Droit de la famille

Droit au respect de la vie privée et familiale ; reconnaissance de paternité judiciaire imposée au requérant et limitant son autorité parentale envers son enfant. Le requérant se plaint de ne pas avoir eu la possibilité, en droit interne, de procéder à une reconnaissance de paternité volontaire, ce qui a eu pour conséquence de limiter sa responsabilité parentale envers sa fille. La législation interne ne permettait ainsi pas au requérant d’exercer l’autorité parentale, ni de s’opposer au refus de la mère de consentir au partage de l’autorité parentale. Différence de traitement disproportionnée entre les pères et mères d’enfants né·es hors mariage et d’enfants né·es d’un mariage. Violation retenue de l’art. 8 CEDH.

Droit au respect de la vie privée et familiale. Autopsie et prélèvement d’organes, aux fins de leur préservation, d’un enfant prématuré atteint d’une maladie rare malgré les objections de la mère et son souhait spécifique d’un enterrement ritualisé. Violation de l’art. 8 CEDH.

Droit à un procès équitable et au respect de la vie privée et familiale. Tentative des grands-parents maternels d’obtenir un droit de visite sur les enfants de leur fille assassinée par son mari ; les enfants ayant été placés en famille d’accueil. Violation de l’art. 6 § 1, mais pas de l’art. 8 CEDH.

Droit au respect de la vie privée et familiale. Défaut d’exécution d’une décision accordant la garde à la mère, après que le père ait retiré l’enfant de l’école et refusé de le remettre à la mère. La mère et le fils, en qualité de parties requérantes, se plaignent d’un manquement des autorités nationales à l’exécution de la décision. Violation de l’art. 8 CEDH admise.

Utilisation de la fortune pour assurer l’entretien en cas de mesures protectrices de l’union conjugale. Afin de déterminer si la fortune doit être prise en considération pour l’entretien courant, différents critères doivent être examinés : la taille, la fonction (p. ex. accumulation pour la retraite), la composition de la fortune, la durée pendant laquelle la fortune sera entamée, ainsi que le comportement qui a conduit à la réduction de la capacité d’autosuffisance. Si tant les biens personnels que successoraux sont disponibles, les seconds seront les premiers à être pris en compte. En revanche, les biens difficilement liquidables ou investis dans la maison familiale ne doivent en principe pas être pris en compte.

Calcul de la charge fiscale liée à l’entretien de l’enfant. Si la situation financière des parties permet d’aller au-delà du minimum vital selon le droit des poursuites, le calcul de l’entretien doit prendre en compte la charge fiscale. En matière fiscale, le revenu de l’enfant (soit les contributions d’entretien en sa faveur) est ajouté au revenu imposable du parent qui reçoit la prestation, ce qui tend à entraîner des impôts élevés. En revanche, le parent crédirentier peut effectuer des déductions fiscales. Le TF examine différentes méthodes de calcul proposées par la doctrine pour déterminer la part d’impôt que le parent recevant l’entretien de l’enfant devra payer, afin de prendre en compte cette augmentation d’impôts dans le calcul. Une répartition mathématique tenant compte de tous les aspects n’est pas possible ou difficilement applicable en pratique. Partant, le TF retient une méthode de répartition proportionnelle en fonction des revenus, qui consiste à répartir la charge fiscale totale du parent crédirentier en fonction des revenus relatifs à l’enfant entretenu par rapport à l’ensemble de ses revenus.

ATF 148 III 95 (d)

2021-2022

Compétence pour juger des nova en mesures protectrices de l’union conjugale. Lorsque la procédure de MPUC est encore pendante, c’est le tribunal des MPUC qui doit prendre en compte les faits et moyens de preuve nouveaux, y compris l’instance cantonale supérieure au stade de la procédure de recours, lorsqu’ils peuvent être admis en application des règles de procédure civile. Et cela peu importe que la procédure de divorce ou qu’une procédure en modification des MPUC ait été introduite en parallèle.

Concours entre la contribution de prise en charge de l’enfant issu·e d’une précédente union et l’entretien selon l’art. 163 en cas de remariage. Si les frais de subsistance du parent gardien (qui a eu un·e autre enfant issu·e de sa nouvelle union) sont couverts par le nouveau conjoint, il n’en résulte aucun déficit qui devrait être comblé par la contribution de prise en charge en faveur de l’enfant issu·e de la précédente union.

Critères pour qualifier un mariage de « lebensprägend ». Selon le TF, les présomptions appliquées par le passé pour cette qualification, en particulier la présence d’enfants commun·es, doivent être relativisées. Le catalogue de critères non exhaustif de l’art. 125 al. 2 CC est déterminant.

Subrogation légale en cas d’avances par la collectivité publique. Lorsque la collectivité publique avance des contributions d’entretien du droit de la famille, et qu’elle est ainsi subrogée dans le droit à l’entretien avancé ou qui sera versé par celle-ci, elle devient la partie créancière. Selon l’interprétation du TF, cela ne signifie toutefois pas que la subrogation légale porte sur le droit à l’entretien en tant que tel. Le droit de base à l’entretien continue d’appartenir au titulaire initial. La procédure en modification de l’entretien opposera donc toujours uniquement la partie débirentière et l’enfant, mais jamais la collectivité publique.

Le point de départ du calcul des contributions d’entretien est l’entretien convenable, qui doit être distingué du minimum vital. Les personnes mariées ont ainsi droit, dans la mesure des moyens disponibles, à conserver le même train de vie que durant la vie commune, tant que le mariage existe. Il y a lieu de distinguer ce principe émanant de l’art. 163 CC de l’entretien convenable prévu à l’art. 125 CC ; la notion d’entretien (post-divorce) « convenable » se réfère notamment à la dimension temporelle. Le seul principe provenant de l’entretien post-divorce applicable en mesures protectrices est la possibilité d’exiger une reprise ou une augmentation de l’activité lucrative. En revanche, une limitation dans le temps de l’entretien en mesures protectrices est contraire au principe d’égalité de traitement à la base de l’art. 163 CC et relève donc de l’arbitraire.

Droit à la vie privée et familiale ; impossibilité d’obtenir la reconnaissance d’un lien de filiation entre un enfant et l’ancienne compagne de la mère biologique. L’arrêt porte sur deux affaires. La première concerne le rejet par les juridictions internes de la demande visant à l’adoption plénière d’un enfant (conçu par un « donneur amical »). La seconde affaire concerne le refus des juridictions internes de délivrer une action de notoriété établissant la filiation, par possession d’état, entre un enfant né d’une PMA à l’étranger et l’ancienne compagne de sa mère biologique. Depuis la séparation des couples, malgré l’absence de reconnaissance juridique du lien de filiation, les enfants et les requérants ont mené une vie familiale comparable à celle de la plupart des familles après la séparation du couple parental. Par ailleurs, aucun lien légal n’a été établi à l’étranger avec les compagnes. Néanmoins, il existe en France des instruments juridiques permettant d’obtenir une reconnaissance de la relation entre un enfant et un adulte qui, même si elles n’entraînent pas l’établissement d’un lien juridique de filiation, a toutefois pour effet d’autoriser à exercer des droits et des devoirs qui se rattachent à la parentalité. Pas de violation de l’art. 8 CEDH.

Droit à la vie privée et familiale. Enfant conçu dans le cadre d’une GPA en France à la demande d’un couple de même sexe. L’enfant est finalement remis par la mère porteuse à un autre couple, qui ignore l’origine du projet. Refus d’établir la paternité juridique du requérant à l’égard de son fils biologique. Motifs compatibles avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est de conserver sa filiation avec le couple avec lequel il vivait, sachant que le moment venu il pourrait obtenir la vérité sur ses origines. En revanche, la durée de la procédure (plus de 6 ans) est incompatible avec le devoir de diligence qui s’impose dans les circonstances de la cause, ce qui constitue une violation de l’art. 8 CEDH.

Droit à la vie privée et familiale. Refus de reconnaître la filiation maternelle et d’attribuer des droits parentaux à la mère d’intention d’un enfant né d’une GPA aux Etats-Unis. Pas de violation.

Reconnaissance de la parentalité suite au recours à une maternité de substitution en Géorgie. Le TF examine si les règles de droit international privé permettent de procéder à une transcription dans les registres de l’état civil d’actes de naissance géorgiens ou si une reconnaissance d’une décision étrangère est possible dans ce cas. En l’espèce, les actes de naissance géorgiens ne font que constater une filiation établie ex lege, de sorte qu’une transcription à l’état civil n’est pas possible. Selon le principe mater semper certa est qui trouve application en droit suisse, la mère ayant donné la naissance est la mère juridique (soit en l’espèce la mère de substitution). La mère d’intention ne peut pas être reconnue en tant que mère juridique, ce qui reste conforme à la Constitution fédérale et aux conventions internationales, en particulier la CEDH, étant donné qu’une ouverture à établir sa parentalité est toujours possible par le biais d’une adoption. Pour le père d’intention, sa parentalité juridique peut être reconnue par le biais du contrat de maternité de substitution effectué en Géorgie, valant reconnaissance des enfants conformément aux conditions du droit suisse. En lien avec cet arrêt, voir également arrêt du TF 5A_32/2021 du 1er juillet 2022 (d) (publication prévue), qui porte sur un état de fait similaire (aussi recours à une GPA en Géorgie) et sur la question de la reconnaissance de la filiation avec les parents d’intention.

Moment de la liquidation. Dans le cas où la liquidation du régime matrimonial est réglée par voie judiciaire, la date du jugement ou une date aussi proche que possible de cette date est déterminante. Il est toutefois possible de déroger à ce principe notamment par accord des parties, qui peut être implicite (consid. 3.2). En principe il est acceptable que l’autorité judiciaire inférieure considère la date du jugement de première instance et non celle de sa propre décision comme déterminante pour le moment de la liquidation du régime matrimonial. La situation ne serait différente que si l’instance inférieure avait statué sur la demande d’indemnisation de manière réformatoire (consid. 3.4).

En cas de séparation de biens, lorsqu’un bien est en copropriété, une partie peut demander que ce bien lui soit attribué entièrement si elle justifie d’un intérêt prépondérant, à charge de désintéresser l’autre partie (art. 251 CC). L’intérêt prépondérant peut revêtir diverses formes. Il faut que la partie requérante puisse se prévaloir d’une relation particulièrement étroite avec le bien litigieux, quels qu’en soient les motifs. L’intérêt prépondérant consistera par exemple dans le fait que la partie requérante a pris une part décisive à l’acquisition du bien commun, qu’elle manifeste un intérêt particulier pour ce bien, que le bien a été apporté par elle au mariage ou qu’il s’agit d’un bien de l’entreprise dont elle s’occupe. Le TF fait preuve de retenue lors de l’examen de la pesée de l’intérêt effectuée par le tribunal matrimonial (consid. 5.1).

Calcul du revenu d’un immeuble. Les charges latentes doivent en principe être prises en compte en tant que facteur dépréciatif lors de l’estimation d’un immeuble afin de garantir que les deux conjoint·e·s ne partagent pas seulement un éventuel gain, mais supportent aussi équitablement les charges, respectivement le risque de leur concrétisation. On ne peut dégager aucune règle générale permettant de déterminer l’effet de la charge latente sur la valeur du bien grevé. Le tribunal devra ainsi souvent se contenter de déterminer les charges « ex aequo et bono ». Les parties doivent alléguer de manière détaillée les éléments permettant de statuer. Elles doivent en sus détailler la probabilité de leur concrétisation, et ce d’autant plus que la liquidation du régime matrimonial n’entraîne pas de transfert de propriété. Constitue une question de droit le fait de déterminer comment prendre en compte « ex aequo et bono », lors de l’estimation d’un bien dans la liquidation du régime matrimonial, les impôts qui pourraient intervenir à l’avenir, en tant que charges latentes. Parmi les éléments de fait déterminants ne se trouve pas uniquement la probabilité de survenance de l’événement entraînant la taxation et les paramètres de calcul concrets, mais également les prescriptions légales concernant l’objet, l’évaluation et le calcul de l’impôt en question. Le tribunal du divorce n’applique pas les dispositions légales fiscales pour savoir si l’aliénation d’un bien entraîne une taxation. Au contraire, il doit déterminer, selon les critères du droit civil, la valeur des biens des conjoint·e·s à retenir pour la liquidation du régime matrimonial. Dans ce cadre, la prise en compte d’un impôt futur est une question de fait (consid. 3.4.4).

Les revenus visés par l’art. 197 al. 2 ch. 4 CC sont en principe des revenus bruts. Toutefois, lorsque les biens visés sont sujets à dépréciation, il s’agit généralement d’exclure des acquêts une partie des rendements à titre d’amortissement. S’agissant plus particulièrement d’une entreprise figurant dans les biens propres, les revenus déterminants s’entendent déduction faite des frais généraux (y compris la rémunération éventuelle du conjoint ou de la conjointe qui dirigerait l’entreprise) et des amortissements usuels en matière commerciale (consid. 4.1.1). Il est admis que les bénéfices reportés (« zurückbehaltene Gewinne ») d’une société anonyme faisant partie des biens propres d’un·e conjoint·e constituent un investissement des acquêts susceptible de donner lieu à récompense selon l’art. 209 al. 3 CC. L’application de l’art. 197 al. 2 ch. 4 CC aux bénéfices reportés ne vaut toutefois pas si ceux-ci sont notamment affectés à la constitution de réserves destinées à assurer durablement la prospérité de l’entreprise (art. 674 al. 2 ch. 2 CO). Ainsi, pour considérer le bénéfice reporté comme un revenu des biens propres, on doit être en présence d’un bénéfice distribuable retenu et thésaurisé, soit d’actifs non nécessaires à l’exploitation de la société. La partie qui invoque l’existence de bénéfices reportés justifiant une récompense supporte le fardeau de la preuve (art. 8 CC) (consid. 4.1.2).

ATF 148 III 21 (d)

2021-2022

Conséquences du non-paiement de la provisio ad litem. L’obligation d’un·e conjoint·e d’assister l’autre en cas de litige par le versement d’une provisio ad litem découle du devoir d’entretien et du devoir d’assistance entre personnes mariées. Sur la question de savoir si l’obligation de verser une provisio ad litem pourrait être qualifiée d’acte de procédure, le TF retient que, faute de base légale, l’exécution de cette obligation ne saurait être érigée en condition de recevabilité de la demande de divorce, pas même par le biais des règles applicables en cas de défaut d’une partie.

Droit à la vie privée et familiale. Les deux affaires portent sur des décisions de placement d’enfant, avec restriction du droit de visite dans le premier cas et autorisation d’adoption dans le second cas. Dans la première affaire, les juridictions internes prévoyaient dans l’ordonnance de placement que l’enfant devait être élevé dans une famille d’accueil, mais sans tenter de faciliter le rapprochement de la famille (réglementation de contact très restrictive). Dans la seconde affaire, la décision d’autorisation d’adoption qui suivait le placement était justifiée au vu de la gravité du risque auquel les enfants étaient exposés (négligences graves, violences physiques et abus sexuels, forte exposition médiatique par la mère).

Composition de l’APEA pour une décision de placement par mesures provisionnelles portant sur le retrait du droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant et son placement. Les interprétations littérale et systématique de la loi laissent penser à une grande liberté des cantons, néanmoins les interprétations (prépondérantes) historique et téléologique mettent en évidence que l’autorité législative n’a pas voulu donner un blanc-seing aux cantons. Elle a imposé le principe d’interdisciplinarité de l’autorité. Elle a exclu une compétence individuelle pour des mesures impliquant un pouvoir d’appréciation important ou portant gravement atteinte à la liberté personnelle. Le retrait du droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant et son placement relèvent du domaine central du droit de la protection de l’enfant. La mesure, même provisionnelle, porte en général une atteinte grave à des droits fondamentaux de l’enfant, de sorte qu’il convient de conférer une importance particulière aux principes d’interdisciplinarité et de collégialité : l’exigence d’une compétence décisionnelle collégiale n’apparaît en outre pas impraticable.