Procédure pénale

Recevabilité du recours ; réquisition de preuves ; préjudice juridique ; expertise psychiatrique. Il y a préjudice juridique au sens de l’art. 394 let. b CPP lorsqu’un risque concret – et non une simple possibilité théorique – de destruction ou de perte de moyens de preuves juridiquement pertinents existe. Si la réquisition de preuves porte sur la mise en œuvre d’une nouvelle expertise psychiatrique, le risque de perte du moyen de preuve réside dans le fait que la procédure de première instance n’a lieu que plusieurs mois, voire plusieurs années, après l’expertise effectuée durant l’instruction. Si le tribunal du fond devait finalement conclure que l’expertise psychiatrique contient des lacunes ou qu’elle est inexploitable, une nouvelle expertise ne serait alors peut-être plus pertinente après l’écoulement d’une période aussi longue. Toutefois, le fait que ce risque pourrait se réaliser dans le cas concret doit être démontré par le recourant.

Retrait du recours de manière implicite. La cour cantonale estime que le prévenu a retiré son recours de manière implicite (art. 386 al. 2 CPP), car il a agi de manière contradictoire en ne répondant et en ne contactant plus son défenseur après lui avoir demandé de former un appel. Cet arrêt reprend les conclusions de l’ATF 148 IV 362 qui traitait d’un cas similaire de fiction de retrait d’appel. L’art. 407 al. 1 CPP était applicable dans le cas où le lieu de résidence du prévenu n’était pas connu et qu’il n’était pas possible de lui faire parvenir une citation à comparaître. En effet, le TF rappelle que la procédure d’appel, contrairement à la première instance, est à disposition des parties. Le prévenu doit donc démontrer une volonté continue de faire réexaminer la décision de première instance. Si celle-ci fait défaut, son appel sera considéré comme retiré implicitement même si l’art. 407 al. 1 CPP ne prévoit pas exactement cette situation.

Reformatio in pejus ; appel avec annulation et renvoi. L’appel est réformatoire en principe et cassatoire par exception. La juridiction d’appel peut annuler le jugement de première instance pour vices graves et irrémédiables et renvoyer l’affaire à la juridiction de première instance pour nouveau jugement. Le tribunal de première instance est lié par les instructions émises par la juridiction d’appel ainsi que par le principe de l’interdiction de la reformatio in pejus. Cependant, l’interdiction de la reformatio in pejus ne s’applique pas dans la procédure de renvoi, lorsque sur appel du prévenu, la juridiction d’appel annule le jugement du tribunal de première instance et lui renvoie la cause pour nouveau jugement (art. 409 CPP), avant même de notifier la déclaration d’appel aux autres parties.

ATF 147 IV 453 (f)

2021-2022

Recevabilité du recours ; report de l’exécution de l’expulsion obligatoire. De manière générale, l’exécution d’une peine ou d’une mesure n’est reportée ou interrompue que pour des motifs graves (art. 92 CP) et si ceci n’est pas être contraire à l’intérêt public. Un intérêt juridique actuel et concret selon l’art. 81 al. 1 let. b LTF est requis pour recourir contre une décision entrée en force refusant le report de l’exécution de l’expulsion (art. 66CP). La recevabilité d’un recours concernant une décision entrée en force est donc très limitée. La situation personnelle du prévenu est déterminante, et la recevabilité ne peut a priori pas être tranchée. Le recourant doit donc motiver et rendre vraisemblable qu’une modification importante de circonstances est intervenue entre la décision entrée en force et le moment du recours. Il ne peut pas reprendre les mêmes arguments que ceux utilisés lors de la décision de l’instance inférieure. Ce changement de circonstances imposerait, au vu du principe de la proportionnalité, de renoncer à exécuter l’expulsion.

ATF 147 IV 505 (f)

2021-2022

Recevabilité de l’appel joint du ministère public ; contenu de l’acte d’accusation. Compte tenu de son rôle de représentation de l’Etat, le ministère est en principe habilité à recourir librement, tant en faveur qu’en défaveur de la personne prévenue ou condamnée (art. 381 al. 1 CPP), que ce soit dans le cadre d’un recours ou d’un appel principal. En revanche, il en va différemment en cas d’appel joint, ce en raison des risques d’en abuser. Dans ce contexte, il appartient au ministère public de former un appel principal s’il s’oppose à la sanction prononcée par la juridiction de première instance. Aussi la légitimation du ministère public à former un appel joint doit-elle être appréhendée de manière particulièrement stricte lorsqu’un tel appel trahit une démarche contradictoire, contraire au principe de la bonne foi en procédure (art. 5 al. 3 Cst. et 3 al. 2 let. a CPP). Tel est le cas lorsque, sans motivation précise ni faits nouveaux, le ministère public fait un appel joint visant exclusivement à demander une aggravation de la peine par rapport à celle requise devant l’autorité de première instance (et suivie par celle-ci). Par ailleurs, si un acte d’accusation ne décrit pas les viols reprochés de manière individualisée, mais expose, de manière détaillée, un seul mode opératoire global, le principe d’accusation (art. 9 CPP) est respecté, pour autant qu’il puisse en être déduit que la manière d’agir s’applique pour tous les viols. Il suffit que les faits soient circonscrits approximativement.

Qualité pour recourir du ministère public. Le ministère public a qualité pour recourir s’il a un intérêt juridique à l’annulation ou la modification de la décision attaquée (art. 81 al. 1 let. b ch. 3 LTF). Ceci ne peut toutefois être affirmé de manière générale. Le ministère public ne dispose notamment pas d’intérêt public protégé – et donc de qualité pour recourir – lorsqu’il s’oppose à une indemnisation accordée à un tiers non impliqué dans la procédure pénale en question. En effet, une telle décision ne relève pas d’un domaine d’activité du ministère public et, par conséquent, ne touche pas un intérêt qu’il doit défendre.

Restitution du délai de recours devant le TF. Le recours au TF doit être formé dans les 30 jours suivant la notification de l’expédition complète de la décision (art. 100 al. 1 LTF). Une restitution du délai en cas d’empêchement d’agir non fautif de la partie ou son mandataire, au sens de l’art. 50 al. 1 LTF, n’est pas systématiquement admise. Une restitution du délai systématique est exclue même lorsque la condamnation prononcée par la juridiction d’appel est particulièrement sévère, en l’occurrence une peine privative de liberté de 24 mois (assortie du sursis) et une expulsion du territoire (pour une durée de 5 ans). Il s’impose en effet de faire une interprétation stricte et homogène des art. 100 al. 1 et 50 al. 1 LTF, indépendamment du domaine du droit en question ou des points attaqués, ce afin de garantir la sécurité du droit et l’égalité de traitement entre les justiciables, ainsi qu’entre les parties à la procédure.

Fiction de retrait de l’appel en cas d’impossibilité de citer à comparaître la partie l’ayant déclaré. Un appel est réputé retiré si la partie qui l’a déclaré ne peut pas être citée à comparaître (art. 407 al. 1 let. c CPP). Les articles sur la notification et la communication des prononcés (art. 84 ss CPP) s’appliquent à la procédure d’appel. La notification doit dès lors se faire au domicile ou au lieu de résidence habituelle ; les parties et conseils juridiques ayant leur domicile ou lieu de résidence à l’étranger doivent désigner un domicile de notification en Suisse (art. 87 al. 1 et 2 CPP). Il incombe aux autorités de prouver avoir entrepris tous les efforts nécessaires à l’identification du domicile de résidence de la partie concernée. La fiction de retrait de l’appel trouve application également lorsqu’un conseil juridique a été désigné, en ce sens qu’une communication de la convocation à l’adresse de ce dernier ne permet pas une notification conforme au droit lorsque le prévenu est tenu de comparaître personnellement. La seule condition à la mise en œuvre de la fiction prévue à l’art. 407 al. 1 let. c CPP est l’impossibilité d’une notification juridiquement valable de la citation à comparaître à la partie concernée. Le fait que celle-ci se soit faite représentée en audience d’appel ou qu’elle ait manifesté à son conseil juridique vouloir participer à la procédure n’a pas d’importance.

ATF 143 IV 434 (d)

2017-2018

Art. 81 al. 1 LTF

Qualité pour recourir de la partie plaignante. La partie plaignante intimée à l’appel qui a vu ses réquisitions formulées en première instance rejetées en deuxième instance, remplit les conditions de l’art. 81 al. 1 let. a LTF. Elle est donc légitimée à recourir en matière pénale devant le TF, et ce même lorsqu’elle a renoncé à formuler des réquisitions en appel et à être présente aux débats. En effet, le TF juge trop étroit l’avis de la doctrine voulant que la partie plaignante ne soit légitimée à recourir que si elle a également formulé des réquisitions en lien avec ses conclusions civiles dans la procédure d’appel. Une renonciation de la partie plaignante ne doit pas être interprétée comme de l’indifférence quant à l’issue de la procédure d’appel mais signifie au contraire qu’elle s’en tient à ses conclusions formulées en première instance et qu’elle demande implicitement la confirmation du jugement de première instance.

ATF 143 IV 475 (f)

2017-2018

Art. 393 al. 1 let. a, 394 let. b CPP

Non-entrée en matière sur un recours au sens des art. 393 ss CPP. Une autorité de dernière instance cantonale viole le droit fédéral lorsqu’elle n’entre pas en matière sur un recours au sens des art. 393 ss CPP contre une décision de refus (ou d’acceptation) du ministère public de retirer du dossier un moyen de preuve prétendument inexploitable, faute d’intérêt juridiquement protégé ou de préjudice irréparable. Ce faisant, elle introduit une condition restrictive qui ne figure pas dans la loi. En effet, les décisions du ministère public sont susceptibles de recours, à moins notamment que le CPP les qualifie de définitives au sens de l’art. 380 CPP ou que les motifs d’exclusion de l’art. 394 let. b CPP trouvent application. Or, la décision du ministère public de ne pas retirer une pièce du dossier n’est pas considérée comme définitive par le CPP ; de même le CPP ne subordonne pas la recevabilité d’un recours contre une telle décision à la condition que le prévenu subisse un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 LTF.

ATF 144 IV 207 (d)

2017-2018

Art. 429 CPP

Indemnité. L’autorité pénale doit statuer sur l’indemnité du prévenu dans la décision finale. Lorsqu’elle omet de le faire, se pose la question de savoir comment le prévenu peut faire valoir ses prétentions au sens de l’art. 429 al. 1 CPP. Si l’autorité pénale ne statue pas sur l’indemnité du prévenu dans la décision finale, celui-ci doit utiliser les voies de droit contre ladite décision. Contrairement à ce que soutient une partie de la doctrine, la procédure en cas de décisions judiciaires ultérieures indépendantes selon les art. 363 ss CPP n’est pas destinée à s’appliquer à de tels cas.

ATF 144 IV 35 (f)

2017-2018

Art. 60 al. 3, 391 al. 2, 410 ss CPP

Révision ; reformatio in pejus . Bien que la révision soit subsidiaire et suppose un jugement entré en force, la procédure de recours fédéral doit être suspendue au profit de la procédure de révision cantonale lorsqu’un motif de révision de la juridiction d’appel survient alors qu’un recours est pendant devant le TF. Le caractère subsidiaire de la révision doit ainsi être compris par rapport aux moyens de droit ordinaires cantonaux et non au regard d’un recours en matière pénale au TF. De ce fait, lorsqu’un vice affectant la composition de l’autorité cantonale est découvert durant la procédure de recours fédérale, il faut admettre une application par analogie de l’art. 60 al. 3 CPP, qui renvoie aux art. 410 ss CPP et permet aux parties de demander la révision du jugement concerné. Le principe de la bonne foi en procédure est tel qu’il incombe aux parties de requérir la révision sans délai. Par ailleurs, l’interdiction de la reformatio in pejus s’applique en procédure de révision. Ainsi, lorsque la procédure est initiée par le seul condamné et qu’il obtient la révision de son premier jugement, sa situation ne peut être péjorée à l’issue du nouveau jugement, et ce tant par rapport à la quotité de la peine que par rapport aux qualifications retenues.

ATF 144 IV 81 (f)

2017-2018

Art. 309 al. 3, 310 et 323 CPP

Irrecevabilité du recours contre une ordonnance de reprise, respectivement d’ouverture de l’instruction consécutive à une ordonnance de non-entrée en matière préalable. Selon l’art. 309 al. 3 CPP, le recours n’est pas ouvert contre une ordonnance d’ouverture d’instruction. Lorsque le ministère public, après avoir rendu une ordonnance de non-entrée en matière au sens de l’art. 310 al. 1 let. a CPP, considère que les conditions de l’art. 323 al. 1 CPP, appliqué par renvoi de l’art. 310 al. 2 CPP, sont remplies et rouvre une instruction, il rend une décision qui est assimilable à une ordonnance d’ouverture d’instruction au sens de l’art. 309 CPP. L’art. 309 al. 3 CPP s’applique alors par analogie, avec pour conséquence l’irrecevabilité du recours contre la décision d’ouverture d’instruction rendue à la suite de la décision de non-entrée en matière.

ATF 144 IV 90 (f)

2017-2018

Art. 92, 93 al. 1 let. a LTF ; 60 al. 1 CPP

Recours au TF contre le refus d’annuler des actes auxquels un expert récusé a participé. Le rejet d’une demande de récusation peut être immédiatement contesté devant le TF selon l’art. 92 LTF. Il en va de même du rejet, dans un même prononcé, de la demande de récusation et de celle relative au retrait des moyens de preuves en lien avec la personne dont la récusation est requise. En revanche, lorsque la décision attaquée ne porte que sur la seconde problématique, il s’agit d’une question d’exploitabilité des moyens de preuves et l’admissibilité du recours doit s’examiner selon l’art. 93 al. 1 let. a LTF, lequel suppose l’existence d’un préjudice irréparable. Un requérant peut solliciter, dans une seule et même écriture, la récusation et le retrait des actes litigieux. L’autorité peut statuer sur les deux problématiques dans une même décision. Le requérant ne doit toutefois pas être avantagé par rapport à une partie qui procéderait en deux étapes, de telle sorte que la condition du préjudice irréparable doit également être réalisée.

Art. 65, 393 CPP ; 93 LTF

Suspension de la procédure, renvoi de l’accusation, recevabilité et motifs de recours. Condamné par ordonnance pénale, un prévenu fait opposition. Le Ministère public décide ensuite de maintenir son ordonnance. Le juge de première instance suspend alors la procédure et renvoie l’accusation au procureur pour qu’il auditionne le prévenu. Le Ministère public recourt contre cette décision.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler, en se basant sur sa jurisprudence, que l’exclusion du recours contre les décisions de la direction de la procédure à l’art. 393 CPP doit être comprise en regard avec l’art. 65 CPP. Cette restriction ne concerne donc pas les décisions de la direction de la procédure mais celles relatives à la marche de la procédure. Par ailleurs, il rappelle que cette exclusion ne doit pas s’appliquer en cas de risque de préjudices irréparables s’interprétant à l’aune de l’art. 93 LTF. Dans le cas d’une suspension de procédure, un tel préjudice pourrait être retenu si la suspension faisait apparaître un risque sérieux de violation du principe de célérité. Dans le cas d’espèce, le TF estime qu’il s’agit bien d’une décision relative à la marche de la procédure. Par ailleurs, il considère qu’aucun préjudice sérieux n’est à craindre et rejette donc le recours du Ministère public.

Art. 391 CPP

Reformatio in peius.

Condamnés en première instance pour escroquerie, pour l’un, et complicité d’escroquerie, pour les deux autres, les trois condamnés recourent auprès du Tribunal cantonal. Ce dernier réforme le premier jugement et prononce coupable de corruption passive le premier condamné et acquitte les deux autres. Il estime en effet qu’une condamnation pour corruption active en tant qu’auteur principal violerait l’interdiction de reformatio in peius consacrée à l’art. 391 CPP.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que si l’escroquerie est bien un crime, la corruption active est, elle, un délit. Le degré de participation, ici la complicité, ne change rien à cette qualification légale. Le TF estime ainsi que la différence entre les peines encourues n’est pas pertinente et ne justifiait pas un acquittement sur la base de l’art. 391 al. 2 CPP. Il accepte donc le recours et renvoie l’affaire à l’instance précédente.

Art. 82, 105, 384 et 396 CPP

Début du délai de recours contre un jugement, demande de notification ultérieure du jugement motivé.

A la fin d’une procédure de première instance, l’avocat commis d’office d’un prévenu fait une demande d’indemnisation et obtient un montant bien inférieur à celui demandé. L’avocat obtient le dispositif du jugement le 14 juillet 2015 et, son client ayant fait appel (qu’il retirera par la suite), le jugement motivé le 9 novembre 2015. L’avocat interjette ensuite recours contre ce jugement le 19 novembre, recours rejeté car ne respectant pas, selon le tribunal cantonal, le délai de 10 jours partant le 14 juillet 2015.

Le Tribunal fédéral se penche donc sur la question de savoir si le délai pour recourir contre la fixation d’indemnisation court dès la notification du dispositif ou celle du jugement motivé. Le Tribunal Fédéral estime que le droit d’être entendu nécessite de connaître le contenu exact du jugement afin de pour pouvoir recourir ou faire appel contre ce dernier. Le délai de 10 jours ne saurait donc courir depuis la notification du dispositif. Partant, le Tribunal fédéral admet le recourt de l’avocat commis d’office. Il note par ailleurs qu’en l’absence d’appel de son client, l’avocat commis d’office aurait tout de même pu demander la motivation du jugement par le biais de l’art. 105 et 82 CPP.