Procédure pénale

ATF 140 I 125 (f)

2013-2014

Art. 7 et 10 al. 3 Cst., 3 CEDH, 3 al. 1, 235 al. 1 et 5 CPP

Conditions de détention avant jugement. L’art. 3 CEDH impose à l’Etat de s’assurer que les modalités de détention ne soumettent pas la personne détenue à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être soient assurés de manière adéquate, ce qui ne se confond pas avec un simple inconfort. L’art. 3 CEDH est en revanche enfreint lorsque les conditions matérielles de détention atteignent un niveau d’humiliation ou d’avilissement supérieur à ce qu’emporte habituellement la privation de liberté. L’art. 234 al. 1 CPP prévoit qu’en règle générale, la détention provisoire et pour des motifs de sûreté est exécutée dans des établissements réservés à cet usage et qui ne servent qu’à l’exécution de courtes peines privatives de liberté. L’art. 235 CPP, qui régit l’exécution de la détention avant jugement, pose le principe général de proportionnalité (al. 1) et précise que les cantons règlent les droits et les obligations des prévenus en détention (al. 5). La prison de Champ-Dollon à Genève connaît depuis plusieurs années un état grave et chronique de surpopulation carcérale. Cette problématique ne paraît pas pouvoir être résolue à brève échéance et il en résulte nécessairement une restriction de l’accès aux prestations médicales ‑ sauf pour les cas d’urgence ‑, sociales et récréatives ; il en va de même pour les appels téléphoniques vers l’extérieur ; enfin, les détenus restent en principe confinés dans leur cellule 23 heures sur 24. En dépit de la surpopulation carcérale, la prison a toutefois maintenu un état d’hygiène, d’aération, d’approvisionnement en eau, nourriture, chauffage et lumière convenable. L’intimité des détenus est préservée par l’existence d’une véritable séparation entre l’espace de vie et les sanitaires. En cas de surpopulation carcérale, l’occupation d’une cellule dite individuelle par trois détenus ‑ chacun disposant d’un espace individuel de 4 m2, restreint du mobilier ‑ est une condition de détention difficile sans qu’il puisse être retenu un traitement dégradant portant atteinte à la dignité humaine des prévenus. En revanche, l’occupation d’une cellule dite triple par six détenus avec une surface individuelle de 3,83 m2 ‑ restreinte encore par le mobilier ‑ peut constituer une violation de l’art. 3 CEDH si elle s’étend sur une longue période et si elle s’accompagne d’autres mauvaises conditions de détention. En l’espèce, l’effet cumulé de l’espace individuel inférieur à 3,83 m2, du nombre de 157 jours consécutifs passés dans ces conditions de détention difficiles et surtout du confinement en cellule 23 heures sur 24 a rendu la détention subie pendant cette période comme étant incompatible avec le niveau inévitable de souffrance inhérent à toute mesure de privation de liberté. Un tel mode de détention est de nature à procurer, sur la durée, une détresse ou une épreuve qui dépasse le minimum de gravité requis, ce qui s’apparente alors à un traitement dégradant. Ces conditions de détention ne satisfont ainsi pas aux exigences de respect de la dignité humaine et de la vie privée. Une durée qui s’approche de trois mois consécutifs apparaît comme la limite au-delà de laquelle les conditions de détention décrites incriminées ne peuvent plus être tolérées. Ce délai doit être interprété comme une durée indicative à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation globale de toutes les conditions concrètes de détention.