Propriété intellectuelle

Art. 19, 59, 60 LDA ; 55, 58 CPC

D’après l’art. 59 al. 3 LDA, les tarifs lient le juge lorsqu’ils sont en vigueur. Cette disposition sert la sécurité du droit : le juge civil ne doit pas à nouveau examiner l’équité d’un tarif puisque cette question est traitée dans le cadre de la procédure administrative d’approbation de ce tarif. Toutefois, le juge civil peut et doit vérifier que les sociétés de gestion, sur la base d’un tarif, ne font pas valoir de droits à rémunération incompatibles avec les dispositions impératives de la loi, en particulier lorsque l’utilisation est libre d’après la LDA. Au surplus, l’application et l’interprétation d’un tarif dans un cas particulier sont des questions juridiques du ressort des tribunaux civils (consid. 3.3).

La réglementation concernant l’usage privé, comme toute la LDA, est « technologiquement neutre ». Elle vaut pour les copies effectuées sur une base analogique comme pour les copies numériques (consid. 3.4.1). Pour cette raison, les principes de l’ATF 125 III 141 concernant les photocopies sont aussi applicables aux reproductions réalisées sur l’intranet d’une entreprise. Dans cet arrêt le TF a estimé admissible qu’une redevance soit forfaitaire et qu’elle soit due indépendamment du fait qu’une œuvre soit ou non reproduite. Cela peut certes s’avérer insatisfaisant dans des cas particuliers, mais est inévitable dans le domaine des utilisations massives incontrôlables. La simple possibilité de reproduire une œuvre dans le cadre de la licence légale de l’art. 19 al. 1 lit. c LDA suffit donc à justifier la redevance (consid. 3.4.2). Le projet de révision de la LDA du 15 septembre 2004 prévoyait une « redevance sur les appareils », ainsi qu’une exonération pour les petites et moyennes entreprises qui ne reproduisent qu’accessoirement des œuvres à des fins d’information interne ou de documentation. Le législateur a cependant renoncé à une telle réglementation, cela à une époque (2007) où l’environnement numérique existait déjà. Le recourant doit donc s’acquitter de la redevance tarifaire, même s’il se peut qu’il n’utilise pas son réseau numérique pour des actes de copie. Les art. 55 et 58 CPC n’impliquent pas que ProLitteris allègue les différents actes de reproduction du recourant (consid. 3.4.3).

Art. 9 al. 2 CB, 10 al. 2 lit. a LDA, 19 al. 2, 19 al. 3 lit. a, 20 al. 2

L’article 19 al. 2 LDA doit empêcher qu’un tiers comme une bibliothèque viole le droit de l’art. 10 al. 2 lit. a LDA lorsqu’il réalise une copie pour une personne pouvant se prévaloir de l’exception d’usage privé. La loi n’exige pas que le service du tiers se limite à la copie si les autres prestations ne tombent pas sous le coup du droit d’auteur (consid. 3.4.2). Or, la remise de la copie à la personne qui l’a commandée n’est pas un acte couvert par le droit d’auteur. Dans le cadre de l’art. 19 al. 2 LDA, la confection de cette copie est attribuée à la personne qui la commande, ce qui exclut un acte de distribution (au sens du droit d’auteur) lorsque le tiers livre la reproduction à cette personne (consid. 3.4.3). La limite de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA est applicable lorsqu’une personne recourt à un tiers selon l’art. 19 al. 2 LDA pour réaliser une copie privée (consid. 3.5.1). La révision de la LDA en 2007 n’a rien changé à cette situation (consid. 3.5.2). Tout autre résultat serait contraire au test des trois étapes prévu par l’art. 9 al. 2 CB (consid. 3.5.3). Ce n’est pas l’œuvre selon l’art. 2 LDA qui forme un « exemplaire d’œuvre » au sens de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA, mais l’objet offert sur le marché, c’est-à-dire le livre, la revue, le CD, le DVD, etc. (consid. 3.6.3). L’exemplaire d’œuvre visé par l’art. 19 al. 3 lit. a LDA est celui qui est concrètement utilisé pour réaliser la copie. D’après le texte de cette disposition, une reproduction d’un exemplaire d’œuvre (par exemple d’une revue), sous forme d’extrait, ne constitue pas une reproduction d’un autre exemplaire d’œuvre disponible sur le marché (par exemple un document en ligne), lequel contiendrait aussi l’article copié, mais n’aurait pas été utilisé pour réaliser la copie dans le cas concret. Il n’y a pas lieu d’exiger que la personne réalisant la copie se renseigne pour savoir si l’extrait reproduit est disponible autrement sur le marché, sous forme d’unité vendue séparément (consid. 3.6.4). D’après le droit international et le test des trois étapes, les restrictions au droit de reproduction doivent certes être interprétées de manière à ne pas porter concurrence à la vente d’exemplaires d’œuvres. Mais l’art. 19 LDA vise un équilibre avec les intérêts de tiers. L’intérêt de la collectivité à s’informer doit donc aussi être pris en compte. Or, celui-ci serait menacé s’il suffisait aux éditeurs, pour empêcher la reproduction d’une revue sous forme d’extraits, de mettre en ligne séparément les différents articles ou chapitres (consid. 3.6.5). Au surplus, l’exploitation normale de l’œuvre, au sens du test des trois étapes, n’est pas menacée, puisque le tiers visé par l’art. 19 al. 2 ne peut pas procéder aux copies à l’avance (en dehors de toute commande concrète), alors que les articles figurant dans des archives en ligne peuvent être recherchés et téléchargés directement. S’agissant de la troisième étape du test, les intérêts de la collectivité l’emportent sur ceux des ayants droit, puisque ces derniers sont rémunérés conformément à l’art. 20 al. 2 LDA (consid. 3.6.6). En résumé, sur demande d’une personne bénéficiant de l’exception d’usage privé, la défenderesse peut reproduire des articles tirés d’une revue ou d’un recueil, cela même si ces articles sont offerts individuellement dans un service d’archives en ligne ; elle peut ensuite livrer les copies à la personne qui les a commandées (consid. 3.6.7).

Art. 10 al. 2 lit. f, 19 al. 1 lit. a, 22 al. 1, 33 al. 2 lit. e et 37 lit. b LDA, art. 59 LDA, art. 60 LDA

L’utilisation d’appareils de radio/télévision et de phono/vidéogrammes dans des chambres d’hôtels et d’hôpitaux, dans des logements de vacances ou dans des cellules de prison, n’est pas un usage privé au sens de l’art. 19 al. 1 lit. a LDA. Il s’agit en effet d’un cas d’application du droit exclusif de faire voir et entendre des œuvres (art. 10 al. 2 lit. f LDA, art. 33 al. 2 lit. e LDA et art. 37 lit. b LDA), lequel ne peut être exercé que par les sociétés de gestion d’après l’art. 22 al. 1 LDA, ou du droit voisin de l’art. 35 LDA. Ce n’est pas la jouissance de l’œuvre par le client ou le patient qui est déterminante au niveau du droit d’auteur, mais le fait que celle-ci soit transmise par l’exploitant de l’hôtel, du logement de vacances ou de l’hôpital. La situation est semblable à celle régie par le tarif commun 3b, auquel les compagnies d’aviation sont assujetties parce qu’elles mettent un équipement de divertissement à disposition des passagers (consid. 6.1). En droit européen, la Cour de justice a aussi estimé le 18 mars 2010 (C-136/09) qu’il y avait une communication publique lorsqu’un hôtelier place des appareils de télévision dans les chambres et les relie à une antenne centrale (consid. 6.2). Comme des recettes sont réalisées grâce aux chambres d’hôtels, d’hôpitaux et grâce aux logements de vacances, il n’est pas exclu de se baser sur ces recettes pour calculer la redevance due pour la réception d’émissions dans de tels locaux. Mais il faut prendre en compte le fait que lesdites recettes ne sont pas directement en rapport avec les utilisations pertinentes selon le droit d’auteur (consid. 7). D’après la pratique de la CAF, les pourcentages maximaux de 10 % et de 3 % prévus par l’art. 60 al. 2 LDA ne peuvent pas être épuisés sans autre, particulièrement en cas de nouveaux tarifs. En l’espèce, un tel épuisement serait problématique aussi parce que les recettes ne sont réalisées qu’accessoirement grâce aux biens protégés par la LDA (consid. 8). Comme la réception d’émissions dans les locaux susmentionnés n’a jamais fait l’objet d’un tarif, on ne peut pas parler d’augmentation abrupte de la redevance à payer. Toutefois, comme les pourcentages de l’art. 60 al. 2 LDA ne peuvent pas être épuisés, la CAF ne peut pas approuver un tarif qui conduirait à une redevance plus importante que celle prévue par le tarif commun 3a pour la réception d’émissions dans d’autres locaux que ceux faisant l’objet de la procédure (consid. 9).

Art. 19 LDA, art. 20 LDA

La télévision de rattrapage qualifie un service par lequel l’utilisateur donne l’ordre d’enregistrer non pas une œuvre, mais un ou plusieurs programmes de télévision. Les émissions sont ensuite enregistrées dans une mémoire centrale appartenant au prestataire de service. Selon les cas, le consommateur déclenche lui-même le processus de copie ou, pour des raisons techniques, il bénéficie d’un enregistrement réalisé suite à un ordre précédent d’un autre consommateur. Pendant une durée déterminée, le consommateur peut appeler et visionner les émissions figurant dans les programmes enregistrés (consid. 4). La télévision de rattrapage relève de la copie privée au sens de l’art. 19 al. 1 lit. a LDA, réalisée grâce à un tiers au sens de l’art. 19 al. 2 LDA. Ce dernier doit payer une redevance d’après l’art. 20 al. 2 LDA. Il importe peu que le consommateur soit lui-même à l’origine du processus de copie ou qu’il bénéficie d’un enregistrement réalisé suite à l’ordre d’un autre consommateur. En revanche, le prestataire de service ne peut pas réaliser les copies à l’avance, sans qu’un consommateur les ait demandées (consid. 8). La limite de l’art. 19 al. 3 lit. a LDA n’est pas applicable, car le programme ou l’émission enregistrée est une suite d’œuvres ou d’autres éléments de programmes, et pas un exemplaire d’œuvre disponible sur le marché (consid. 9). La qualification de copie privé est conforme au test des trois étapes prévu par les traités internationaux. En effet, comme la possibilité d’accéder aux émissions est limitée dans le temps, la dérogation au droit exclusif concerne certains cas spéciaux. De plus, la télévision de rattrapage ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, vu que la vidéo à la demande (VoD), conformément au système des fenêtres d’exploitation, intervient après la période réservée aux cinémas, mais avant que l’œuvre soit diffusée en télévision. En outre, avec la télévision de rattrapage, l’accès à l’œuvre n’est possible que pendant une durée relativement courte. Enfin, les intérêts légitimes des ayants droit sont sauvegardés puisqu’ils bénéficient d’un droit à rémunération. Dans la pesée des intérêts, l’intérêt du public à bénéficier des émissions avec une certaine flexibilité temporelle l’emporte sur celui des ayants droit à la gestion individuelle (consid. 11).