Droit des sociétés

ATF 149 III 1 (d)

2022-2023

Droit de proposition ; annulabilité des décisions de l’assemblée générale. Une société anonyme tient une assemblée générale par écrit, en vertu de la législation Covid-19 et envoie les documents de vote à ses actionnaires. Une actionnaire s’adresse au conseil d’administration et lui présente des propositions, ce qui est refusé par le conseil d’administration, qui ne soumet pas lesdites propositions au vote. Le TF juge cela inadmissible : tout actionnaire a le droit, dans le cadre des objets portés à l’ordre du jour, de faire des propositions écrites ou orales, avant et pendant l’assemblée générale, et les dispositions des ordonnances Covid‑19 sur les assemblées de sociétés n’avaient pas pour vocation de limiter le droit de proposition des actionnaires. Il s’agit toutefois d’un cas d’annulabilité et non de nullité.

Demande de convocation d’une assemblée générale ; degré de preuve. Lorsque le conseil d’administration ne donne pas suite à la demande de convocation d’une assemblée générale ordinaire par les actionnaires détenant au moins 10% du capital-actions, la convocation peut être ordonnée par le tribunal à la demande des requérants (art. 699 al. 3 et 4 aCO, 699 al. 3 et 5 CO). Le degré de preuve requis est celui de la simple vraisemblance. Cette exigence est satisfaite dès lors que le juge, en se fondant sur des éléments objectifs, à l’impression que tous les faits pertinents se sont produits avec une certaine probabilité, tout en n’excluant pas qu’ils aient pu se produire autrement. La doctrine retient une probabilité de 51%. En l’espèce, malgré des divergences avec une convention d’actionnaires, les inscriptions dans le registre des actionnaires, le testament public et la déclaration fiscale du donataire, le TF retient qu’un document sous seing privé, attribuant 25 actions à chacun des requérants de la convocation et confirmé par un avocat, répond au degré de preuve requis. Les requérants disposent donc de la qualité d’actionnaire leur permettant de requérir la convocation d’une assemblée générale ordinaire.

Demande de convocation d’une assemblée générale ; violation des statuts. Un investisseur est propriétaire de 60% des actions d’une entreprise textile de Bâle-Campagne et demande la tenue d’une assemblée générale visant à réélire le conseil d’administration, ce qui lui est refusé. Il s’adresse alors au juge civil. Le requérant qui entend demander au juge d’ordonner la convocation d’une assemblée générale (art. 699 al. 3 et 4 aCO ; art. 699 al. 5 CO) doit rendre vraisemblable qu’il détient la qualité d’actionnaire et que le conseil d’administration n’a pas donné suite à la demande dans un délai raisonnable. Ce degré de preuve vaut également pour l’établissement des modalités statutaires de convocation. Le TF rappelle également que le juge saisi de la requête de convocation n’a pas à se prononcer sur la question de savoir si les décisions à prendre lors de l’assemblée générale seraient valables, ces questions pouvant être examinées dans le cadre d’une éventuelle action en annulation ou en nullité des décisions prises.

Action en annulation d’une décision de l’AG ; abus de majorité ; abus de droit. Dans cet arrêt, se posait la question de savoir si le fait, pour l’actionnaire majoritaire, de procéder à une modification des statuts, dans le seul but de réduire le nombre de représentants au conseil d’administration octroyé statutairement à l’actionnaire minoritaire (le faisant passer de quatre à un, au sein d’un conseil d’administration composé de douze membres), était constitutif d’un abus de droit. Le TF rappelle qu’une décision prise par la majorité est abusive au sens de l’art. 2 al. 2 CC aux trois conditions suivantes : (1) elle n’est pas justifiée par des motifs économiques raisonnables, (2) elle lèse manifestement les intérêts de la minorité, et (3) elle favorise sans raison les intérêts particuliers de la majorité. En l’espèce, les conditions pour admettre l’abus sont données : il est mathématiquement incontestable qu’avec un seul représentant, le représentant du minoritaire devrait convaincre davantage d’administrateurs (6 au lieu de 3) pour emporter un vote du conseil (majorité de 7) ; en outre, le pouvoir de persuasion du représentant minoritaire sur les autres administrateurs s’en trouverait diminué. La réduction des représentants de la minorité et, partant, leur capacité d’influencer les autres membres du conseil d’administration, est à l’origine, d’une part, de la lésion des intérêts de la minorité et, d’autre part, de la favorisation des intérêts de la majorité. L’annulation de la décision de l’assemblée générale approuvant la modification des statuts est donc confirmée.

Art. 699 al. 3 et 4 CO

Convocation d’une assemblée générale ordonnée par le juge et inscription à l’ordre du jour. Le TF commence par rappeler les conditions requises à la convocation d’une assemblée générale et les conséquences si le conseil d’administration ne donne aucune suite, à savoir la convocation ordonnée par le juge à la demande des requérants. Le TF précise que le juge ne procède qu’à un examen formel de la requête, permettant ainsi au requérant de se contenter de rendre vraisemblable sa qualité d’actionnaire autorisé à requérir la convocation et le fait qu’il ait déjà demandé, sans succès, une telle convocation auprès du conseil d’administration. Le TF ajoute que le juge n’a pas à examiner la validité des décisions de l’assemblée générale suite à la convocation et l’inscription à l’ordre du jour étant donné que cette question ne sera analysée qu’à l’occasion d’une potentielle action en annulation ou en nullité. Le TF précise que le fait de simplement mentionner des objets à discuter dans la requête de convocation d’assemblée générale par le juge suffit à remplir les conditions formelles d’inscription à l’ordre du jour sans qu’il ne soit nécessaire de préciser concrètement leur inscription à l’ordre du jour.

Art. 162 ORC ; 699 et 701 CO

Convocation ; assemblée générale et universelle ; mesures provisionnelles ; blocage du registre. Un administrateur unique convoque une assemblée générale ordinaire. L’un des actionnaires souhaite inscrire à l’ordre du jour d’une assemblée générale ordinaire l’élection d’un nouvel administrateur. Pour éviter son éviction, l’administrateur unique reporte l’assemblée générale. La totalité des actionnaires se réunit alors (assemblée universelle) et décide de remplacer l’administrateur. L’administrateur fait bloquer le registre par des mesures provisionnelles (art. 162 ORC). Cela permet au TF de mettre en exergue les risques d’abus de telles mesures : pour y remédier, les retards inutiles doivent être évités et l’autorité qui statue sur recours (art. 318 al. 1 lit. b CPC) doit être autorisée à statuer sur le fond, sans renvoi pour nouvelle décision. Enfin, sans motivation suffisante de la part du demandeur, la question de savoir si le report d’une assemblée générale est soumis par analogie au délai de 20 jours prévu à l’art. 700 al. 1 CO reste ouverte. L’instance cantonale y avait répondu par l’affirmative.

Art. 689 et 706 CO

Représentation de l’actionnaire ; actionnaire minoritaire ; annulation. En invoquant le principe de l’égalité de traitement et de ménagement dans l’exercice des droits, un actionnaire minoritaire conteste une décision de l’AG autorisant la représentation des actionnaires uniquement lorsque le représentant est lui-même actionnaire et que le conseil d’administration le reconnait comme représentant. Les autres actionnaires forment un cercle fermé et sont tous membres du conseil d’administration ou du moins étroitement liés au conseil d’administration. Le Tribunal de commerce zurichois relève qu’une telle clause statutaire a pour effet que l’actionnaire minoritaire, lorsqu’il souhaite se faire représenter, n’a d’autre choix que de confier la représentation à un actionnaire qui s’oppose à lui, ou de laisser ses actions non-représentées. L’intérêt à préserver la confidentialité des informations révélées durant l’assemblée générale pourrait être atteint de manière moins incisive, par exemple en exigeant uniquement que le représentant soit indépendant. Une telle restriction statutaire est donc illicite et la décision de l’assemblée générale sur laquelle elle repose doit être annulée selon l’art. 706 al. 2 ch. 1 et 2 CO.

Art. 2 CC et 696, 699, et 705 CO

Convocation d’une assemblée générale ; abus de droit. La société Z. SA est administrée par B. et X. Tous deux sont actionnaires aux cotés de A. Par la suite, les pouvoirs de X. ont été révoqués lors d’une AG et ce dernier fait l’objet de plusieurs poursuites pénales et civiles intentées par la société. La société a, subséquemment, cessé ces activités. X. va requérir la convocation d’une AG par voie judiciaire ayant pour ordre du jour la révocation de B. et sa propre nomination en tant qu’administrateur. Le TF doit se prononcer sur le caractère abusif (art. 2 al. 2 CC) de la convocation de l’AG par X. En l’occurrence, X. cherche par sa nomination en qualité d’administrateur à mettre un terme aux procédures intentées à son encontre par la société. X. n’a donc aucun intérêt légitime à demander la convocation d’une AG, puisqu’il cherche à utiliser une institution contre son but. En sus, le grief, invoqué par X., de l’absence d’établissement de rapports de gestion et de comptes sociaux de certaines années est dénué de sens dans la mesure où la société avait cessé ses activités avant même lesdites années et que X. n’a par ailleurs jamais requis la transmission des rapports de gestion et des comptes que la société s’est pourtant dite disposée à lui fournir.

Art. 706 CO

Abus de droit ; actionnaire minoritaire ; augmentation de capital ; dilution. Au cours d’une assemblée générale, l’actionnaire majoritaire d’une SA décide d’une augmentation de capital extrêmement élevée, faisant passer le capital-actions de la société de CHF 120'000.- à CHF 1’620'000.-. La participation de l’actionnaire minoritaire, qui n’exerce pas son droit préférentiel de souscription, passerait de 30% à 2%. L’actionnaire minoritaire fait bloquer le RC ; il argue que la décision d’augmentation lui cause un préjudice grave et disproportionné et devrait être annulée, selon l’art. 706 CO. Le TF rappelle qu’il existe un principe de ménagement dans l’exercice des droits (qui est un cas spécifique d’abus de droit) qui veut que les décisions de la majorité ne compromettent pas les droits de la minorité, alors même que le but poursuivi aurait pu être atteint de manière moins dommageable et sans inconvénient pour la majorité. En l’espèce, il est constaté que la société avait certes besoin de fonds pour des appareils et des locaux, mais qu’il aurait été possible de procéder à une émission d’actions au-dessus du pair, permettant d’injecter la même somme dans la société, sans pour autant pour diluer l’actionnaire minoritaire de manière aussi drastique. Le TF donne donc raison à l’actionnaire minoritaire, renvoie la cause à l’autorité précédente et maintient le blocage du registre du commerce.

Art. 693 al. 3 ch. 1, 706 al. 2 CO ; élection de l’organe de révision ; actions à droit de vote privilégié ; voix prépondérante ; principe selon lequel un droit doit être exercé avec ménagement.

Les statuts peuvent conférer au président de l’assemblée générale, en général et en l’espèce le président du conseil d’administration, le vote décisif en cas d’égalité des voix. L’élection du président du conseil d’administration se fait généralement à la majorité des voix et non à la majorité du capital. Mais en combinaison avec le principe de voix prépondérante du président, une personne élue à la majorité des voix peut décider, par sa voix prépondérante, de l’élection de l’organe de révision, même sans l’accord de la majorité du capital. Cette situation de fait est incompatible avec l’art. 693 al. 3 CO qui impose que l’organe de révision soit élu à la majorité du capital-actions. De plus, l’introduction générale, par le biais d’une révision des statuts, d’une voix prépondérante du président du conseil d’administration pour les élections déroge au principe selon lequel les actionnaires majoritaires doivent ménager autant que possible les droits des actionnaires minoritaires (« schonende Rechtausübung ») et a été, à raison, annulé par le Tribunal de première instance. En l’espèce, la modification statutaire a été adoptée sans justification valable, uniquement dans le but d’éviter que l’actionnaire minoritaire puisse refuser de réélire l’organe de révision. Néanmoins, le TF a laissé ouverte la question de savoir si l’ATF 95 II 555 devait être maintenu ou si les statuts peuvent prévoir une voix prépondérante seulement pour les majorités relatives, mais pas en cas de majorités qualifiées.

TF 4A_331/2008

2008-2009

La décision d’augmentation conditionnelle du capital-actions par l’assemblée générale est un fait non soumis à publication. Le capital augmente au moment et dans la mesure de l’exercice des droits de conversion ou d’option octroyés par le conseil d’administration (art. 653 al. 2 CO). L’inscription par le conseil d’administration (art. 653h CO) de la modification des statuts au registre du commerce a une fonction déclarative. Dès son inscription, l’augmentation de capital affectée d’un vice ne peut être corrigée que par une procédure de réduction de capital (art. 732 ss CO) (consid. 2.2). En cas de rejet de l’action en annulation d’une décision de l’assemblée générale, le juge répartit librement les frais entre la société et le demandeur (art. 706a al. 3 CO), selon les circonstances du cas d’espèce. Le juge ne peut toutefois s’écarter des principes généraux liés au sort de l’action lorsque le demandeur n’est pas un petit actionnaire dont l’intérêt financier au sort de la cause apparaît faible (consid. 5).