Droit des migrations

Art. 5 Annexe I-ALCP

L’arrêt concerne un ressortissant croate, né en Suisse et titulaire d’une autorisation d’établissement. Après un premier mariage entre 2010 et 2012, il entame en 2013 une nouvelle relation avec une Suissesse qui aboutira sur un mariage en 2016. Depuis sa majorité, le recourant a été condamné à plusieurs reprises pour diverses infractions et a été averti à trois reprises par l’autorité migratoire. En 2015, son autorisation d’établissement lui est retirée. Devant le TF, il invoque la violation de l’art. 5 Annexe I-ALCP, lequel n’a pas été examiné par l’instance inférieure. La question est donc celle de l’applicabilité de l’ALCP à un Croate. Pour le TF, dans la mesure où l’ALCP a été élargi à la Croatie dès le 1er janvier 2017, le fait que la libre circulation avec celle-ci ne soit pas encore complète ne constitue pas une raison suffisante de traiter les Croates déjà établis en Suisse moins favorablement que les ressortissants d’autres pays UE/AELE en leur refusant l’application de l’art. 5 Annexe I-ALCP. En l’occurrence, en application de cette disposition, le TF estime que l’instance précédente n’a pas accordé un poids suffisant aux intérêts privés du recourant et de son épouse suisse.

Art. 6 Annexe I- ALCP

Dans cet arrêt, le TF s’intéresse au statut de travailleur ainsi qu’aux conséquences de la perte de celui-ci. L’intéressé est un ressortissant italien qui, durant les années 2010 à 2013, a travaillé à quatre reprises pour des périodes allant de quelques mois à un an et dépend de l’aide sociale depuis mai 2011. S’agissant de la qualité de travailleur, le TF estime que la 1re activité exercée de mai à juin 2010 et ayant rapporté à l’intéressé CHF 11’318.- ne peut être qualifiée de marginale. Tel n’est par contre pas le cas des trois autres contrats ayant duré respectivement quatre mois pour
CHF 3’050.-, douze mois pour CHF 4’000.- et un mois pour CHF 178.-. Il n’a donc plus la qualité de travailleur au moins depuis le mois de septembre 2011 et la fin de sa deuxième activité. Quant à la possibilité d’octroyer un droit de séjour sur la base du droit de demeurer ou de l’art. 8 CEDH, elle est niée car l’intéressé n’a pas cessé son activité lucrative en raison d’une invalidité, respectivement en raison de l’absence de liens affectifs et économiques forts avec sa fille, elle-même autorisée à séjourner en Suisse.

Art. 2 et 3 Directive 2004/38/CE ; 21 par. 1 TFUE

Dans cet arrêt, la CJUE examine la possibilité de déduire de l’art. 21 TFUE (droit à la libre circulation) un droit au regroupement familial pour les conjoints de même sexe de ressortissants d’Etats membres. La Cour analyse cette question au regard de la Directive 2004/38/CE et rappelle que celle-ci mentionne le conjoint comme membre de la famille et que cette notion neutre est susceptible d’englober le conjoint de même sexe du citoyen de l’UE. La Cour déduit en outre du fait que la Directive ne renvoie pas au droit national s’agissant des mariages (alors que tel est le cas pour les partenariats enregistrés), que les Etats membres ne peuvent pas s’opposer à la reconnaissance, aux seules fins de l’octroi d’un titre de séjour, d’un mariage conclu par un citoyen européen avec une personne du même sexe. La CJUE estime encore que les Etats ne sont pas légitimés à invoquer un intérêt général à une restriction dans la mesure où la reconnaissance se limite à l’octroi d’un titre de séjour et n’oblige pas les Etats membres à reconnaître pleinement les mariages entre personnes du même sexe. Aucune atteinte à l’institution du mariage, notion définie en droit national, ne peut donc être invoquée.

Art. 5 Annexe I-ALCP

Il est question dans cet arrêt d’une ressortissante binationale serbe et croate, qui perd son titre de séjour en Suisse suite à son divorce d’un allemand titulaire d’un permis C. Le recours au TF fait suite au refus de l’instance de recours d’envisager la cause sous l’angle de l’octroi d’une autorisation de séjour UE/AELE à la recourante sur la base de sa nationalité croate. Dans la suite de l’arrêt 2C_116/2017 résumé ci-dessus, le TF estime que ce qui vaut pour l’art. 5 Annexe I-ALCP vaut également pour les autres dispositions de l’Accord pour autant que leur application immédiate ne soit pas expressément exclue.

Art. 5 Annexe I-ALCP

Cet arrêt concerne un espagnol né en Suisse en 1962 et titulaire d’une autorisation d’établissement depuis 1971. Entre 1979 et 2015, l’intéressé fait l’objet de trente et une condamnations pénales pour des infractions très diverses et est averti, respectivement menacé d’expulsion, à huit reprises en tout cas. Le 15 janvier 2016, le Service cantonal révoque son autorisation de séjour. L’intéressé estime que la décision cantonale viole l’art. 5 Annexe I-ALCP. Dans son analyse, le TF relève une évolution dans « le parcours délinquant du recourant » dans la mesure où les infractions les plus graves datent d’il y a plus de vingt ans et qu’actuellement il ne représente une menace que pour des biens juridiques moins importants et un risque d’atteinte plus faible. En outre, la fréquence des infractions est en partie explicable par la consommation d’alcool et de stupéfiants du recourant, qui suit maintenant un traitement psychiatrique, maîtrise sa consommation d’alcool et a cessé de se droguer. Finalement, le TF considère que les infractions des dernières années ne permettent pas d’établir une menace réelle et grave pour l’ordre public. Le fait que l’intéressé soit né et ait passé toute sa vie en Suisse est également mentionné comme jouant un rôle important.

ATF 144 II 1 (d)

2017-2018

Art. 50 LEtr ; 2 ALCP

Dans cet arrêt, qui constitue une précision importante de la pratique du TF, celui-ci confirme l’applicabilité de l’art. 50 LEtr aux ressortissants UE/AELE et précise que si cet article ne protège pas la vie familiale, les droits qui en sont tirés découlent d’une vie familiale antérieure et possèdent donc encore un lien avec l’ALCP. Pour cette raison, il est justifié d’appliquer l’art. 2 ALCP (non-discrimination) à ces situations. Par conséquent, dans la mesure où l’ex-conjoint bénéficie, avant comme après, d’un droit de séjour en Suisse, l’art. 50 LEtr est applicable même s’il ne s’agit que d’une autorisation de séjour. En l’occurrence, l’ex-conjoint étant reparti vivre dans son pays d’origine, il ne dispose plus de titre de séjour en Suisse de telle sorte que l’art. 50 LEtr n’est pas applicable.

Art. 50 LEtr ; 2 ALCP

Cet arrêt se base sur les mêmes constatations théoriques que l’ATF ci-dessus. La différence est que dans ce second cas l’ex-conjoint, ressortissant irano-autrichien, est toujours titulaire d’une autorisation de séjour en Suisse. L’art. 50 LEtr est donc applicable mais, dans la mesure où les exigences des al. 1 et 2 ne sont pas remplies, l’autorisation de séjour n’est pas accordée.

ATF 144 II 121 (d)

2017-2018

Art. 4 Annexe I-ALCP ; 2 Règlement 1251/70/CE

Il est question dans cet arrêt du droit de demeurer et en particulier de la condition de la durée de séjour minimale prévue par l’art. 2 al. 1 let. b du Règlement n° 1251/70/CE. Pour le TF, la question centrale est de savoir s’il est nécessaire que la personne invoquant le droit de demeurer ait le statut de travailleur tout au long de la durée minimale du séjour exigée par le Règlement. Il procède donc à une interprétation complète de cet article dont il déduit que la durée minimale de séjour n’est pas liée à un statut particulier et doit être différenciée de la durée d’activité. Cette conclusion est déduite du fait que l’art. 2 prévoit pour chaque cas de droit de demeurer une durée de séjour et une durée d’activité minimale, or lorsque ces durées sont les mêmes – c’est le cas dans l’hypothèse de la let. c ainsi que dans l’al. 2 – cela est expressément indiqué dans la disposition. Ainsi donc, s’agissant du droit de demeurer suite à une invalidité (let. b), le TF en conclut qu’aucune durée minimale d’activité n’est prévue et qu’il est dès lors suffisant que la personne concernée ait eu le statut de travailleur au moment de la survenance de l’invalidité. Dans le cas d’espèce, l’intéressée qui est considérée comme invalide depuis septembre 2011, se trouvait à ce moment-là dans un rapport de travail depuis environ un an et bénéficiait donc du statut de travailleuse.

Art. 4 Annexe I-ALCP

Cet arrêt concerne un ressortissant italien entré en Suisse en 2004 et mis au bénéfice d’une autorisation de séjour UE/AELE sur la base d’un contrat de travail de durée indéterminée. Dès 2009, il voit sa capacité de travail être restreinte par une maladie. En octobre 2012, la demande de prolongation de son autorisation de séjour est admise en raison du fait qu’une demande de rente AI est pendante. Suite au refus de celle-ci, une nouvelle demande de prolongation lui est refusée en 2014. Le TF considère que l’intéressé est en incapacité permanente de travail au sens de l’art. 4 Annexe I-ALCP au moins depuis environ novembre 2014. Cette incapacité n’étant pas due à une maladie ou un accident professionnel, le TF cherche à savoir si l’intéressé est devenu sans emploi contre sa volonté. A ce sujet, le Tribunal estime que l’autorité de première instance a, sans raison, retenu que l’intéressé est devenu sans emploi volontairement. Le recours est donc admis et la cause renvoyée à l’autorité de première instance.

Art. 65 LAsi ; 64, 63 al. 1, 68 LEtr

Cet arrêt traite de la révocation de l’autorisation de séjour d’un réfugié auquel l’asile a été octroyé. Trois points sont relevés par le TF : 1) la question de la base légale applicable n’est pas simple à résoudre puisque l’art. 65 LAsi renvoie à l’art. 64 LEtr en lien avec les art. 63 al. 1 let. b et 68 LEtr. Ces dispositions fédérales devant de plus s’appliquer dans le respect, d’une part, de l’art. 32 CR qui ne permet le renvoi de réfugiés que pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public et, d’autre part, du principe de non-refoulement. 2) la question du partage des compétences entre cantons et Confédération est également compliquée. En effet, si l’autorité cantonale est compétente pour retirer, ou ne pas prolonger, une autorisation de séjour et peut le faire sans que l’asile ait été levé auparavant, elle est toutefois dans l’obligation d’obtenir une prise de position du SEM sur la levée de l’asile, faute de compétence de sa part sur cette question. 3) la dernière question est celle du seuil de gravité posé par l’art. 32 CR. En l’occurrence, l’autorité cantonale se contente d’estimer que le motif de révocation de l’art. 63 al. 1 let. b en lien avec l’art. 65 LEtr est rempli sans se demander si le seuil fixé par l’art. 32 CR était également atteint. Le recours est donc admis.

Art. 62, 63 LEtr

Ces deux affaires s’intéressent à la question de la proportionnalité du retrait de l’autorisation d’établissement suite à des condamnations pénales. Dans le premier cas, l’intéressé a été condamné à sept ans de privation de liberté pour tentative de meurtre et lésions corporelles simples. Malgré le fait qu’il soit né en Suisse, n’ait jamais vécu au Kosovo et ait une compagne et un enfant suisses, le TF estime que l’intérêt public au renvoi doit primer. En effet, en plus de la gravité des infractions, les juges retiennent que : le bon comportement en prison est certes louable mais ne permet de tirer des conclusions sur son attitude et d’évaluer sa dangerosité ; une expertise conclut à un risque de récidive ; si l’intéressé n’a jamais vécu dans son pays d’origine, il en parle toutefois la langue et pourra y terminer son apprentissage de plâtrier ; et finalement, s’il ne peut être attendu de la mère et du fils qu’ils aillent vivre au Kosovo, ils auront néanmoins la possibilité d’y faire des visites régulières. Dans le second cas, le résultat est différent en raison, d’une part, d’un passif pénal moins lourd car les condamnations ont été prononcées avec sursis et la dernière infraction remonte à plus de quatre ans et, d’autre part, de circonstances personnelles favorables. En effet, l’intéressé est arrivé en Suisse à onze ans et y vit depuis plus de vingt ans, il a terminé un apprentissage ainsi qu’une formation complémentaire et est jugé bien intégré professionnellement, il n’a jamais bénéficié de l’aide sociale, est socialement bien intégré et la quasi-totalité de sa famille – y compris son épouse et sa fille – vit en Suisse.

Art. 62, 63 LEtr

Dans cet arrêt, relatif au retrait d’une autorisation d’établissement, le TF se prononce en faveur d’une prise en compte de l’art. 121 al. 3 Cst. – introduit par l’initiative pour le renvoi des étrangers criminels – dans le cadre du pouvoir d’examen de l’autorité et dans la mesure où cela n’est pas contraire au droit supérieur. Dans la mesure où l’analyse du Tribunal se concentre uniquement sur la proportionnalité, l’intérêt de la prise en compte de l’art. 121 al. 3 Cst. n’est pas flagrant dans cette affaire. Cependant, cet arrêt pourrait constituer une jurisprudence de référence dans le cadre de l’analyse de la clause de rigueur de l’art. 66a al. 2 CP.

Art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr

Un an après son mariage avec un Suisse, une ressortissante kosovare dépose une plainte pour mariage forcé. Le Tribunal cantonal déclare le mariage nul puis l’autorité compétente refuse de prolonger l’autorisation de séjour de l’intéressée. Dans son recours, l’intéressée invoque l’existence de « raisons personnelles majeures » au sens de l’art. 50 al. 2 LEtr devant, selon elle, lui permettre de recevoir une autorisation de séjour (art. 50 al. 1 let. b LEtr). La question qui se pose est celle de la preuve et le TF traite cette question de manière analogue à ce qui prévaut en matière de violences conjugales. Ainsi, il estime qu’une preuve complète n’est pas nécessaire et que rendre vraisemblable le mariage forcé suffit. Le TF rejette par contre la manière de faire de l’instance inférieure qui, malgré la présence d’un jugement civil reconnaissant le mariage forcé et déclarant celui-ci nul, a procédé à une pondération de différents éléments (notamment des vidéos des fiançailles) et estimé qu’il ne s’agissait, du point de vue de la LEtr, pas d’un mariage forcé. Pour les juges fédéraux, cette manière de faire ainsi que le résultat auquel elle aboutit relèvent de l’arbitraire.

ATF 144 II 113 (f)

2017-2018

Art. 3 ALCP ; 24 Annexe I-ALCP

Cet arrêt pose la question de l’applicabilité de la jurisprudence Zhu et Chen à un couple bolivien demandant une autorisation d’entrée et de séjour en Suisse sur la base de la nationalité espagnole de leur fille alors qu’ils font l’objet d’une interdiction d’entrée en Suisse. Trois éléments sont retenus par le TF : 1) le lieu de naissance de l’enfant n’a pas de pertinence dans l’analyse : seul compte sa nationalité ; 2) l’arrêt Zhu et Chen ne peut être considéré comme exigeant un séjour légal préalable ; 3) la provenance des moyens financiers (art. 24 Annexe I-ALCP) n’est pas pertinente. Le couple a donc droit à une autorisation de séjour en Suisse alors même que les moyens financiers qu’ils revendiquent proviennent d’une activité économique exercée illégalement. Dès lors, le recours interjeté par le DFJP est rejeté.

Art. 3 Annexe I-ALCP

Dans cet arrêt, le regroupement familial est examiné sous l’ange de la condition du « logement convenable ». Dans ce cas, un ressortissant espagnol marié à une ressortissante bolivienne avec laquelle il a une petite fille, dépose une demande de regroupement familial en faveur de la mère et de l’enfant alors que la famille vit dans un studio de 17m2 comprenant en outre une « cuisine laboratoire » et une salle de bain. Le TF relève tout d’abord que les directives OLCP du SEM mentionnent la règle selon laquelle le nombre de pièces du logement doit correspondre au nombre de personnes y habitant – 1. Cependant, il estime que la CJUE n’a jamais fixé de standard minimal et que le texte de l’art. 3 par. 1 Annexe I-ALCP ne permet pas de trancher la question du logement convenable au moyen d’une règle rigide puisqu’il parle de « logement considéré comme normal pour les travailleurs nationaux salariés dans la région ». L’examen doit donc se faire « région par région au moyen d’un examen global concret » tenant compte du marché local du logement ainsi que du nombre de personnes y logeant, de la composition de la famille, des conditions locales du marché du logement, des possibilités d’aide au logement ainsi que des moyens financiers exigibles. La notion de logement convenable étant une notion juridique indéterminée, le TF reconnait une liberté d’appréciation aux autorités cantonales qui ont une meilleure connaissance des circonstances particulières locales et il examine donc avec retenue leur décision. En l’espèce, il considère que l’autorité cantonale genevoise a correctement évalué la situation en jugeant le logement comme suffisant, bien que restreint. Dès lors, le recours du Secrétariat d’Etat aux migrations est rejeté.