Droit pénal spécial

TF 6B_777/2022 (f)

2022-2023

Propos négationnistes discriminatoires ; humour satirique ; liberté d’expression. Les propos négationnistes tenus dans le cadre d’un spectacle d’humour sont susceptibles de constituer une infraction au sens de 261bis CP. Bien que la liberté d’expression protège les spectacles satiriques, ces derniers peuvent être limités par la protection contre les abus de droit dès lors que ces propos sont en opposition aux valeurs et libertés protégées par la CEDH.

ATF 145 IV 470 (f)

2019-2020

Art. 260ter CP

Qualification de l’organisation criminelle ; principe de légalité. La réalisation des éléments constitutifs de la participation ou du soutien à une organisation criminelle de l’art. 260ter CP suppose que la nature criminelle de l’organisation soit démontrée, dans chaque cas, par la preuve d’un acte de violence criminel pouvant lui être attribué. Le mouvement « Liberation Tigers of Tamil Eelam » s’est trouvé à l’origine de divers actes à caractère terroriste. Cependant, il n’a jamais été classé en Suisse parmi les organisations terroristes. Les groupes affiliés ont pu, durant des années, s’adonner à la propagande et aux collectes de fonds dans ce pays. Sous l’angle du principe de la légalité, il n’était pas prévisible, pour des personnes collectant des fonds et du matériel au profit du mouvement, qu’une infraction à l’art. 260ter CP puisse leur être reprochée. Le TF considère que, compte tenu de l’imprévisibilité entourant la qualification juridique du comportement des prévenus, ceux-ci ne sauraient être poursuivis en vertu de l’art. 260ter CP.

Art. 90 al. 3 LCR

Délit de chauffard. La première condition de l’art. 90 al. 3 LCR, soit la violation d’une règle fondamentale de la circulation routière, est toujours remplie lorsque l’un des seuils de l’art. 90 al. 4 LCR est atteint. Quant à la seconde condition, à savoir la création d’un grand risque d’accident, l’atteinte de l’un des seuils visés à l’art. 90 al. 4 LCR suffit déjà, en principe, car elle implique généralement l’impossibilité d’éviter un grand risque d’accident en cas d’obstacle ou de perte de maîtrise du véhicule. Il s’agit néanmoins d’une présomption réfragable ; dans des circonstances exceptionnelles, un excès de vitesse qualifié (art. 90 al. 4 LCR) peut ne pas entraîner la création d’un danger abstrait qualifié. C’est le cas lorsque la limitation de la vitesse autorisée n’est pas justifiée par des motifs de sécurité routière mais, par exemple, par des motifs écologiques. Le prévenu n’ayant pas fait état de telles circonstances exceptionnelles, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Art. 260ter CP ; 116 LEtr.

En lien avec des activités relatives à une cellule suisse de l’Etat islamique (EI), le Tribunal pénal fédéral a reconnu une personne coupable de participation à une organisation criminelle au sens de l’art. 260ter ch. 1 al. 1 CP, ainsi que d’incitation et de tentative d’incitation à un séjour illégal (art. 116 al. 1 let. a LEtr cum art. 22 CP) et l’a condamné par une peine privative de liberté de quatre ans et huit mois ferme. Le prévenu a fait recours au Tribunal fédéral, qui doit déterminer s’il s’est rendu coupable d’infraction à l’art. 260ter CP ainsi que sur sa peine.

La Haute Cour confirme que l’EI est une organisation criminelle au sens de l’art. 260ter CP à mesure qu’elle correspond aux critères jurisprudentiels, soit la présence d’au moins trois personnes, une certaine structure pouvant assurer la survie de l’organisation à terme ainsi qu’une répartition des tâches, un manque de transparence et un professionnalisme à tous les stades de l’activité criminelle. Doivent être considérés comme participants au sens du ch. 1 al. 1 de l’art. 260ter CP, toutes les personnes impliquées de manières fonctionnelles dans l’organisation et qui déploient des activités poursuivant ses buts criminels, décrivant une notion large de participation. En conséquence, il est retenu que le prévenu s’est rendu coupable de participation au sens de cet article. S’agissant de la quotité de la peine, le Tribunal fédéral considère que l’instance précédente a violé le droit fédéral en retenant que le concours d’infractions pouvait mener à une peine aussi sévère ; en l’absence de motivation suffisante, il a en conséquence renvoyé l’affaire pour nouvelle décision sur ce point.

Art. 261bis CP.

Le parti de l’UDC publie des annonces publicitaires dans le cadre de la campagne « Pour stopper l’immigration de masse ». Sur celles-ci est indiqué, sous l’intitulé « voici les conséquences d’une immigration de masse incontrôlée » que « des Kosovars poignardent un Suisse » et relatent un fait divers selon lequel deux Kosovars auraient poignardés un homme en sortant d’un taxi. Le Tribunal fédéral doit examiner si le secrétaire général de l’UDC et sa suppléante doivent être condamnés pour violation de l’interdiction de la discrimination raciale.

Le Tribunal fédéral commence par confirmer que c’est bien une ethnie qui est visée par l’appellation « Kosovars », quand bien même il s’agit de plusieurs ethnies regroupées sous un terme générique. Il examine ensuite si la publicité est rabaissante ou dénigrante et y répond de manière positive, à mesure que d’un point de vue objectif, le but visé est de dépeindre les Kosovars comme étant des hommes plus violents que la moyenne ; les prévenus ne peuvent prétendre que le but était l’information du public et ne peuvent justifier le dénigrement collectif en arguant qu’ils se sont basés sur un fait réel. D’un point de vue subjectif, il ne peut pas être retenu que le secrétaire général de l’UDC et sa suppléante, professionnels de la communication, n’étaient pas conscients des effets de l’annonce, ou ne s’en seraient pas accommodés. La Haute cour expose ensuite qu’il doit être retenu que les prévenus ont incités à la haine ou à la discrimination et qu’il n’est pas nécessaire que cela soit fait de manière explicite, le fait d’avoir contribué à créer un climat où la haine et la discrimination peuvent prospérer étant suffisante. Partant, le Tribunal fédéral a rejeté le recours des prévenus.

Art. 261bis CP.

Le prévenu est accusé de discrimination raciale au sens de l’art. 261bis al. 4 première partie CP pour avoir fait le geste de la « quenelle » avec une synagogue en toile de fond. Son geste a été pris en photo et publié dans un journal électronique. Le geste, popularisé par l’humoriste controversé Dieudonné M’Bala M’Bala, consiste à tenir son bras gauche tendu vers le bas et leur bras droit replié vers son épaule gauche. Le Tribunal fédéral doit examiner si le geste de la quenelle peut être constitutif de discrimination raciale au sens de l’article précité.

Les juges de Mon repos rappellent que selon la jurisprudence du TF, une expression relève de l’art. 261bis CP lorsqu’elle serait comprise par un tiers moyen non averti dans les circonstances d’espèce comme relevant de la discrimination raciale. La Haute cour examine si le geste en question remplit l’élément constitutif du rabaissement ou de discrimination de l’art. 261bis al. 4 première partie CP ; on doit admettre qu’un rabaissement porte atteinte à la dignité humaine lorsque la personne visée est traitée comme un être humain de deuxième classe. Elle confirme le jugement de la cour cantonale et retient que le geste de la quenelle effectué devant un lieu de culte notoirement connu à Genève tombe sous le coup de l’article précité. Elle admet que le tiers non prévenu aurait compris que ce message de mépris de s’adressait pas à une personne déterminée, dans un contexte concret, mais à l’ensemble de la confession juive, représentée par le lieu religieux figurant à l’arrière-plan.

Art. 261bis al. 4 CP et 10 CEDH.

Après avoir publiquement nié le génocide arménien et l’avoir qualifié de « mensonge international », le requérant a été condamné pour discrimination raciale par les instances nationales et a saisi la CEDH. Si la légalité de la restriction à la liberté d’expression ainsi que la poursuite d’un but légitime ont été admises relativement facilement par la Cour. L’examen du caractère nécessaire de la restriction dans une société démocratique a prouvé être plus problématique.

La Cour relève en effet que le droit à la liberté d’expression doit être mis en balance avec le droit au respect de la vie privée de la population arménienne en Suisse protégé par l’art. 8 CEDH. Dans le cas d’espèce, la Cour estime que la situation n’est pas assimilable à une éventuelle négation de l’Holocauste. Par ailleurs, après avoir examiné la situation en Suisse, elle estime que le contexte historique et géographique ne nécessite pas une telle restriction dans une société démocratique. Partant, la Suisse s’est rendue coupable d’une violation de l’art. 10 CEDH.

ATF 140 IV 67 (d)

2013-2014

Art. 261bis CP

Discrimination raciale. L’art. 261bis al. 4 1ère partie CP réprime le fait d’abaisser ou de discriminer d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion. En revanche, les statuts d’étranger ou de requérant d’asile ne sont pas en tant que tels protégés par la norme. Les expressions « cochon d’étranger » (Sauausländer) et « requérant d’asile de merde » (Dreckasylant) ne rabaissent pas le destinataire en raison de sa race, de son appartenance ethnique ou de sa religion. En effet, la notion d’ « étranger » englobe en définitive toutes les races, ethnies ou religions ; même si « requérant d’asile » désigne un nombre plus restreint de races, d’ethnies ou de religions, différents groupes non différenciés sont englobés. Ainsi, celui qui rabaisse une personne en raison du fait qu’elle est étrangère ou requérante d’asile ne la rabaisse pas en raison de son appartenance à une race, à une ethnie ou à une religion et ne contrevient pas à l’art. 261bis al. 4 CP. En l’espèce, l’utilisation de ces expressions par un policier lors d’une intervention est néanmoins déplacée et inacceptable, ce dont il doit être tenu compte dans l’appréciation de la faute en lien avec l’infraction d’injure.

Art. 261bis al. 4 CP

Discrimation raciale. La Suisse a violé l’art. 10 CEDH garantissant la liberté d’expression en condamnant, pour discrimination raciale, Doğu Perinçek pour avoir qualifié publiquement et à trois reprises de « mensonge international » le génocide arménien par l’Empire ottoman. La Cour a en particulier retenu qu’il n’y avait aucun consensus général sur la reconnaissance du génocide arménien, relevant que seule une vingtaine de pays sur 190 l’avait reconnu et qu’en Suisse même, seule la chambre basse du Parlement l’avait reconnu, tandis que le Conseil fédéral avait plusieurs fois refusé de le faire. L’affaire est renvoyée devant la Grande Chambre à la demande de la Suisse.

Art. 261bis al. 1, 2 et 3 CP

Discrimination raciale. L’infraction de l’art. 261bis al. 2 CP n’est pas commise par le fait de se revendiquer publiquement d’une idéologie de discrimination raciale. L’infraction est conditionnée à ce que l’auteur fasse la propagande de l’idéologie en question. Les al. 1 et 3 de l’art. 261bisCP comprennent la propagande d’idéologie discriminante, soit que d’autres personnes doivent être attirées par les idées exprimées ou renforcées dans leur conviction et encouragées. Objectivement, il faut que la propogande soit perceptible par d’autres personnes ; subjectivement, la propagande suppose la conscience qu’un acte particulier est perçu par d’autres mais aussi l’intention d’en faire la publicité, soit d’influencer d’autres personnes pour les rallier ou renforcer leur conviction à l’idéologie discriminante. Il faut déterminer au gré des circonstances du cas d’espèce si l’utilisation publique du salut hitlérien apparaît comme la simple revendication de l’appartenance de l’auteur à l’idéologie nazie ou s’il s’agit d’une propagande tombant dans le champ pénal. En l’espèce, l’intéressé a fait le salut hitlérien pendant 20 secondes sur la plaine du Grütli lors d’une réunion d’un parti d’extrême-droite et son geste a été perçu par des promeneurs. L’auteur de ce geste n’avait pas, par ce dernier, l’intention de propager l’idéologie nazie et son comportement ne tombe pas dans le champ de l’art. 261bis CP.

TF 6B_664/2008

2008-2009

Art. 261bis CP

(BJP N°580)

Discrimination raciale. Les membres de la section valaisanne de l'UDC ont placardé des affiches, montrant des musulmans en train de prier face contre terre devant le Palais fédéral accompagnées du slogan suivant: « Utilisez vos têtes ! Votez UDC. Suisse, toujours libre ! ». Pour apprécier si la déclaration porte atteinte à la dignité humaine et si elle est discriminatoire, il faut se fonder sur le sens qu'un destinataire moyen lui attribuerait en fonction de toutes les circonstances. Les messages concernant des questions politiques et des problèmes de la vie publique revêtent une importance particulière. Dans une démocratie, il est primordial de pouvoir défendre des points de vue qui déplaisent à une majorité et qui sont choquants pour de nombreuses personnes. La critique doit être admise dans une certaine mesure et parfois aussi sous une forme outrancière. Certes, il ne faut pas donner à la liberté d'expression une signification si étendue que le souci de lutte contre la discrimination raciale est vidé de sa substance. A l'inverse, il doit être possible, dans une démocratie, de critiquer aussi le comportement de groupes humains déterminés. Le lecteur moyen pouvait comprendre ces affiches dans le sens où il devait voter UDC pour éviter une invasion, voire une contamination musulmane en Suisse. Ce message joue évidemment sur les peurs et croyances populaires, puisqu'il laisse craindre une présence accrue de l'Islam dans notre société, alors que des gens en prière ne sont pourtant pas censés constituer une menace. Il dénote également un manque d'ouverture d'esprit et de tolérance. Cependant, il ne fait pas apparaître les musulmans comme étant de rang inférieur et ne comporte pas d'affirmation d'inégalité de droit à jouir des droits de l'homme, même si un climat de peur ou d'hostilité peut être créé ou entretenu de cette manière. L'affiche comporte également un jeu de mot provocateur, dans la mesure où elle associe l'image des postérieurs avec le mot « tête ». Cette allusion ne constitue pas le message principal des affiches litigieuses et ne suffit pas pour faire paraître les musulmans comme inégaux en droit du simple fait de leur croyance. De plus, la liberté d'expression commande de ne pas admettre facilement, dans le débat politique, notamment dans le contexte d'élections, l'existence d'un abaissement ou d'une discrimination. Cette campagne ne tombe donc pas sous le coup de la discrimination raciale.


TF 6B_645/2007

2007-2008

Art. 260ter CP

Organisation criminelle : la mise à disposition de sites internet ayant pour objectif de fournir des informations sur des thèmes relatifs à l’Islam et comprenant un forum de discussion des messages de revendication de prise d’otages, d’attentats et de menaces postés pour l’essentiel par des organisations proches de la mouvance Al-Qaïda réalise l’élément constitutif de soutien à une organisation criminelle.