Gratification ; procédure ; gratification convenue ; fixation du montant ; classement faute d’objet ; valeur litigieuse ; décision finale. Dans le cas d’une gratification convenue, dont les objectifs et la formule de calcul ont été fixés et contractualisés, l’employeuse se réservant une part d’évaluation subjective, cette dernière n’a pas le droit de la supprimer entièrement en invoquant un nouveau motif, en l’occurrence les mauvais résultats financiers de l’entreprise (consid. 4.3). Le classement faute d’objet de la prétention en justice relative au bonus 2018 est une décision finale au sens de l’art. 308 al. 2 CPC, si bien que l’appel est ouvert lorsque la valeur litigieuse utile est atteinte. La valeur des conclusions toujours litigieuses au moment de la décision de première instance est déterminant pour l’ouverture à appel, indépendamment de la valeur de la conclusion ayant fait l’objet d’une décision de classement. C’est donc à tort que l’instance cantonale n’est pas entrée en matière sur l’appel contre la décision de classement. L’affaire doit donc être renvoyée à l’instance précédente pour un nouvel examen (consid. 6). Cet arrêt a fait l’objet d’une analyse par le Prof. François Bohnet et Me Aurélien Witzig publiée in Newsletter droitdutravail.ch avril 2022.
Jean-Philippe Dunand, Aurélien Witzig, Adrien Nastasi
CTT-Edom/GE ; salaires, contrat-type de travail ; vacances ; preuve ; missions étrangères ; domestiques privés ; législation applicable ; disposition impérative ; vacances pendant le délai de congé, salaire des vacances. Pour prouver avoir payé les salaires dus, l’employeuse ne peut se borner à prouver avoir ouvert un compte au nom de l’employée et y avoir déposé de l’argent, d’autant que l’employeuse avait conservé la carte bancaire correspondante (consid. 3). Aux termes de l’art. 27 al. 2 LEH, le Conseil fédéral règle notamment, dans la mesure où le droit international le permet, les conditions de travail et de salaire des domestiques privés autorisés à accompagner une personne bénéficiaire au sens de l’art. 2 al. 2 let. a et b LEH. Conformément à l’art. 2 al. 2 ODPr, le domestique privé est engagé par l’employeur sur la base d’un contrat de travail de droit privé. L’art. 28 ODPr précise que les relations de travail sont régies par le droit suisse, en particulier par l’ODPr et le CO (al. 1) et que le contrat de travail ne peut déroger aux dispositions de l’ODPr au détriment du domestique privé (al. 2 ; cf. ég. art. 10 al. 2 3e phr. ODPr). Il doit s’agir d’un contrat écrit, établi selon le modèle rédigé par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), dont la signature conditionne la délivrance de l’autorisation d’entrée et de la carte de légitimation du domestique privé. Les conditions de travail et de salaire font l’objet des art. 28 à 53 ODPr. L’art. 43 al. 1 ODPr prescrit un salaire mensuel net en espèces de CHF 1’200.- au minimum, le salaire en nature et les autres éléments à charge de l’employeur étant décrits à l’art. 44 ODPr. L’art. 45 ODPr prévoit l’exonération fiscale du domestique privé (consid. 4.1). L’ODPr est une norme spéciale qui prévaut sur les CTT que les cantons sont tenus d’édicter pour le personnel de maison en vertu de la règle générale de l’art. 359 al. 2 CO, ce que l’art. 1 al. 2 ODPr précise expressément (consid. 4.2). En l’espèce, il n’y a pas place pour l’application du CTT-Edom/GE à la relation contractuelle des parties, entièrement soumise aux règles de l’ODPr. Contrairement à ce que la Cour cantonale a jugé, la charge plus ou moins grande que peut représenter la garde d’un enfant à domicile selon son état de santé n’est pas un critère pertinent pour déterminer le droit applicable. Il en résulte que les calculs de la Cour cantonale doivent être rectifiés sur la base du salaire convenu ainsi que des dispositions de l’ODPr et du CO (cf. art. 28, 42 à 44, 48 et 50 al. 5 ODPr) (consid. 4.2). Lorsque l’employeuse est en retard dans le paiement de salaires échus, l’employée est en droit de refuser sa prestation (art. 82 CO par analogie) et l’employeuse reste tenue de lui verser son salaire (art. 324 al. 1 CO par analogie) (rappel de jurisprudence, consid. 5.2). En annonçant qu’elle prendrait ses vacances pendant le délai de congé, l’intimée renonçait par avance à une créance résultant d’une disposition impérative de la loi pendant la durée du contrat, ce qui est prohibé par l’art. 341 al. 1 CO (consid. 5.2.2). Le salaire afférent aux vacances (art. 329d al. 1 CO) doit être calculé sur la base du salaire complet ; en particulier, les indemnités versées à titre d’heures supplémentaires ou pour du travail effectué de nuit ou le dimanche seront prises en compte pour autant qu’elles revêtent un caractère régulier et durable. A la fin des rapports de travail, une éventuelle indemnité pour vacances non prises doit également être calculée sur la base du salaire complet (rappel de jurisprudence, consid. 6.4).
Jean-Philippe Dunand, Aurélien Witzig, Adrien Nastasi
Art. 18 CO, Art. 319 CO, Art. 57 CPC
Conclusion ; procédure ; simulation ; compétence ; faits doublement pertinents. En l’espèce, la preuve du versement effectif d’un salaire n’ayant pas été rapportée et l’activité exercée n’ayant pas excédé les services habituellement rendus entre concubins, l’autorité cantonale pouvait, sur cette seule base, conclure sans arbitraire que l’accord par lequel un homme âgé indiquait engager son amie en qualité d’assistante personnelle et d’aide pour les problèmes de la vie quotidienne ne reflétait pas la volonté réelle des parties, nonobstant les apparences créées. Le raisonnement de la demanderesse, qui conteste qu’il y ait eu simulation, adopte une prémisse erronée, à savoir que la preuve d’une simulation nécessiterait d’établir le mobile précis des cocontractants ; dans le présent contexte, la cour d’appel pouvait retenir sans arbitraire que la volonté réelle des parties n’était pas de conclure un contrat de travail, sans qu’il soit nécessaire de connaître leur mobile précis, étant entendu que la simulation d’un contrat de travail pouvait conférer des avantages à l’un et/ou l’autre des signataires de l’accord (consid. 4.4.3). Rappel de jurisprudence concernant les faits de double pertinence. Définition : Les faits doublement pertinents sont des faits déterminants non seulement pour la compétence du tribunal mais aussi pour le bien-fondé de l’action. Lorsqu’un canton – tel le canton de Genève – institue une juridiction spécialisée pour connaître des litiges découlant d’un contrat de travail, ledit contrat constitue un fait doublement pertinent. Procédé : Le juge saisi examine sa compétence sur la seule base des allégués, moyens et conclusions de la demande, sans tenir compte des contestations du défendeur et sans procéder à aucune administration de preuves. Les faits allégués (censés établis) doivent être concluants, c’est-à-dire permettre juridiquement d’en déduire le for invoqué par le demandeur. Si la qualification du rapport contractuel pose une question délicate de délimitation, celle-ci devra être élucidée lors de l’examen du bien-fondé de la prétention au fond, en même temps que celle de savoir si un contrat a réellement été passé. Conséquence : Si, en fonction de l’examen restreint aux éléments précités, le juge arrive à la conclusion qu’il n’est pas compétent, il doit rendre une décision d’irrecevabilité. En revanche, s’il admet sa compétence au regard des allégations du demandeur, le juge procède alors à l’administration des preuves puis à l’examen du bien-fondé de la prétention au fond. S’il conclut finalement que le fait doublement pertinent censé fonder sa compétence n’est pas réalisé, il doit rejeter la demande par une décision sur le fond, revêtue de l’autorité de chose jugée. Ainsi, le tribunal des prud’hommes doit rejeter la demande si, en examinant le fond, il constate l’inexistence d’un contrat de travail. Exception : Il est fait exception à l’application de la théorie de la double pertinence notamment en cas d’abus de droit de la part du demandeur (consid. 5.2). En l’espèce, les instances cantonales se sont appuyées sur les preuves administrées et sur une instruction complète pour en déduire que les parties n’étaient pas liées par un contrat de travail. Or, dans une telle constellation, la jurisprudence prescrit de rendre une décision de fond et de rejeter la demande, par un jugement revêtu de l’autorité de chose jugée (consid. 5.3). Lorsque la demande contient des prétentions de droit commun et d’autres fondées sur une compétence spéciale, le principe iura novit curia emporte une attraction de compétence vers la juridiction spécialisée. Par conséquent, un tribunal prud’homal institué par le droit cantonal ne peut refuser d’étendre son examen aux moyens de droit fédéral invoqués concurremment avec le droit particulier qui fonde sa compétence spéciale (consid. 5.4). Dans le cas présent, le nœud du litige était bel et bien le contrat de travail. Par attraction, la juridiction spécialisée, tenue d’appliquer d’office le droit fédéral (art. 57 CPC), est aussi compétente pour examiner si certaines conclusions peuvent s’appuyer sur un autre fondement juridique que le contrat de travail. En conséquence, la Cour de justice ne pouvait pas, sous couvert d’une compétence spécialisée pour les litiges découlant d’un contrat de travail, refuser de connaître des autres questions soulevées en appel, en particulier celle portant sur le point de savoir si un autre fondement pouvait justifier l’indemnité spéciale réclamée par la demanderesse (consid. 5.5).
Jean-Philippe Dunand, Aurélien Witzig, Camille Zimmermann
Art. 717 et 725 CO
Salaires ; indemnité de départ. Un avenant prévoyant une indemnité de départ d’un montant de deux ans de salaire est valable, même s’il a été signé dans un contexte de contrats croisés entre ceux devant en bénéficier, à savoir le directeur général et le directeur financier – par ailleurs actionnaires de la société holding (consid. 5). Cette indemnité de départ n’est pas illicite, dès lors que la société n’était pas cotée en bourse et que les bénéficiaires étaient également actionnaires uniques (consid. 6).
Jean-Philippe Dunand, Aurélien Witzig, Lauretta Eckhardt, Camille Zimmermann
Art. 9 de l’Annexe I ALCP
Salaires ; monnaie étrangère ; euro ; discrimination ; libre-circulation. Le paiement du salaire en euro est possible en Suisse (consid. 2). Une travailleuse de nationalité allemande, habitant en Allemagne et travaillant en Suisse, entre dans le champ d’application de l’art. 9 Annexe I de l’ALCP (consid. 2.2). En vertu de l’al. 4 de cet article, les travailleurs européens ne doivent pas être discriminés. Les discriminations, tant directes qu’indirectes, sont interdites (consid. 2.3). Cette disposition est directement applicable en droit suisse (consid. 2.4). Selon la jurisprudence de la CJUE, cette règle contraint également les employeurs privés (consid. 2.5.1). Des discriminations peuvent toutefois être justifiées pour des raisons d’ordre public, de sécurité ou de santé (consid. 2.5.4). En l’espèce, une modification de la monnaie du salaire du franc suisse à l’euro fut proposée contractuellement sous la menace d’un congé-modification en cas de refus. Comme l’interdiction de discrimination des ressortissants communautaires relève prioritairement d’une approche relevant de l’économie et non des droits de l’homme, il ne saurait en être fait un usage abusif. Or, l’ex-travailleuse utilise l’interdiction de non-discrimination de manière contraire à son but en la soulevant plusieurs années plus tard et alors que la discrimination procédait de motifs économiques qui devaient permettre de lui garantir sa place de travail (consid. 3.2).
Jean-Philippe Dunand, Aurélien Witzig, Lauretta Eckhardt, Camille Zimmermann
Art. 2 al. 2 CC
Salaires ; travail de nuit ; abus de droit. Il n’y a pas abus de droit de la part du travailleur à réclamer l’indemnité supplémentaire pour travail de nuit seulement à la fin des rapports de travail (consid. 3).
Jean-Philippe Dunand, Aurélien Witzig, Lauretta Eckhardt, Camille Zimmermann
Art. 156, 322d CO
Gratification ; bonus ; objectifs. La clause contractuelle qui stipule qu’au salaire « s’ajoute un bonus annuel de CHF 10’000.- » et que « le versement de ce bonus est conditionné aux objectifs fixés chaque année » représente en l’espèce une gratification entièrement facultative (consid. 3.3.3). Le fait que l’employeuse se soit abstenue de fixer chaque année des objectifs particuliers alors que le versement du bonus était conditionné à de tels objectifs ne signifie pas qu’elle aurait renoncé par actes concluants à subordonner le paiement de cette rétribution à toute condition y compris celle, élémentaire, de la bonne et fidèle exécution des tâches correspondant au cahier des charges de l’employée (consid. 3.4.4).
Jean-Philippe Dunand, Aurélien Witzig, Julien Billarant, Audrey Voutat
Art. 322a CO.
Un système de « parts à rendement subordonné » (carried interests) peut représenter une rémunération variable obligatoire au sens de l’art. 322a CO (consid. 3). Les règles régissant un tel système de rémunération relèvent d’une interprétation des dispositions applicables entre les parties (consid. 4).
Jean-Philippe Dunand, Aurélien Witzig, Julien Billarant, Audrey Voutat
Art. 1er et 6 CO.
Dans le cadre d’une modification des règles d’obtention du bonus en défaveur de l’employeur, une acceptation tacite de l’employé quant à ces dernières n’est admise que dans le cas où en vertu des règles de la bonne foi, une manifestation de volonté de ce même travailleur se révèle nécessaire pour souligner un refus. Elle le devient lorsqu’il est clair que le travailleur devait observer chez l’employeur qu’il s’attendait à une telle acceptation tacite, notamment au vu du fait que celui-ci n’a pris aucune mesure spéciale à son encontre.
Jean-Philippe Dunand, Patricia Dietschy-Marteney, Julien Billarant, Audrey Voutat
Art. 322d CO.
Afin de déterminer si un revenu peut être considéré comme étant un très haut revenu, c’est-à-dire un revenu dépassant cinq fois le salaire médian et donc échappant au principe d’accessoriété qui ne lui est désormais plus applicable en matière de gratification, il est nécessaire de se baser sur toutes les rémunérations ayant pénétré le patrimoine du travailleur, quelles qu’en soient leurs appellations ou leurs origines juridiques. C’est d’ailleurs la date de paiement qui sera déterminante à l’attribution d’une rémunération à telle ou telle période et non l’exercice auquel elle se rapporte.
Jean-Philippe Dunand, Patricia Dietschy-Marteney, Julien Billarant, Audrey Voutat
Art. 6, 322, 322d, 329d2 CO.
L’acceptation tacite de modifications des conditions de travail défavorable au travailleur ne peut être admise que dans des situations où l’employeur devait s’attendre à une réaction du travailleur en cas de désaccord de sa part. De telles circonstances sont notamment réunies s’il est reconnaissable pour le travailleur qu’en cas de refus de sa part, l’employeur prendrait des mesures déterminées ou procéderait à son licenciement. La travailleuse, qui sait que son employeur résilie le contrat d’assurance troisième pilier qu’il avait contracté en sa faveur et qu’il s’était engagé à financer lui-même, est réputée accepter tacitement la modification de ses conditions de travail si elle ne fait pas part à son employeur de son opposition.
Jean-Philippe Dunand, Nicolas Brügger, Héloïse Rosello
Art. 42 al. 2, 156, 322b 1 et 322c al. 1 CO ; 8 CC.
Selon l’art. 322b CO, s’il est convenu que le travailleur a droit à une provision sur certaines affaires, celle-ci lui est acquise dès que l’affaire a été valablement conclue avec le tiers. L’art. 322c CO précise que si la tâche d’établir un relevé des provisions n’est pas déléguée au travailleur, l’employeur doit remettre au travailleur, à chaque échéance, un décompte indiquant les affaires qui donnent droit à une provision. A défaut d’établissement du décompte par l’employeur, le travailleur manquera de moyens de preuve à l’appui de ses prétentions. Il s’impose alors une application par analogie de l’art. 42 al. 2 CO (établissement des faits en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par le demandeur). Si le demandeur allègue et prouve tous les faits à la base de ses prétentions auxquels il a accès, le défendeur doit, pour être libéré, alléguer et prouver les faits aptes à mettre en doute les prétentions. En outre, lorsque l’employeur empêche le travailleur de réaliser les affaires qui lui donneraient droit à une provision, en l’espèce en imposant au travailleur un changement d’activité, il doit à son travailleur une provision, qui peut être calculée en prenant la moyenne des années précédentes.
Jean-Philippe Dunand, Nicolas Brügger, Héloïse Rosello