Droit du sport

(Sun Yang c. Agence Mondiale Antidopage [AMA], Fédération Internationale de Natation [FINA]) ; demande de révision de la sentence du TAS du 28 février 2020 tendant à l’annulation de celle-ci et à la récusation du président de la formation arbitrale. Sur la base de l’art. 121 let. a LTF, le requérant fait valoir qu’il a appris sur un site internet que le président de la formation arbitrale a tenu sur son compte personnel Twitter, à réitérées reprises, des commentaires inacceptables à l’égard des ressortissants chinois, ce qui est propre à soulever des doutes légitimes sur la l’impartialité dudit arbitre. Se référant à un arrêt de principe rendu avant la réforme du chapitre 12 de la LDIP (entrée en vigueur le 1er janvier 2021) qui n’avait toutefois pas formellement tranché la question (ATF 142 III 521), le TF admet que la découverte postérieurement à l’échéance du délai de recours d’un motif susceptible de provoquer la récusation d’un arbitre peut valablement fonder une demande de révision d’une sentence arbitrale en matière internationale, « à la condition que la partie requérante n’ait pas pu découvrir le motif de récusation durant la procédure arbitrale en faisant preuve de l’attention commandée par les circonstances » (consid 4.2). Le nouvel art. 190a al. 1 let. c LDIP (pas encore applicable en l’espèce) prévoit désormais que : « une partie peut demander la révision d’une sentence si elle découvre après coup des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants qu’elle n’a pu invoquer dans la procédure précédente bien qu’elle ait fait preuve de la diligence requise; les faits ou moyens de preuve postérieurs à la sentence sont exclus ». Dans un premier moyen de défense, l’AMA faisait valoir que le requérant fondait sa demande de révision sur un moyen de preuve postérieur à la sentence (à savoir un article paru sur internet le 15 mai 2020) visant à établir des faits antérieurs à la procédure arbitrale (à savoir des tweets que l’arbitre en question avait publiés entre 2018 et 2019). Il s’ensuit que la demande serait, de ce fait, irrecevable. Le TF ne partage pas cet avis et, au contraire, considère que le fondement de la demande de révision n’est pas l’article du 15 mai 2020 mais bien les tweets publiés par l’arbitre. En effet, l’article en question sert uniquement à déterminer à quel moment le requérant a découvert le motif susceptible de récusation. Dès lors, la présentation de faits nouveaux ou de moyens de preuves nouveaux (soit postérieurs à la sentence) sont recevables dans la mesure où ils permettent de déterminer la recevabilité d’un acte soumis à l’examen du TF (consid. 5.2). Dans un deuxième moyen de défense, l’AMA reproche au requérant qu’il aurait pu découvrir le motif de récusation déjà pendant la procédure arbitrale en faisant preuve « d’un tant soit peu de diligence ». A ce sujet, il est généralement admis qu’une demande de révision fondée sur l’impartialité d’un arbitre ne peut être admise qu’à l’égard d’un motif de récusation que le requérant (i) n’avait pas déjà découvert durant la procédure arbitrale ou (ii) qui ne pouvait raisonnablement pas être découvert en faisant preuve de l’attention commandée par les circonstances (consid. 6.1). C’est un corollaire du principe de bonne foi qui s’oppose à ce que l’une partie garde « en réserve » un argument pour l’invoquer ultérieurement en cas d’issue défavorable du litige. La jurisprudence impose aux parties un « devoir de curiosité » quant à l’existence d’un éventuel motif de récusation susceptible d’affecter la composition du tribunal arbitral (consid. 6.5). Le TF a déjà eu l’occasion de relever que ce devoir de curiosité implique de la part des parties des « investigations » actives, notamment sur internet (par exemple, sur le site internet du TAS, cf. arrêts TF 4A_234/2008, consid. 2.2.2 et TF 4A_506/2007, consid. 3.2) ; toutefois, ce devoir « n’est pas illimité » et, en particulier, une partie n’est pas tenue de consulter toutes les informations librement accessibles sur internet. A cet égard, le TF reconnait qu’une partie doit effectuer les recherches qui s’imposent en vue des circonstances, notamment à l’aide d’un moteur de recherche (en l’occurrence sur Google). Le TF n’exclut pas non plus que le devoir de curiosité puisse être étendu « dans certaines limites du moins » à des recherches sur divers réseaux sociaux. En l’espèce, il est admis que « théoriquement » le requérant aurait pu avoir accès aux tweets litigieux pendant la procédure arbitrale et donc invoquer le motif de récusation plus tôt. Il n’en demeure pas moins que, en l’absence de toute autre circonstance l’alarmant sur l’existence d’un risque potentiel de partialité de l’arbitre, le requérant n’est pas tenu de déceler des tweets dont la plupart ont été publiés bien avant le début de la procédure d’arbitrage. Dans un troisième (et dernier) moyen de défense, l’AMA faisait au surplus valoir que les faits découverts par le requérant n’étaient pas de nature à remettre en cause l’impartialité de l’arbitre. Sur ce point, après avoir rappelé sa propre jurisprudence (pour les références voir consid. 7.1 et 7.2), notre Haute Cour se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui, notamment dans l’affaire Mutu et Pechstein c. Suisse, a retenu que l’impartialité de l’arbitre se définit généralement comme « l’absence de préjugé ou parti pris » et s’apprécie non seulement d’un point de vue subjectif (en se focalisant sur la conviction personnelle de l’arbitre), mais également d’un point de vue objectif (en regardant si le tribunal offre les garanties d’impartialité nécessaires), selon le célèbre adage « justice must not only be done : it must also be seen to be done » (consid. 7.3). De plus, le TF se réfère également aux lignes directrices sur les conflits d’intérêts en matière d’arbitrage international édictées par l’International Bar Association (IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration) (consid. 7.4). A la lumière de ces références, le TF analyse les propos tenus par l’arbitre dans les tweets en question. Il en résulte que l’arbitre avait critiqué sévèrement la consommation de viande canine (notamment lors d’un festival en Chine) et dénoncé certains ressortissants chinois coupables, à ses yeux, de tortures envers les animaux. De l’avis du TF, ce qui apparait problématique en l’espèce n’est pas la « cause défendue » par l’arbitre, mais plutôt « certains termes utilisés » (tels que, par exemple, « yellow face »). En effet, bien que ces termes soient adressés précisément à des personnes identifiées comme étant coupables d’avoir torturé des animaux et que l’arbitre lui-même ait reconnu, par la suite, qu’ils « dépass[aient] ses pensées », ces propos sont « objectivement de nature à faire naitre des doutes sur l’impartialité de l’arbitre » (consid. 7.9). Demande de révision admise, sentence attaquée annulée.