Droit du travail

Directive 2000/78/CE ; protection de la personnalité ; discrimination ; l’interdiction de porter toute forme visible d’expression des convictions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail peut être justifiée par le besoin de l’employeur de se présenter de manière neutre à l’égard des clients ou de prévenir des conflits sociaux. Toutefois, cette justification doit répondre à un besoin véritable de l’employeur et, dans le cadre de la conciliation des droits et intérêts en cause, les juridictions nationales peuvent tenir compte du contexte propre à leur Etat membre et notamment des dispositions nationales plus favorables en ce qui concerne la protection de la liberté de religion.

Protection de la personnalité, procédure ; protection des données ; le TF n’est pas entré en matière sur le recours d’un candidat, écarté de son emploi en raison d’informations contenues dans une base de données, contre l’arrêt cantonal ayant fait interdiction à la banque recruteuse de lui fournir des informations provenant de cette base de données, des tiers risquant d’être identifiés.

ATF 146 III 14 (d)

2019-2020

Art. 60 CO, Art. 127 CO

Protection de la personnalité ; procédure ; responsabilité de l’employeur ; prescription. Doit être cassé l’arrêt cantonal ayant jugé que l’action intentée par la veuve et les enfants d’un travailleur décédé d’une maladie professionnelle due à l’amiante était prescrite. En effet, il n’est pas possible de déterminer le moment exact où la maladie s’est développée : l’acte dommageable a donc duré durant toute la relation de travail. Ce n’est qu’avec la fin de cette relation que l’acte dommageable a cessé et que la prescription a commencé à courir (consid. 6).

Art. 3 CEDH, Art. 8 CEDH, Art. 14 CEDH, Art. 177 CP, Art. 180 CP, Art. 181 CP, Art. 261bis CP

Protection de la personnalité ; homophobie. La CourEDH a jugé que, lorsqu’une personne soutient de manière défendable qu’elle a subi un harcèlement à caractère raciste, notamment des insultes et des menaces physiques, les Etats se doivent, en vertu de l’art. 8 CEDH, de prendre toutes les mesures raisonnables pour déterminer s’il existait un mobile raciste et si des sentiments de haine ou des préjugés fondés sur l’origine ethnique avaient pu jouer aussi un rôle dans les événements, cela même lorsque le traitement n’atteint pas le degré de gravité requis par l’art. 3 CEDH. Selon la jurisprudence de la CourEDH, l’orientation sexuelle relève de la protection de l’art. 14 : insulter ou ridiculiser une personne en raison de son orientation sexuelle constitue une discrimination aussi grave que celles fondées sur la race, l’origine ou la couleur (consid. 3.1.1). En droit interne, l’extension de la norme antiraciste de l’art. 261bis CP aux discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, adoptée par le Parlement le 14 décembre 2018, traduit la volonté de réprimer de la même manière les actes discriminatoires fondés sur l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse, et ceux fondés sur l’orientation sexuelle (consid. 3.1.2). Les expressions, gestes ou images dépréciatifs portant sur l’orientation sexuelle peuvent être constitutifs d’injure (art. 177 CP), dans la mesure où ils expriment le mépris. En outre, celui qui aura volontairement fait redouter à sa victime la survenance d’un préjudice réalise l’infraction de menace au sens de l’art. 180 CP. Enfin, le droit suisse réprime la contrainte par « stalking » (art. 181 CP), soit la persécution obsessionnelle d’une personne durant une période prolongée (consid. 3.1.2). En l’espèce, le Ministère public genevois n’aurait pas dû refuser d’entrer en matière sur la plainte déposée par un employé qui avait indiqué :

  • qu’un responsable de l’entreprise lui avait confié qu’il risquait de perdre son travail à cause de ses manières « efféminées » ;
  • qu’un collègue l’avait traité de « folle » durant un service ;
  • qu’un autre collègue lui avait fait des commentaires déplacés quant à ses manières et une blague homophobe contenant notamment le terme de « PD » ;
  • qu’en présence d’une partie des employés, un troisième collègue lui avait demandé s’il ne pouvait pas marcher comme tout le monde, ce qui avait fait rire le personnel présent, qui s’était moqué de lui ;
  • que ce même collègue s’était montré agressif en criant sur lui et en le menaçant « Je vais te buter la gueule ! » ;
  • que le directeur n’avait pas participé mais n’avait également rien fait pour que cela cesse, alors qu’il était au courant.

ATF 145 IV 42 (d)

2018-2019

Art. 196, 272 al. 1, 280, 281 al. 4 CPP

Protection de la personnalité ; vidéosurveillance. La police ne peut pas, en accord avec la direction d’une entreprise, installer un dispositif de vidéosurveillance à l’insu des employés. De tels dispositifs techniques de surveillance ne peuvent être ordonnés que par le Ministère public et autorisés par le Tribunal des mesures de contrainte. L’entreprise n’est pas autorisée à donner son accord en lieu et place de ses employés. Les informations recueillies par ce moyen ne sauraient être exploitées.

Art. 101 et 328 CO

Protection de la personnalité ; accident ; responsabilité de l’employeur. En l’espèce, la responsabilité de l’employeur n’est pas engagée dans un cas où une employée avait perdu conscience et s’était blessée au visage dans son bureau, et alors qu’une collègue l’avait laissée seule sans la mettre immédiatement en position latérale, ceci car elle était partie alerter un groupe d’employés formés aux premiers secours, qui se trouvaient à 13 secondes du lieu de l’accident (consid. 3).

Art. 8 CEDH

Protection de la personnalité ; surveillance des communications électroniques ; vie privée. La Cour européenne des droits de l’Homme a jugé qu’en l’espèce, la surveillance des communications électroniques du travailleur a emporté violation du droit au respect de la vie privée et de la correspondance, dès lors que le travailleur n’avait été informé ni de la nature ni de l’étendue de cette surveillance, ni du degré d’intrusion dans sa vie privée et sa correspondance, et que n’ont pas été déterminées les raisons spécifiques qui auraient justifié la mise en place des mesures de surveillance, ni si l’employeur aurait pu faire usage de mesures moins intrusives pour la vie privée et la correspondance du travailleur, ni encore si l’accès au contenu des communications avait été possible à son insu.

Art. 328 CO

Protection de la personnalité ; employeur portant atteinte à la personnalité d’une travailleuse. Les juges cantonaux pouvaient retenir sans arbitraire une violation de l’art. 328 CO à l’encontre d’un dentiste devenant de plus en plus exigeant et irascible, puis « infernal ». Il importe peu que le comportement du dentiste ne réponde pas en tous points à la définition du harcèlement psychologique et qu’il n’ait pas nécessairement cherché à isoler et exclure l’employée en particulier. Le fait que le dentiste ait pu avoir une attitude tout aussi critiquable à l’encontre d’autres collaboratrices n’est évidemment pas propre à exclure une atteinte à la personnalité de l’employée intimée. En revanche, à l’instar du mobbing, le comportement de l’employeur doit être apprécié dans son ensemble, de sorte que même si chaque acte pris isolément peut apparaître tolérable, et même si les manquements ont été crescendo au fil de la relation contractuelle, les juges cantonaux pouvaient conclure sans arbitraire que le comportement pris dans sa globalité portait atteinte à la personnalité de l’employée. Dans ce contexte, peu importe que la demande inconvenante de masser la nuque et les épaules du dentiste réponde ou non à la notion de harcèlement sexuel, qui ne paraît pas avoir été arbitrairement méconnue (consid. 8.3).

Art. 322a, 328b CO ; 163 CPC ; 2 LPD.

Prima facie, un recours immédiat au Tribunal fédéral fondé sur l’art. 93 LTF semble pouvoir être interjeté même lorsque le risque de préjudice irréparable menace des tiers et non le recourant lui-même (consid. 1.2). En l’espèce, un employé a intenté une action en paiement non chiffrée en faisant valoir qu’il lui manquait diverses pièces permettant de déterminer précisément le bonus auquel il prétend sur la base d’une convention. Dès lors que les conditions d’une action non chiffrée sont réalisées, l’administration des preuves telles que la demande de production de fiches de salaire et de calcul des bonus est licite (consid. 2.3). Une demande de production de certificats de salaire et de lettres attestant le montant du bonus et sa méthode de calcul se justifie même à l’égard d’employés non membres de l’équipe de l’employé requérant, dans la mesure où il s’agit de mieux comprendre la manière dont les bonus sont calculés au sein de l’entreprise (consid. 3.2). Le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’application de l’art. 125 CPC (consid. 4.2). L’art. 322a 2 CO oblige l’employeur à laisser le travailleur consulter ses livres de comptabilité dans la mesure nécessaire. L’employeur doit certes protéger et respecter la personnalité des travailleurs (art. 328 CO), mais cette obligation ne fait pas obstacle à la divulgation des revenus de ces derniers ; l’employeur ne peut pas refuser de fournir ces données dans le cadre d’une procédure judiciaire entre employeur et travailleur, dans la mesure où le revenu des autres travailleurs au service de l’employeur est pertinent pour le jugement à rendre. La consultation de la comptabilité, garantie par l’art. 322a CO au travailleur partie à la procédure, implique d’ailleurs la divulgation de ces informations. En l’occurrence, les documents requis sont nécessaires pour fixer le montant dû à l’employée à titre de participation aux bénéfices. Point n’est besoin de déterminer si les documents litigieux sont « protégés par la loi » au sens de l’art. 163 al. 2 CPC. En effet, si tel devait être le cas, il faudrait de toute façon admettre, à l’instar de la Cour de justice, un intérêt prépondérant du demandeur à la manifestation de la vérité (consid. 5.3 et 5.4).

Art. 9 Cst.

Dans une procédure où il s’agit de déterminer si un employé a été victime de harcèlement psychologique, le comportement d’un responsable (notamment son inflexibilité et sa rigueur) peuvent être appréhendées sans arbitraire en relation avec son rôle de gardien des procédures financières et le changement qu’il incarnait pour les personnes déjà en place (consid. 6.1). La déclaration d’un responsable selon laquelle « avec l’employé recourant, ça n’irait pas et qu’il aurait sa peau » peut constituer un indice de harcèlement dans la mesure où elle établirait une intention d’éviction. Toutefois, elle ne permet pas en tant que telle de faire apparaître comme insoutenable l’appréciation de la Cour cantonale selon laquelle l’employé concerné n’a pas été victime de harcèlement (consid. 6.2).

Art. 18, 336 al. 2 let. b CO ; 10 LPers.

Application d’une brochure interne d’une entreprise traitant du harcèlement sexuel et du mobbing qui prévoyait un délai de protection de six mois contre les congés survenant après la fin d’une procédure interne en protection de la personnalité stipulée par cette même brochure.

Art. 328 al. 1er, 336 al. 1er CO.

Dans le cadre d’une dénonciation survenue contre un employé, celui-ci doit pouvoir se voir offrir la possibilité de se défendre. L’employeur doit, lui, prendre les dispositions nécessaires à l’éclaircissement de la situation avant de licencier la personne concernée, au risque de voir ce licenciement ordinaire considéré comme abusif, précision étant dite que l’impossibilité de l’employeur à justifier les faits reprochés ne saurait suffire à qualifier ledit congé d’abusif.

Art. 328 CO.

Le comportement inadéquat d’une supérieure consistant à se montrer autoritaire, à contrôler de manière excessive ses subordonnés, à ouvrir elle-même le courrier qui leur était destiné sans les en avertir et à le leur transmettre parfois plusieurs jours après, à donner des instructions contradictoires et à adresser des reproches injustifiés, ne correspond pas à du mobbing au sens de la jurisprudence. Un tel comportement ne constitue ainsi pas une transgression à l’obligation de protéger la personnalité des collaborateurs et n’ouvre pas le droit à des dommages-intérêts en cas d’incapacité de travail découlant pourtant d’un licenciement prononcé dans ces circonstances.

Art. 49, 328, 336 al. 1 let. d CO.

Il n’y a pas mobbing du fait qu’un supérieur est un homme difficile à cerner, imprévisible et pouvant se montrer très agressif, si son comportement ne vise pas une employée plus que les autres collaborateurs. Même s’il a une incidence sur l’état de santé de l’employée, un tel comportement ne justifie pas forcément une indemnité pour tort moral. Ne constitue pas non plus du mobbing, le fait pour un (autre) supérieur d’être « cassant », de parler avec des collaborateurs en présence de l’employée dans une langue que celle-ci ne comprend pas et de confier à d’autres collaborateurs qu’il aimerait voir l’employée quitter l’équipe.

Art. 8 et 9 LPD.

Les employés de banque sont en principe en droit d’obtenir des copies des documents les concernant qui ont été transmis aux autorités étrangères, en l’occurrence américaines. Dans la mesure où le nom des clients a été caviardé, la transmission des documents ne viole pas le secret bancaire. De plus, la pesée des intérêts en présence est favorable aux employés. L’intérêt de ceux-ci consiste d’une part dans leur possibilité de juger de l’opportunité d’entamer une procédure contre leur (ancien) employeur et d’autre part dans la faculté d’évaluer les risques qu’ils encourent s’ils devaient être confrontés aux autorités américaines. L’intérêt de l’employeur à la non divulgation à des tiers de noms de clients dont les anciens employés pourraient se rappeler malgré le caviardage ‑ ou des stratégies commerciales de la banque ‑ n’est pas concrètement démontré et paraît en outre déjà protégé par les devoirs contractuels des ex-employés et par leur propre soumission au secret bancaire. Quant à l’intérêt des tiers, il est préservé, en particulier si l’employeur est encore autorisé à caviarder le nom de tout tiers qui figurerait sur les documents à transmettre. Finalement, une exception à la communication écrite des données sous forme de simple consultation sur place des documents n’est pas de mise.