Droit des migrations

ATF 147 II 421 (f)

2021-2022

De jurisprudence constante, il faut comprendre par « apatride » la personne qui, sans que cela lui soit imputable, a été privée de sa nationalité et n’a aucune possibilité de la recouvrer. Sont ainsi exclues les personnes qui abandonnent volontairement leur nationalité ou refusent, sans « raisons valables », de la recouvrer ou d’en acquérir une alors qu’elles ont la possibilité de le faire. Dans cette affaire portée devant le TF, le TAF relève, dans un premier temps, que le recourant, ressortissant syrien appartenant à la communauté kurde ajanib, est bien apatride, que la loi syrienne prévoit une possibilité effective de naturalisation pour les personnes issues de cette minorité mais que le requérant ayant toutefois obtenu une admission provisoire en Suisse, on ne saurait actuellement attendre de lui qu’il se rende dans ledit pays afin de finaliser les démarches de naturalisation. Le TAF considère néanmoins que sa situation d’apatridie est imputable au recourant car il aurait quitté la Syrie en 2012 sans « raisons valables » (dans le sens qu’il n’a pas fait état d’un risque de persécutions personnelles, justifiant l’octroi de l’asile ou d’un risque concret de torture ou d’autres traitements inhumains ou dégradants). Il aurait ainsi pu rester en Syrie et attendre, comme le reste de sa famille (qui a été naturalisée en octobre 2013) l’issue de la procédure de naturalisation qu’il avait initiée en 2011. Saisi d’un recours, le TF relève que le requérant a quitté, en 2012, un pays en proie à un conflit violent, ce qui doit être considéré comme une « raison valable ». Cette dernière notion ne se limite donc pas aux persécutions justifiant l’octroi de l’asile ou aux risques concrets de torture ou autres traitements inhumains ou dégradants. Ce raisonnement est confirmé par le fait que l’intéressé ait obtenu l’admission provisoire en Suisse. En outre, il apparait que c’est parce que sa procédure de naturalisation a été prolongée de plusieurs mois que le requérant n’a pas réussi à être naturalisé en Syrie avant son départ. Dans de telles circonstances, il faut admettre que les conditions menant à la reconnaissance du statut d’apatride sont bien remplies. Le fait que la situation du recourant puisse être qualifiée de temporaire ne permet d’ailleurs pas d’en conclure différemment. Ces divers développements sont repris par le TAF dans un arrêt ultérieur (cf. ATAF 2021 VII/8). Dans celui-ci, le TAF précise, par ailleurs, que l’on peut déduire de l’art. 8 CEDH le droit à une procédure tendant à la reconnaissance du statut d’apatride.

Un ressortissant érythréen ayant fui son pays afin de se soustraire au service militaire obligatoire dépose une demande d’asile en Suisse en 2015. Le SEM rejette sa demande d’asile et considère son renvoi comme licite, exigible et possible. Cette décision est confirmée par le TAF, qui considère que rien ne laisse apparaître un risque de traitements prohibés en cas de retour de l’intéressé vers le pays susmentionné. En se basant sur les informations publiées dans divers rapports internationaux, le Comité CAT conclut à une violation de l’art. 3 CAT par la Suisse. La situation des droits de l’homme en Erythrée reste effectivement très préoccupante en raison du recours généralisé à la conscription des jeunes, particulièrement de sexe masculin. Le Comité souligne également le risque pour les personnes ayant, comme l’intéressé, quitté illégalement le pays et déserté le service militaire d’être victimes d’actes de torture. Le peu d’informations disponibles et fiables sur l’ampleur de ce risque est, en outre, un facteur devant profiter à l’intéressé.

Dans cette affaire, le renvoi en Bulgarie d’un requérant d’asile mineur, victime d’un conflit armé et ayant souffert de mauvais traitements est jugé contraire aux art. 3, 6, 22, 27, 28, 37 et 39 CDE par le Comité CDE. La cause en est l’absence d’examen personnalisé des conditions d’accueil qui l’attendent sur le territoire dudit Etat européen, conditions constitutives de traitements inhumains selon plusieurs rapports. Il est notamment question de l’accès du mineur à l’éducation, à l’emploi, au logement, aux soins médicaux et à d’autres services nécessaires pour sa réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale. Le Comité tient également compte de l’impact de ce renvoi sur la santé mentale de la mère de l’enfant (également renvoyée), qui constitue sa seule personne de référence. Le renvoi contrevient par ailleurs à l’art. 7 CDE en raison de l’apatridie de l’enfant et l’absence de mesures, de la part des autorités helvétiques, visant à vérifier si celui-ci aurait accès à une nationalité en cas de renvoi en Bulgarie. En outre, une violation de l’art. 12 CDE découle du fait que les autorités suisses n’ont pas donné au mineur concerné l’occasion de s’exprimer car elles considéraient qu’au vu de son jeune âge (onze ans), celui-ci aurait dû démontrer lui-même sa capacité de discernement et demander explicitement à être entendu, pratique contraire à la disposition précitée. Pour finir, la séparation du mineur d’avec son oncle et ses cousins, résidant en Suisse, s’analyse en tant que violation de l’art. 16 CDE.

Cette affaire concerne un ressortissant pakistanais qui s’est converti de l’islam au christianisme après son arrivée sur le territoire helvétique. Lorsque le principe de non-refoulement est invoqué en raison d’une conversion religieuse « sur place » (c’est-à-dire, une fois la personne étrangère arrivée sur le territoire de l’Etat concerné), les autorités compétentes doivent d’office vérifier si la conversion est sincère et a atteint un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance avant d’examiner, de manière approfondie, si la personne étrangère concernée serait, en raison de cette conversion, exposée à un risque de subir des traitements contraires aux art. 2 et 3 CEDH en cas de renvoi dans son Etat d’origine. L’examen de ce risque doit se baser non seulement sur la situation générale des chrétiens (ou autre religion dans un autre cas) dans ledit Etat mais également, et plus spécifiquement, sur celle des personnes converties de l’islam au christianisme. A cet égard, la Cour EDH retient qu’au Pakistan, les personnes connues pour s’être converties au christianisme subissent des actes de violence, d’intimidation et de discrimination graves de la part d’acteurs non étatiques qui peuvent, dans des cas individuels, équivaloir à de la persécution et/ou à des préjudices graves. Ces traitements sont, par ailleurs, répandus dans tout le Pakistan. La situation spécifique du requérant se doit également d’être sérieusement prise en compte, ce qui implique notamment d’examiner le caractère sérieux de ses convictions, sa manière de manifester sa foi chrétienne en Suisse, la façon dont il entend la manifester dans son Etat d’origine, la connaissance de sa conversion par sa famille et, de façon générale, sa vulnérabilité à des persécutions et à des accusations de blasphème.

Selon une pratique bien établie, le droit à la protection de la vie privée (art. 8 CEDH) peut, dans certaines circonstances, s’opposer à la révocation du titre de séjour d’un ressortissant étranger bien intégré en Suisse. Cette protection ne concerne toutefois pas les refus d’octroi d’un nouveau titre de séjour. Dans le cas d’espèce, l’autorisation de séjour du recourant n’a pas été révoquée mais a pris fin (« extinction ») en raison de son départ de la Suisse pendant plusieurs mois (art. 61 al. 2 LEI). L’art. 8 CEDH ne saurait lui conférer le droit à l’obtention d’une nouvelle autorisation. Le TF effectue également quelques précisions concernant le calcul de la durée du séjour légal. Pour rappel, après une durée de séjour légal d’environ dix ans, on présume que les relations sociales d’une personne étrangère sont devenues si étroites qu’il faut des raisons particulières pour mettre fin à son séjour sans violer l’art. 8 CEDH. Si la durée du séjour légal n’atteint pas dix ans, la révocation/non-renouvellement de l’autorisation peut tout de même s’avérer contraire à l’art. 8 CEDH lorsque le niveau d’intégration de l’étranger est particulièrement important. Le TF précise à cet égard que le temps passé en Suisse en qualité de requérant d’asile ne doit pas être pris en compte dans le calcul et que le séjour passé en Suisse dans le cadre d’une procédure de recours n’est, certes, pas sans importance mais qu’il ne peut pas se voir attribuer la même valeur qu’un séjour réellement autorisé.