Droit des obligations et des contrats

ATF 147 IV 55 (f)

2020-2021

Impossibilité de compenser une indemnité pour tort moral résultant d’une détention illicite avec les frais de procédure pénale. L’art. 125 ch. 2 CO, qui restreint le droit à la compensation pour les créances dont la nature exige une prestation effective au créancier, garantit en cela la protection de la partie économiquement faible ainsi que la dignité et le droit à la vie et à la liberté personnelle. L’indemnisation pour le tort moral subi en raison de conditions de détention illicites s’inscrit dans le même but et constitue une prestation effective au sens de l’art. 125 ch. 2 CO. La créance y relative ne peut donc pas être compensée contre la volonté du créancier avec les frais de justice mis à sa charge dans le cadre de la procédure pénale.

Renonciation par actes concluants à une condition suspensive. La renonciation par les parties à une condition suspensive peut intervenir par actes concluants, l’accord des parties à cet égard se déterminant suivant les principes généraux en matière d’interprétation des manifestations de volonté. Ainsi, lorsque les parties conviennent que la reprise d’un commerce est subordonnée à la condition que l’acquéreur puisse obtenir du tiers bailleur un contrat de bail aux mêmes conditions que celles qui prévalaient pour le vendeur, la conclusion du bail par l’acquéreur à des conditions moins favorables équivaut à une renonciation de sa part à la condition suspensive et n’a pas pour effet d’invalider la vente du commerce. En l’espèce, dans la mesure où le vendeur avait de toute manière, par son comportement, renoncé de son côté à la condition litigieuse, la question de l’admissibilité d’une renonciation unilatérale dans l’hypothèse où la condition suspensive n’aurait été conclue que dans l’intérêt d’une seule partie ne se pose pas.

ATF 147 III 14 (f)

2020-2021

Calcul du rendement net admissible, réévaluation des fonds propres investis, taux de rendement admissible des fonds propres. Le rendement net admissible au sens de l’art. 269 CO se détermine à l’aide des sept étapes suivantes : 1. Détermination des coûts d’investissements effectifs ; 2. Déduction des fonds empruntés ; 3. Réévaluation des fonds propres pour tenir compte du renchérissement ; 4. Application aux fonds propres du taux de rendement admissible ; 5. Ajout des charges immobilières ; 6. Ventilation du résultat appartement par appartement ; 7. Comparaison du loyer admissible ainsi obtenu avec le loyer actuel. S’agissant des étapes 3 et 4, la réévaluation selon l’IPC doit désormais être effectuée sur le 100 % des fonds propres investis (et non plus sur le 40 % uniquement de ceux-ci). En outre, il y a lieu de fixer le taux de rendement admissible des fonds propres – jusque-là fixé à 0.5 % en sus du taux hypothécaire de référence – à 2 % en sus du taux hypothécaire de référence lorsque celui-ci est égal ou inférieur à 2 %.

ATF 147 III 32 (f)

2020-2021

Modification du loyer à l’expiration de la durée initiale du bail à loyer indexé. A l’expiration de la durée initiale du bail à loyer indexé, chaque partie peut, en respectant le délai de résiliation, solliciter une modification du loyer (art. 269d et 270a CO) en invoquant la méthode relative à l’appui de son action. Singulièrement, le locataire qui agit en diminution du loyer avec effet à l’expiration de la durée initiale du bail indexé ne peut se fonder que sur des critères relatifs, à l’exclusion de la méthode absolue du rendement net. En effet, si la méthode absolue peut être invoquée par le locataire pour contester le loyer initial au début du bail à loyer indexé (action réservée expressément par l’art. 270c CO), lui accorder la possibilité de s’en prévaloir à nouveau à l’expiration de la durée initiale du bail reviendrait à contourner le délai et les conditions de l’art. 270 CO.

Fardeau de la preuve en matière de contestation du loyer initial d’un immeuble ancien. En cas de contestation du loyer initial d’un immeuble ancien (où le critère des loyers usuels dans la localité ou le quartier s’applique en priorité), le caractère abusif du loyer est présumé lorsque l’augmentation est massive – c’est-à-dire nettement supérieure à 10 % – par rapport au loyer précédent et qu’elle ne s’explique pas par la variation du taux hypothécaire de référence ou de l’IPC. Le fait que le bail précédent ait été de longue durée – soit de 15 à 20 ans – ne rend pas d’emblée inapplicable la présomption, mais constitue un indice qui peut contribuer à la renverser. Il suffit que le bailleur parvienne à éveiller des doutes fondés quant à l’exactitude de cette présomption pour que celle-ci ne s’applique plus. Il reviendra alors au locataire de prouver que le loyer est abusif au moyen de statistiques officielles ou de cinq logements de comparaison.

Consignation de loyers échus. La consignation de loyers échus n’a pas d’effet libératoire. L’art. 259g al. 1 CO permet au locataire qui exige la réparation d’un défaut de consigner les loyers à échoir moyennant fixation préalable au bailleur d’un délai pour le réparer et menace écrite de la consignation. Si le locataire consigne des loyers déjà échus, l’une des conditions précitées fait défaut et les loyers ne sont pas réputés payés au sens de l’art. 259g al. 2 CO. Le locataire s’expose dans ce cas à une résiliation extraordinaire pour défaut de paiement (art. 257al. 2 CO).

Escroquerie bancaire, responsabilité. Confirmation de la méthode en trois étapes pour déterminer qui supporte le dommage en cas de virements bancaires frauduleux (ATF 146 III 121). L’action en restitution de ses avoirs intentée par le client lésé par des virements indus est une action en exécution du contrat (art. 107 al. 1 CO), pour laquelle la faute n’est pas une condition, et non pas une action en responsabilité pour violation du devoir de diligence de la banque (art. 398 al. 2 CO). De son côté, la banque peut éventuellement opposer en compensation une créance en dommages-intérêts contre son client, fondée sur l’art. 97 al. 1 CO, lorsque celui-ci a fautivement contribué à causer ou aggraver le dommage. Tel est notamment le cas si le client ou ses auxiliaires ont incité la banque à procéder au transfert indu. Toutefois, une faute concomitante de la banque peut constituer un facteur de réduction de l’indemnité, voire interrompre le lien de causalité adéquate entre la faute du client et le dommage. Il en va ainsi en l’espèce, où l’employé de la banque a exécuté les ordres malgré l’absence de signature collective à deux convenue dans le contrat et sans se méfier des courriels jugés suspects.

Rémunération de l’avocat, devoir d’information. Les honoraires du mandataire sont fixés en premier lieu par la convention des parties, à défaut par l’usage ou en dernier ressort par le tribunal. Pour les avocats en particulier, l’art. 12 let. e LLCA interdit de fixer les honoraires exclusivement sur la base d’une quote-part du résultat (pactum de quota litis) ; la jurisprudence a également déduit de cette règle une admissibilité restreinte des primes de succès (pactum de palmario). L’existence d’un « usage genevois » selon lequel le résultat obtenu peut être pris en considération pour déterminer le montant des honoraires ne permet pas de suppléer à l’absence de convention des parties sur ce point. Si l’avocat entend encaisser une prime de succès en sus de ses honoraires de base, il doit dûment en informer le client au début de la relation, de manière à obtenir à tout le moins un accord tacite.

Gestion de fortune, modification du contrat. La modification du contrat n’est qu’une modalité particulière de la formation du contrat et obéit aux mêmes règles. En matière de gestion de fortune, un changement de stratégie de placement peut être accepté tacitement. Les clauses dites de réclamation figurant souvent dans les conditions générales des banques, selon lesquelles le client doit contester les opérations effectuées dans un certain délai, sont valables. Faute de contestation et sous réserve d’un abus de droit de la banque, une fiction de ratification sera opposable au client. En l’espèce, la cliente au profil initial « conservateur » qui a demandé à la banque d’augmenter la performance de ses placements et contresigné une évaluation ultérieure de son portefeuille doit se laisser imputer une modification tacite du profil d’investissement.

Vente immobilière, garantie pour les défauts. Le vendeur ne peut invoquer une clause d’exclusion de garantie lorsque le défaut est totalement étranger aux éventualités qu’un acheteur raisonnable envisagerait. Le défaut inattendu doit alors être grave au point qu’il compromet sérieusement le but économique du contrat. Tel est le cas lorsque, comme en l’espèce, l’immeuble vendu est gravement pollué et nécessite un assainissement complet dont les coûts sont supérieurs au prix de vente. L’acheteur doit pour sa part émettre un avis des défauts suffisamment précis pour que le vendeur puisse en mesurer le genre et l’étendue et décider comment se comporter par rapport à son éventuelle responsabilité. Si l’acheteur donne un avis à titre anticipé, il devra parfois le compléter ultérieurement. Une complainte d’ordre général sur la pollution chimique de l’immeuble (qui comprend un ancien atelier et des logements aux étages supérieurs) n’est pas suffisante ici ; elle aurait dû être complétée par un second avis lorsque l’acheteur a découvert plus tard que l’entier du bâtiment était inhabitable et devait être assaini.

Résiliation anticipée, justes motifs. L’indemnité due à l’entrepreneur en cas de résiliation anticipée du contrat selon l’art. 377 CO peut être réduite ou supprimée si ce dernier a, par son comportement fautif, poussé le maître à résilier le contrat (justes motifs). Le motif de réduction ou de suppression de l’indemnité ne peut toutefois pas consister en un retard dans l’exécution de l’ouvrage, car cette éventualité est visée par l’art. 366 CO. Si le maître pouvait résilier le contrat selon les modalités de l’art. 366 CO et qu’il ne le fait pas mais se départit ensuite du contrat au sens de l’art. 377 CO, il ne peut pas se libérer de son obligation d’indemniser complètement l’entrepreneur.

Disproportion des frais de réfection. Pour juger si la réfection de l’ouvrage exige des dépenses excessives au sens de l’art. 368 al. 2 CO, le critère essentiel est le rapport entre les coûts de la réfection et l’utilité qu’elle présente pour le maître. Tant les intérêts économiques que non économiques sont pertinents. La question de savoir si le rapport entre les frais de réfection et le prix de l’ouvrage peut aussi être pris en compte est débattue en doctrine, notamment dans les cas où ces frais dépassent le prix. Il convient de retenir que cette circonstance peut être un indice selon lequel les frais de réfection sont excessifs, mais qu’elle ne dispense pas d’examiner l’utilité que l’élimination des défauts présente pour le maître.

ATF 147 IV 73 (d)

2020-2021

Licéité et caractère patrimonial de la rémunération de services de nature sexuelle. Compte tenu en particulier de l’évolution de la société et des normes éthiques, les prestations de nature sexuelle dans le cadre d’un contrat de prostitution ne peuvent plus sans autre être qualifiées comme contraires aux mœurs et donc entraîner la nullité du contrat au sens de l’art. 20 al. 1 CO. La rémunération de ces prestations revêt en outre un caractère patrimonial et doit à ce titre être protégée, y compris par les dispositions pénales de protection du patrimoine.

ATF 147 III 78 (f)

2020-2021

Délai de prescription des actions en délivrance et en rectification du certificat de travail. Les actions en délivrance et en rectification du certificat de travail sont soumises au délai de 10 ans de l’art. 127 CO, à l’exclusion du délai de 5 ans prévu à l’art. 128 ch. 3 CO. Il ressort en effet de l’interprétation de l’art. 128 CO que s’agissant des actions des travailleurs, le délai spécial figurant au ch. 3 de cette disposition ne s’applique qu’en lien avec les créances de salaire et non avec les autres créances découlant des rapports de travail.

Suspension du délai de prescription en cas de procédure judiciaire. La phrase « lorsque la juridiction saisie clôt la procédure » de l’art. 138 al. 1 CO doit être interprétée en ce sens qu’un délai de prescription interrompu par le dépôt d’une requête en conciliation, d’une action ou d’une exception ne recommence à courir que lorsqu’une décision finale ne pouvant plus faire l’objet d’un appel ou d’un recours est rendue, c’est-à-dire lorsque la suite des instances est épuisée. L’introduction d’un recours ou d’un appel, le renvoi à l’autorité précédente et les moyens de droit extraordinaires que sont la révision, l’interprétation ou la rectification ne font donc pas débuter un nouveau délai de prescription.

Action partielle, demande reconventionnelle. La partie défenderesse à une action partielle soumise à la procédure simplifiée peut déposer une demande reconventionnelle tendant à constater l’inexistence de l’entier de la prétention, cela même si la valeur litigieuse atteint alors le seuil de la procédure ordinaire. Autrement dit, la condition de l’art. 224 al. 1 CPC peut être ignorée. La partie défenderesse doit néanmoins faire valoir un intérêt digne de protection. Cette jurisprudence est pleinement applicable dans le domaine des préjudices corporels, lorsque la victime ne fait valoir qu’une partie de son préjudice.

Calcul de la perte de soutien. Le dommage résultant d’une perte de soutien se calcule de manière abstraite à compter du jour du décès du soutien. La capitalisation des rentes (3.5 %) s’opère à compter du même jour. En dépit des critiques d’une partie de la doctrine, qui déplore que les règles de calcul ne soient pas les mêmes en cas de décès et en cas d’invalidité, il n’y a pas de raisons suffisantes de s’écarter de la jurisprudence longuement établie. Pas non plus de changement de jurisprudence sur la question de l’imputation des revenus du patrimoine : les revenus des biens matrimoniaux et successoraux transmis aux personnes soutenues doivent être imputés sur leur dommage, même s’ils n’étaient pas utilisés à des fins d’entretien avant le décès. En outre, le privilège de non-imputation des assurances de somme (art. 96 LCA), applicable aux assurances-vie, doit s’interpréter de manière restrictive. Seul le capital bénéficie du privilège. En revanche, les revenus générés par la somme obtenue de l’assurance doivent aussi être imputés.

Responsabilité du fait des produits. La LRFP n’est pas applicable si le produit à l’origine du dommage (in casu un ascenseur) a été mis en fonction avant l’entrée en vigueur de la loi le 1er janvier 1994 (art. 13 LRFP). Une éventuelle responsabilité du producteur se détermine alors sur la base de l’art. 55 CO, conformément à la jurisprudence développée antérieurement à la LRFP. La victime supporte le fardeau de la preuve du défaut. La défectuosité présuppose dans ce contexte que le produit crée un état de fait dangereux et qu’une conception plus sûre aurait été possible au moment de la mise en circulation. Or, le seul fait que l’ascenseur ait joué un rôle dans la survenance du dommage ne suffit pas encore à prouver que ce dommage a été causé par une défectuosité du produit.

Tort moral, dies a quo du délai de prescription. Lorsqu’un délai de prescription ou de péremption à charge du lésé court à partir de la connaissance du dommage, cela inclut aussi l’étendue du dommage. Le lésé doit être en mesure d’apprécier au moins dans les grandes lignes l’ampleur de son dommage ; en présence d’une situation qui évolue, le délai ne court pas avant le terme de l’évolution. Toutefois, si le préjudice subi est un tort moral, il s’agit d’une souffrance psychique qui n’est de toute façon pas quantifiable, à la différence d’un dommage patrimonial. La victime a donc connaissance de son préjudice dès le moment où elle a conscience que sa souffrance psychique résulte des actes du responsable. Elle ne peut pas attendre la stabilisation ou la disparition de ses troubles pour ouvrir action en responsabilité.