Droit des migrations

ATF 144 IV 332 (f)

2018-2019

Art. 66a al. 2 CP ; 31 al. 1 OASA

Dans cet arrêt se pose la question de savoir si le recourant remplit les deux conditions cumulatives de la clause de rigueur de l’art. 66a al. 2 CP auquel cas, il aurait fallu renoncer à prononcer une expulsion à son égard. L’art. 66a al. 2 CP est formulé de manière potestative. Cela implique que le juge doit faire usage du pouvoir d’appréciation qui lui a été conféré tout en tenant compte des principes de droit constitutionnel sous peine de violer le principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.). Cependant, ni la loi ni les débats parlementaires ne définissent le contenu des deux conditions cumulatives de cette disposition, à savoir la situation personnelle grave ainsi que les éléments à prendre en considération dans la pesée des intérêts. Le concept de cas de rigueur étant depuis longtemps ancré en droit des étrangers, la doctrine préconise de s’inspirer des critères énoncés par l’art. 31 OASA en y rajoutant les critères propres au droit pénal comme les perspectives de réinsertion sociale afin de définir cette notion. En outre, la deuxième phrase de l’al. 2 de l’art. 66a CP prévoit expressément qu’il faille tenir compte de la situation des étrangers qui sont nés ou ont grandi en Suisse. Pour ce faire, le juge tiendra compte des critères développés en lien avec la révocation de l’autorisation d’établissement d’un étranger de la deuxième génération en tant qu’ils concrétisent les exigences du principe de la proportionnalité. En l’espèce, les circonstances concrètes ont conduit à retenir une situation personnelle grave, dans le cadre de laquelle l’intérêt public à son expulsion ne l’emporte pas sur l’intérêt privé à rester en Suisse. L’intéressé est né et a toujours vécu en Suisse, sa famille s’y trouve également et il n’y aucun lien familial ou social avec son pays d’origine. Dès lors, le recours est admis sur ce point.

ATF 145 IV 55 (d)

2018-2019

Art. 66abis CP ; 5 § 1 ann. I ALCP

Cet arrêt est le premier à se prononcer sur l’expulsion pénale telle que réintroduite dans les art. 66a ss CP le 1er octobre 2016 et cela à l’encontre d’un recourant pouvant se prévaloir de l’ALCP. Le droit au séjour selon l’ALCP existe sous la double réserve d’un séjour légal et d’un comportement conforme à la loi. Concernant le droit pénal, la Suisse n’est pas liée par l’ALCP mais doit cependant respecter ses engagements découlant de l’ALCP. Le Tribunal pénal doit dès lors tout d’abord appliquer le droit national. In casu, l’expulsion de trois ans prononcée sur la base de l’art. 66abis CP (expulsion facultative) pour lésions corporelles simples qualifiées (art. 123 CP) et menaces (art. 180 CP) entraînant également l’exécution de deux peines antérieures est conforme au droit international. En effet, au vu de l’escalade dans la violence des infractions commises par le recourant et les biens juridiques en jeu, à savoir la vie et l’intégrité physique d’autrui, le risque de récidive est important et le comportement personnel de l’intéressé constitue donc une menace à l’ordre public au sens de l’art. 5 § 1 ann. I ALCP. En outre, l’argument du recourant alléguant qu’une fin de séjour selon l’ALCP ne serait possible, selon la jurisprudence du TF, qu’en présence de multiples infractions graves tombe à faux puisque cette jurisprudence a été rendue en matière de droit des étrangers avant la mise en œuvre de l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels qui conduit à un durcissement de la pratique au moyen de l’expulsion pénale. Dès lors, le recours est rejeté.

Art. 66a al. 1 CP ; 5 § 1 ann. I ALCP ; 31 CVDT

Dans cet arrêt rendu à cinq juges, le TF se penche en détail sur la question – laissée ouverte dans l’ATF 145 IV 55 – de la primauté de l’ALCP sur le droit national dans le cadre de l’expulsion pénale. Le TF commence par rappeler qu’il est possible de limiter la libre circulation des personnes pour des motifs d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique (art. 5 § 1 ann. I ALCP). Bien qu’accordant une certaine marge de manœuvre aux Etats membres afin de se déterminer sur l’existence d’un des motifs prévus par l’art. 5 § 1 ann. I ALCP, la CJUE en fait une interprétation restrictive. Tel est également le cas de la jurisprudence du TF lorsqu’il s’agit de limiter la libre circulation des personnes en droit des personnes étrangères. Cependant, l’interprétation restrictive des motifs justificatifs appliquée par la CJUE, doit être attribuée à une application à effet intégrateur et dynamique du droit, laquelle vise l’harmonisation et l’approfondissement de l’UE. Or, en matière pénale, l’art. 5 § 1 ann. I ALCP n’a pas à être interprété d’une manière si restrictive qu’il priverait la disposition pénale de son sens ordinaire (cf. art. 31 CVDT). Le TF justifie sa position par les arguments suivants : d’une part, l’ALCP a principalement des composantes économiques et migratoires, ce qui n’est pas le cas de l’expulsion pénale qui n’entre dès lors pas dans son champ d’application et d’autre part, les parties se sont mises d’accord sur une reprise de la jurisprudence de la CJUE afin d’atteindre les objectifs fixés par l’ALCP (art. 16 ALCP) mais non d’une primauté de l’ALCP sur le droit suisse, en particulier le droit pénal suisse. Dès lors que les conditions de l’expulsion pénale sont remplies en l’espèce, le recours est rejeté (pour une analyse complète de cet arrêt, Rienzo Laetitia, Expulsion d’un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne au regard des règles de l’ALCP, 12 juillet 2019, in : http://www.ceje.ch/fr/actualites/action-exterieure/2019/07/ex pulsion-dun-ressortissant-dun-etat-membre-de-lunion-europeen ne-au-regard-des-regles-de-lalcp/)

Art. 66a al. 2 CP

Dans cet arrêt, le Ministère public du canton de Zurich a recouru contre la décision du Tribunal cantonal renonçant à prononcer l’expulsion pénale en application de la clause de rigueur pour un ressortissant serbe ayant été condamné pour brigandage et lésions corporelles graves. Le TF rappelle l’importance de l’examen approfondi des circonstances du cas d’espèce. Concernant l’application de la clause de rigueur, bien que l’expulsion pénale soit une mesure sans composante migratoire, il est recommandé de se référer aux critères développés en lien avec la notion de cas de rigueur au sens de l’art. 31 OASA tout en y rajoutant les aspects propres au droit pénal, à savoir les perspectives de réinsertion sociale. C’est pourquoi le TF examine la situation personnelle et familiale de l’intéressé sous l’angle de l’art. 8 CEDH et 13 Cst. en tenant particulièrement compte du fait que ce dernier est un étranger de deuxième génération qui est né et a grandi en Suisse ; il n’est donc étranger qu’en fait (« formell Ausländer »). Il examine ensuite la gravité de l’infraction commise (lésions corporelles graves) ainsi que les circonstances dans lesquelles cette dernière a été commise, à savoir à la fin d’une soirée, dans laquelle le recourant avait bu et abusé de substances et, a fini par se battre avec un ami à lui. Cela amène le TF à considérer l’influence du jeune âge de l’intimé dans les actes commis, qui est un élément que les juges doivent prendre en considération lors de l’évaluation de l’intérêt public à l’expulsion. Au vu de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, l’instance précédente était légitimée, après pesée des intérêts, à renoncer à l’expulsion de l’intimé. En effet, elle ne renonce pas à l’expulsion sur la base d’une évaluation plus légère de l’infraction, mais sur la base d’une évaluation plus favorable du délinquant ou de la menace qu’il représente pour la sécurité publique. Dès lors, l’intérêt privé de l’intimé à rester en Suisse prévaut et le recours est rejeté.

Art. 8 CEDH ; 66abis CP

Dans cette affaire, un ressortissant gambien recourt contre une expulsion pénale facultative de trois ans à son égard. Il allègue principalement une violation de l’art. 8 CEDH et à son droit à une vie familiale, du fait qu’il a un fils en Suisse. Afin de savoir si une restriction est possible, le TF procède à une pesée des intérêts ainsi qu’à un examen de la proportionnalité. A cette fin, il doit d’abord examiner si la mesure est prévue par la loi, ce qui est le cas en l’espèce avec l’art. 66abis CP. Puis, il examine si la mesure poursuit un but légitime, ce qui est également le cas puisque cette mesure a pour but la défense de l’ordre et de prévention des infractions qui sont des buts compatibles avec la CEDH. C’est la troisième condition de la nécessité qui est discutée par le TF en l’espèce. Au vu de la gravité des infractions, de l’absence d’intégration du recourant en Suisse, des liens qu’il conserve avec la Gambie et la durée de trois ans de l’expulsion qui doit être considérée comme proportionnée, l’expulsion ne constitue pas une atteinte à la vie privée ou familiale qui se révèlerait non nécessaire dans une société démocratique. Au vu de ce résultat, le TF laisse ouverte la question de savoir si le requérant peut effectivement se prévaloir d’un droit découlant de l’art. 8 CEDH. Dès lors, le recours est rejeté.

Art. 66a CP ; 8 CEDH

Dans cet arrêt complémentaire à celui résumé ci-dessus, c’est de l’évaluation de la clause de rigueur de l’art. 66a al. 2 CP dont il est question. En l’occurrence, le TF fait sienne l’évaluation de l’instance inférieure et rejette l’application de la clause de rigueur. Sont pris en compte dans l’évaluation : le lien plus fort de l’intéressé avec son pays d’origine qu’avec la Suisse ; la possibilité de vivre la vie conjugale en République dominicaine ; l’impossibilité de retenir un « développement personnel positif » de l’intéressé ; une « certaine » intégration mais une maîtrise déficiente de l’allemand. Au final, le TF est d’avis que même si l’existence d’un cas de rigueur avait été reconnue, l’intérêt public à son expulsion aurait primé l’intérêt privé de l’intéressé à pouvoir rester en Suisse.

Art. 66a CP

Dans ce premier arrêt en lien avec l’expulsion pénale des criminels étrangers, le recourant conteste son expulsion de Suisse. Deux arguments sont invoqués : 1) l’art. 66a al. 1 CP ne mentionnant pas la tentative, il ne doit pas s’appliquer aux condamnations pour tentative d’infraction et, 2) l’art. 66a al. 3 doit s’appliquer à l’ensemble des circonstances atténuantes prévues par le CP et non aux deux seules mentionnées. Le TF confirme la décision cantonale en réglant de manière claire ces deux questions. S’agissant du premier argument, les juges suivent l’instance cantonale selon laquelle, la loi est claire et ne laisse pas la place à des exceptions autres que celles des alinéas 2 et 3. En outre, le fait que la tentative ne soit pas mentionnée n’est pas décisif dans la mesure où l’art. 66a a vocation à s’appliquer à toutes les formes de participation et indépendamment du fait qu’il n’y ait eu qu’une tentative ou que la peine fasse l’objet d’un sursis. Au sujet de la portée de l’alinéa 3, il est retenu que les travaux préparatoires ne permettaient pas d’envisager une portée plus large de cet alinéa et ce malgré l’ajout par le parlement du terme « également » qui ne ressortait pas du texte de l’initiative. En effet, ce terme fait référence, non pas aux autres circonstances atténuantes, mais bien à la clause de rigueur prévue à l’al. 2 qui, elle non plus, ne figurait pas dans le texte de l’initiative. Le TF ajoute encore que si le législateur avait eu la volonté d’élargir l’exception de l’alinéa 3 à d’autres motifs, il aurait clairement introduit les termes « notamment » ou « en particulier ».