. In casu et en dépit du manque de coopération du détenu, les autorités ont mis en place un plan d’exécution de la sanction propre à lui offrir un suivi thérapeutique individualisé. Enfin, sous l’angle de l’art. 3 CEDH, il s’avère que l’internement en cause n’est pas incompressible, étant donné que le requérant a fait l’objet, à intervalles réguliers, de multiples évaluations de la part d’experts médicaux, qui toutes concluent à une absence d’évolution. Contrairement à ce que prétend le requérant, le refus de sa demande de libération conditionnelle en raison de sa dangerosité persistante ne constitue pas à elle seule une violation de l’art. 3 CEDH ; de même, en défendant que l’expertise médicale rendue à son propos nie toute perspective de libération future, le requérant oublie que le pronostic qu’elle contient est susceptible d’être modifié à l’avenir dans une nouvelle expertise.

ATF 145 IV 404 (d)

2019-2020

Art. 121 Cst. al. 3 let. a, Art. 66a CP al. 1 let. d

Expulsion obligatoire ; vol en lien avec une violation de domicile. A teneur de l’art. 66a al. 1 let. d CP, la personne étrangère condamnée pour vol en lien avec une violation de domicile doit être expulsée de Suisse. Le champ d’application de cette disposition ne couvre pas le simple vol à l’étalage avec violation d’une interdiction d’entrer dans un grand magasin. Cette conclusion se déduit non seulement du principe de proportionnalité mais plus encore d’une interprétation littérale du terme « effraction » présent à l’art. 121 al. 3 let. a Cst. Si l’« effraction » ne correspond certes pas à une infraction en droit pénal suisse (d’où le fait que l’art. 66a al. 1 let. d CP parle de « vol en lien avec une violation de domicile »), il n’en demeure pas moins que l’art. 66a al. 1 let. d CP doit être interprété de façon conforme à la Constitution. Il sied ainsi de tenir compte du fait qu’une « effraction » suppose, littéralement, de s’introduire dans un bâtiment avec une certaine violence, ce qui n’est pas le cas lorsqu’une personne commet un vol à l’étalage dans un magasin en violant par là même une interdiction d’y pénétrer. Le TF abandonne ici la posture qu’il avait précédemment adoptée en considérant que l’art. 121 al. 3 Cst. était par trop imprécis pour être susceptible d’application directe (ATF 139 I 16).

ATF 145 IV 455 (f)

2019-2020

Art. 8 CEDH al. 2, Art. 66a CP al. 2

Expulsion ; clause de rigueur. Une expulsion du territoire suisse est susceptible de placer la personne qui en fait l’objet dans une situation personnelle grave au sens de l’art. 66a al. 2 CP ou d’être disproportionnée sous l’angle de l’art. 8 par. 2 CEDH en fonction de l’état de santé de cette personne et des possibilités d’accès aux prestations de soins nécessaires dans l’Etat d’origine. Pour cette raison, lorsque l’intéressé fait valoir une maladie ou infirmité, la CourEDH exige qu’il soit tenu compte des éléments médicaux dans le cadre de l’examen de l’art. 8 par. 2 CEDH et eu égard au caractère provisoire ou définitif de l’interdiction du territoire (not. CourEDH, Hasanbasic c. Suisse, 11 juin 2013 [requête n° 52166/09], § 54). Selon la jurisprudence rendue en droit des personnes étrangères, il revient à l’autorité d’examiner la proportionnalité de l’expulsion lorsqu’elle la prononce, étant admis que cela ne dispense pas l’autorité chargée de l’exécution du renvoi de vérifier que les conditions propres au retour de la personne concernée sont toujours remplies sur le plan médical. Si l’on transpose ces principes dans le domaine pénal, la juridiction prononçant l’expulsion doit dès lors examiner la proportionnalité de cette dernière au regard de l’état de santé de l’auteur. La question ne saurait donc être simplement renvoyée à l’autorité d’exécution. L’exécution prioritaire de la privation de liberté (art. 66c al. 2 CP) peut néanmoins avoir pour conséquence l’écoulement d’un certain laps de temps entre le prononcé de l’expulsion et son exécution, de sorte que l’état de santé de l’individu pourrait évoluer. C’est pourquoi le tribunal ordonnant l’expulsion doit examiner si l’état de santé de l’intéressé est susceptible de s’améliorer, auquel cas il doit renoncer à l’expulsion si elle apparaît disproportionnée en vertu de l’art. 66a al 2. CP et/ou de l’art. 8 par. 2 CEDH. A l’inverse, lorsque le problème de santé s’avère curable ou susceptible d’être stabilisé, le tribunal, qui doit fonder ici sa décision sur des éléments concrets tels que la perspective d’une opération propre à maîtriser de manière suffisante le problème de santé en question, peut conclure à la proportionnalité de l’expulsion.

ATF 146 IV 105 (d)

2019-2020

Art. 8 CEDH, Art. 66a CP al. 2

Expulsion ; clause de rigueur ; situation particulière des personnes étrangères nées ou ayant grandi en Suisse. Le TF rappelle premièrement qu’il n’est pas, dans la loi, de règles strictes relatives à l’âge de la personne ni de temps de présence minimal en Suisse qui conduiraient à l’acceptation automatique d’un cas de rigueur. L’existence de ce dernier doit toujours être évaluée en l’espèce sur la base des critères usuels en matière d’intégration. Pour cette raison, la situation particulière des personnes étrangères nées ou ayant grandi en Suisse n’est prise en compte que dans la mesure où elle s’assortit d’un long séjour et d’une bonne intégration. Ces deux derniers critères constituent de sérieux indices d’un intérêt personnel à rester en Suisse et donc d’un cas de rigueur, ledit intérêt devant être considéré d’autant plus important dans le cadre de la pesée des intérêts subséquente que le séjour en Suisse est long.